Si on se trouve devant une obligation de grandeur, on biaise, on l’évite, on s’écarte …

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Avec des petits trucs pour vivre et des petits trucs pour gagner sa vie, on va au jour le jour. Si on se trouve devant une obligation de grandeur, on biaise, on l’évite, on s’écarte par la tangente. Si on souffre trop, on fait un discours, ou on écoute un discours; car on est peut-être capable d’inventer le truc du téléphone, de la T.S.F. et de l’avion, mais on n’est pas capable de trouver des raisons individuelles de grandeur.

In L’Oiseau bagué. Gallimard/Folio, 1943, p.170.

 

Chronique de Narbonne et d’ailleurs dans le monde. Demander la lune, avec Pierre Sansot et Julie Ganzin

Ce matin, petite investigation sur ce rayon-là de ma bibliothèque:

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En tire ceci:

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L’ouvre au hasard, et lis ce texte de Pierre Sansot:

 

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Ces images de cet univers des jardins ouvriers sont de Julie Ganzin. Elles nous montrent que le plus triste et le plus prévisible ne sont pas toujours sûrs, qu’il existe en certains hommes ordinaires la capacité d’inventer autre chose, de réordonner à partir de peu ( ce sont , en effet, des « gens de peu » ). Et me revient l’image de Pierre Sansot, sur la plage des Chalets, l’été, à Gruissan, sur le coup des 18 heures. Il y faisait l’aller-retour. Sa queue de cheval battant le haut de son dos. Il portait  à la main gauche un sac en plastique d’un bleu indéfini. Ses chaussures, à l’intérieur, peut-être! Son caleçon de bain et son tricot n’étaient pas non plus de la première fraîcheur. Il marchait, indifférent aux regards…

Il tirait parti, lui aussi, de ce qu’il avait sous la main.

Pages de Saint Simon: « Tout est habit dans ce monde… »

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Extrait de: Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de, 1675-1755. « Pages choisies des Mémoires du duc de Saint-Simon. » Mon eBook pages 15,16,17.

L’illusion était parfaite ; nous apercevions un monde sublime et pur. Dans les galeries de Versailles près des ifs taillés, sous les charmilles géométriques, nous regardions passer le roi, serein et régulier comme le soleil son emblème. En lui, chez lui, autour de lui, tout était noble. Les choses basses et excessives avaient disparu de la vie humaine. Les passions s’étaient contenues sous la discipline du devoir. Jusque dans les moments extrêmes, la nature désespérée subissait l’empire de la raison et des convenances. Quand le roi, quand Monsieur serraient Madame^ mourante de si tendres et de si vains embrassements, nul cri aigu, nul sanglot rauque ne venait rompre la belle harmonie de cette douleur suprême; les yeux un peu rougis, avec des plaintes modérées et des gestes décents, ils pleuraient, pendant que les courtisans, « autour d’eux rangés, » imitaient par leurs attitudes choisies les meilleures peintures de Lebrun. Quand on expirait, c’était sur une phrase limée, en style d’académie ; si l’on était grand homme, on appelait ses proches et on leur disait :

Journées de lecture: Marcel Proust…

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Extrait de: Marcel Proust. « Journées de lecture – extrait. » iBooks pages 3, 4 et 5

Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec amour) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus. Qui ne se souvient comme moi de ces lectures faites au temps des vacances, qu’on allait cacher successivement dans toutes celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile. Le matin, en rentrant du parc, quand tout le monde était parti faire une promenade, je me glissais dans la salle à manger, où, jusqu’à l’heure encore lointaine du déjeuner, personne n’entrerait que la vieille Félicie relativement silencieuse, et où je n’aurais pour compagnons, très respectueux de la lecture, que les assiettes peintes accrochées au mur, le calendrier dont la feuille de la veille avait été fraîchement arrachée, la pendule et le feu qui parlent sans demander qu’on leur réponde et dont les doux propos vides de sens ne viennent pas, comme les paroles des hommes, en substituer un différent à celui des mots que vous lisez.

 

les intellectuels, la politique et la morale…

Capture d’écran 2015-05-22 à 09.22.43De ce texte, voici ce qu’en dit son éditeur François Bon: 

On est en 1921. La première guerre mondiale finie, le monde s’ébroue, et ça concerne aussi bien la politique ques les arts, et la façon de vivre ensemble. Dada et le surréalisme ont éclaté. Ceux qui ont survécu à l’horreur la portent dans leurs phrases. Dans ce contexte de chaos et d’éveil, dans cette fatalité de la violence et de la domination, quelle responsabilité pour les artistes, et notamment les écrivains et poètes ? Comment se révolter, et comment s’assurer que l’ancien ne conditionne pas le surgissement du neuf ? C’est un texte sombre et âpre, qui pose les problèmes et limites de l’engagement. Qui mesure à chaque pas le défi personnel de l’art à ce qu’il affronte au dehors. Où se situer dans les extrêmes, comment garder distance dans l’agir ?

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