Quelques pages de mon livre numérique, pour se distraire avec les faits divers de Fénéon. Humour grinçant et plein de tendresse tout à la fois. Un style inimitable, et un genre créé par lui dont il reste le maître absolu…
« L’un des principaux effets pervers générés par le phénomène du communautarisme, très en vogue par les temps qui courent, c’est de confondre en un amalgame confus identité et appartenance. L’identité, c’est, pour faire simple, « qui je suis » ; l’appartenance la noie dans les eaux troubles d’une ambiguïté. Cette ambiguïté repose sur l’idée que l’on peut avoir, par esprit simplificateur, paresse mentale ou absence totale ou relative d’autonomie de pensée, de « faire partie » d’un ensemble qui nous englobe et finalement nous « définit » (en nous éludant pourtant de façon insolente). Prenons un cas pour nous faire mieux comprendre. Ce sera le mien car j’en maîtrise les coordonnées spatio-temporelles et n’en parle pas au hasard, mais en connaissance de cause et avec une objective subjectivité. Je suis né à (et en) Avignon. Bon : je suis donc présumé comtadin ou si l’on préfère, de façon plus élargie, provençal. Mais ma mère était Lozérienne issue de Lozériens probablement depuis le Néolithique, voire même depuis l’Aurignacien. Quant à mon père, fringant Celto-ligure ardéchois, d’origine huguenote quoique farouchement athée, il vient d’un très ancien métissage entre Ligures récurrents et Celtes dominants. Il avait de fait la prestance des Salyens dont se méfièrent avec raison les Massaliotes et que surent amadouer les Romains pragmatiques. Alors, quoique natif du Comtat Venaissin autrefois papal et tiraillé entre l’imaginaire d’Henri Bosco et le laconisme éphésien de René Char, suis-je plutôt Celto-ibéro-ligure, quasi bougnat, et finalement plus proche de Pascal, de Pourrat et de Vialatte (qui ne se ressemblent en rien eux-mêmes entre eux…) ? Ce serait assurément compter sans le fait que mon enfance fut nomade et cosmopolite et que, peu avant d’entrer dans la trouble confusion de la préadolescence, soit à onze ans, je fus plongé dans un bain de lourde germanité semi-rurale et post-polémologique. Je m’y noyai à demi et n’en ressorti qu’imbibé à jamais de romantisme récurrent.Si bien que, élevé par moi-même, à ma seule guise et au gré de mes intuitions, je fus non pas un Provençal ou un péri-auvergnat hercynien, mais un patchwork culturel schubertien, un contemplatif « objectal » chardinien et, ma foi, disons les choses, un inclassable radical, virevoltant de Marin Marais et François Couperin à Franz Schubert, dit Petit Champignon, et du maître absolu des natures still life au subtil paysagiste brumeux balto-saxon amateur de solitaires contemplatifs. Et ma verve plumitive (ou désormais informatique) ne manque jamais une occasion d’attester les effets induits de cet étrange et irrationnel mélange. Je suis donc un patchwork : telle est mon identité : je n’appartiens à rien ni à personne, sauf à tous ceux qui, d’ici de là, m’ont forgé une âme complexe, contradictoire, mais aussi espiègle et gourmande. Je vous en souhaite de même et vous m’agréerez d’autant plus que vous serez des miens, des nôtres, c’est-à-dire de ceux qui ne sont de nulle part et n’appartiennent à rien d’artificiel (une nation, un peuple, une religion, ainsi de suite…) ni à cet autre artifice : une conviction inébranlable, une foi indélébile, citoyens de partout et de n’importe où, en quête d’un seul Graal (mais bien réel et aisément atteignable) : la beauté, la grâce, qui n’a rien à faire avec les dieux ou avec Le Dieu, mais avec ces deux prodiges : la vie et vous-même en personne, doté d’une identité unique et irremplaçable. »
Serge Bonnery l’ignore sans doute, mais nous avons un ami commun, Michel Arcens. À sa demande il a écrit un texte (12 janvier 2014) consacré à la mémoire de Joë Bousquet pour son blog : L’Instant dédié à la littérature, la poésie, la philosophie, le jazz et les arts plastiques sous leurs formes les plus variées. Un texte que je reproduis ici dans l’espoir de susciter auprès de mes lecteurs le désir de plonger dans l’univers littéraire de Joë Bousquet. Et de l’aimer…
« Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur: pousser devant soi avec douceur ou rudesse l’un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, — tenir dans ses bras une porte. Le bonheur d’empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l’un de ces hauts obstacles d’une pièce; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l’œil s’ouvre et le corps tout entier s’accommode à son nouvel appartement. D’une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s’enclore, – ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l’assure. »
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]