Lire n’est pas une activité de loisir.

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A cet ami qui me demandait les raisons de mon appétit de lecture, je ne saurais mieux répondre que ceci:

« Lire n’est pas une activité de loisir. Lorsqu’elle le devient, lorsqu’elle est ainsi perçue, tout le sérieux de la littérature est bradé. Mais c’est aussi la vie qui se trouve solidairement diminuée, amputée d’une dimension essentielle. – Pourquoi établissez-vous ce lien ? Nous ne parlons que des livres, il me semble ? D’ailleurs, ne dit-on pas que la vraie vie est ailleurs ? – C’est justement toute la question : pour saisir la « vraie vie », pour tenter de s’y repérer, de tenir debout et de marcher dignement, la littérature (au sens large, pas seulement le roman) est indispensable. Pour avancer dans la nuit, on a besoin de torches, de lumière. De même, la vie demande à être éclairée, à devenir, autant qu’il est possible et permis, lisible. Si l’on ne conçoit pas ce lien comme une nécessité, alors oui, on pourra considérer la lecture comme une activité distrayante, au même titre que la danse de salon ou la console de jeux. »  Patrick Kéchichian

Georges Perros, toujours vivant!

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Parce que ses  » Papiers collés «  ( Trois tomes ) se trouvent toujours à portée de mes mains et qu’on y trouve ce genre de perle: «  L’écriture c’est passer le temps. La musique c’est le faire passer. La peinture c’est l’effacer. «  Et ceci encore:  » Qui va au théâtre pour passer une bonne soirée est un piètre spectateur.  » Admirable Perros! Tout est bon à lire chez lui : sa poésie, ses critiques. Écoutez le! Et partez vite plonger dans ses textes…

Une poésie d’ombres entrevues ( Reverdy ).

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Pierre Reverdy si peu connu et si mal aimé des narbonnais, au rang desquels il figure pourtant comme une de ces « voix » les plus singulières qui se puisse encore faire entendre. Avec l’ami Gil Jouanard, du temps où il dirigeait le Centre Régional des Lettres de Montpellier, nous avons fini par le faire reconnaitre, chez lui, auprès du Maire et de l’adjoint à la culture de l’époque. Un lycée porte désormais son nom et un de ces poèmes éclaire la façade d’un immeuble public voisin du mien. Et ce beau texte de Gil Pressnitzer:

«Pierre Reverdy, l’ermite de Solesmes, est un poète passé de mode, lui qui fut longtemps considéré comme le plus grand. On préfère maintenant des liqueurs plus fortes comme les éclats de silex de René Char, ou les jongleries verbales de Gherasim Luca ou Jacques Roubaud. Mais il est tant de poèmes de Reverdy pour lesquels je donnerai les œuvres complètes de ceux-là.

Notre narbonnais aux sourcils noirs, à la mèche combattante et à l’accent épais et râpeux comme le vin lourd de la Clape, est décrété trop monotone. Certes bien sûr il a écrit des centaines de poèmes, mais en fait toujours les mêmes vous dit-on, comme ce pauvre Vivaldi avec ses concertis. C’est ne rien vouloir comprendre aux mouvements imperceptibles de l’infini.

Oui, on ne peut mettre en chansons ses poèmes qui sont une musique en équilibre sur les toits du silence. Oui, il fut tellement adulé par ses amis peintres ou surréalistes que la vague ne pouvait que retomber. Oui sa lecture demande la complicité des nuits haletantes où tout est suspendu.

Oui, il est sombre.

L’éther qui nous entoure aussi le savez-vous ? Et toutes les fenêtres vous regardent.

Un homme est tombé

Quelqu’un est sorti et n’est pas rentré

Au cinquième la lampe est toujours allumée.

Mais qui encore écrit comme cela de nos jours, qui va aussi loin dans la réalité du silence, de l’attente ?

Une suite de mots infiniment simples, d’objets familiers, de sensations connues, et leur mise en ligne dans le poème conduit aux grands mystères. En se mélangeant ces morceaux de briques élémentaires font un château hanté. Sa poésie semble se refermer hautaine sur de l’ombre entrevue, elle nous ignore nous de l’autre côté de la feuille blanche, elle nous résiste, nous sourit comme un sphinx. À vous de voir et de savoir nous dit-elle, chat noir parmi les chats noirs.

Une voix sans timbre qui nous hèle et le vent se renverse, et sa poésie couverte de sueur, de peur, bat en plein en nous.

Un de ses plus beaux poèmes dit ceci :

ESPACE

L’ÉTOILE échappée

L’astre est dans la lampe

La main

tient la nuit

par un fil

Le ciel

s’est couché

contre les épines

Des gouttes de sang claquent sur les épines

Et le vent du soir

sort d’une poitrine.

… « L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.

Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ». Et il refuse d’être un simple médium passif du monde. Lui l’ascétique, le converti au catholicisme en 1926, et très vite désillusionné, refuse le jeu. Il met toujours son existence balance dans ses mots. Ces poèmes « ne sont qu’entre les lignes ». Il faut les deviner, passer par leur ambiguïté, leurs flaques de silence et de verre,

…Reverdy nous dit que l’on n’est pas poète par occasion, mais pour tout l’être tendu, vers la fixation en traits concrets, la résolution en gouttes limpides d’un état diffus et d’un trouble intérieur.

Toujours m’a frappé l’écart entre sa voix roulante de Narbonnais et le volatil de ses mots. Sa glèbe et sa tramontane se sublimaient dans l’écriture.

Toute en impression fugitive, sa poésie restée la patte en l’air, figée par ce qu’elle seule a vu, et que nous ne voyons pas encore. Ce descendant d’une lignée de tailleurs de pierre savait ce que voulait dire le geste juste, le geste sobre, le geste d’éternité. Son père lui avait appris le vent dans la montagne, la lecture et l’écriture. Il connaissait le poids du pain, le poids des choses, la difficulté de l’amour…

…C’est dans un texte comme celui qui suit que l’on peut saisir la poésie de Reverdy.

Une inquiétude qui sourd, un climat de suspension ave le terrible tapis devant la porte. Quelque chose est passé ou va passer, et le simple frémissement du vent est peut-être notre heure dernière. Des mots élémentaires, des phrases courtes, simples à pleurer. Des ombres furtives de mots. La poésie de Reverdy ne dit pas, elle chuchote. L’angoisse est aux aguets. Le temps s’immobilise. L’invisible marche de long en large. Ses pas craquent jusqu’à nous.

Reverdy est le chaman du mystère immédiat, du réel devenu lyrique.

La lampe

Le vent noir qui tordait les rideaux ne pouvait

soulever le papier ni éteindre la lampe.

Dans un courant de peur, il semblait que quelqu’un pût entrer.

Entre la porte ouverte et le

volet qui bat – personne !

Et pourtant sur la table

ébranlée une clarté remue dans cette chambre

…Pudique il parlait peu de sa vie, aussi il sera simplement mentionné qu’il est né 13 septembre 1889 à Narbonne, qu’il aura été imprégné des odeurs de la Montagne noire et de la mer, qu’il aura connu Paris et ses artistes dés octobre 1910.

Là il débarque dans les brumes de la ville et des locomotives. Il aura froid, il aura faim…

…Le 17 juin 1960 il meurt à 71 ans, et à Solesmes, dans « cet affreux petit village où il fait toujours froid ». Dans la solitude et l’exigence. Il voulait vivre et mourir dans la même tempête, ce fut une tempête de silence et de questions. Il écrira peu en ce lieu, toujours tendu vers Paris.

Il dit « prier le ciel que nul ne le regarde pour aller mourir au creux de la nuit ».

Faire le gros dos jusqu’à ce que le poème soit passé sera notre ressource. Nous n’en sortirons pas indemne, nous le savons.

Reverdy nous a dit le nom de l’ombre.

« Je suis un témoignage fendu de la tête aux pieds, une indication précise mais fugitive de ce qu’a voulu dire la création en remontant de nos jours jusqu’au commencement des termes » (Étoile filante)

Reverdy ne violente pas le lecteur, il ne construit pas des étangs dans ses poèmes où se contempler.

René Char dit de lui que « c’est un poète sans fouet ni miroir ».

Reverdy n’est que suggestions qui montent de la brume des jours, qu’allusions, que frôlement d’ailes. Il parle sans bruit, il murmure du fond du puits de sa solitude. Il se veut effacé, modeste, éteint :

De ma vie, je n’aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.

Lucide avant tout, lucide jusqu’au foudroiement :

Le vent se tait, la voix se tait. Sans bruit, la neige de ses mots tombe sur nous.

Quelqu’un vient. Et c’est quelqu’un qu’on n’aura vu qu’une seule fois dans sa vie.

C’est Reverdy.

Lui « l’aveugle dont les yeux sont au bout des doigts ».

Ils amusent leurs talents à des choses puériles.

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MONTESQUIEU (1689-1755), Lettres persanes (1721) : Lettre XXXVI

Mes lectures, cette lettre: « Usbek à Rhédi, à Venise. »

Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques-unes de ces maisons, on dit des nouvelles ; dans d’autres, on joue aux échecs. Il y en a une où l’on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que lorsqu’il y est entré. Mais ce qui me choque de ces beaux esprits, c’est qu’ils ne se rendent pas utiles à leur patrie, et qu’ils amusent leurs talents à des choses puériles. Par exemple, lorsque j’arrivai à Paris, je les trouvai échauffés sur une dispute la plus mince qu’il se puisse imaginer : il s’agissait de la réputation d’un vieux poète grec dont, depuis deux mille ans, on ignore la patrie, aussi bien que le temps de sa mort. Les deux partis avouaient que c’était un poète excellent ; il n’était question que du plus ou du moins de mérite qu’il fallait lui attribuer. Chacun en voulait donner le taux ; mais, parmi ces distributeurs de réputation, les uns faisaient meilleur poids que les autres. Voilà la querelle ! Elle était bien vive : car on se disait cordialement, de part et d’autre, des injures si grossières, on faisait des plaisanteries si amères, que je n’admirais pas moins la manière de disputer, que le sujet de la dispute. « Si quelqu’un, disais-je en moi-même, était assez étourdi pour aller devant un de ces défenseurs du poète grec attaquer la réputation de quelque honnête citoyen, il ne serait pas mal relevé, et je crois que ce zèle, si délicat sur la réputation des morts, s’embraserait bien pour défendre celle des vivants ! Mais, quoi qu’il en soit, ajoutais-je, Dieu me garde de m’attirer jamais l’inimitié des censeurs de ce poète, que le séjour de deux mille ans dans le tombeau n’a pu garantir d’une haine si implacable ! Ils frappent à présent des coups en l’air. Mais que serait-ce si leur fureur était animée par la présence d’un ennemi? »….

Trois notes d’Anatole France.

Lectures:  Ces trois notes d’Anatole France prises dans son  » Jardin d’Epicure « 

 

« Le charme qui touche le plus les âmes est le charme du mystère. Il n’y a pas de beauté sans voiles, et ce que nous préférons, c’est encore l’inconnu. L’existence serait intolérable si l’on ne rêvait jamais. Ce que la vie a de meilleur, c’est l’idée qu’elle nous donne de je ne sais quoi qui n’est point en elle. Le réel nous sert à fabriquer tant bien que mal un peu d’idéal. C’est peut-être sa plus grande utilité. »

« Une chose surtout donne de l’attrait à la pensée des hommes: c’est l’inquiétude. Un esprit qui n’est point anxieux m’irrite ou m’ennuie. »

« J’ai trouvé chez des savants la candeur des enfants, et l’on voit tous les jours des ignorants qui se croient l’axe du monde. Hélas! chacun de nous se voit le centre de l’univers. C’est la commune illusion. Le balayeur de la rue n’y échappe pas. Elle lui vient de ses yeux dont les regards, arrondissant autour de lui la voûte céleste, le mettent au beau milieu du ciel et de la terre. Peut-être cette erreur est-elle un peu ébranlée chez celui qui a beaucoup médité. L’humilité rare chez les doctes, l’est encore plus chez les ignares. »