Cinéma : 15 heures. « La Conférence , dans la salle Art et Essai du Théâtre du Grand Narbonne.
Synopsis : « Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du Ille Reich se retrouvent dans une villa à Wannsee, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé solution finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins. »
La veille, je publiais un billet dans lequel je m’interrogeais sur le comportement de certains jeunes gens au musée d’Auschwitz, leur usage de selfies et leur façon de se mettre en scène et en image. Et ce que, pour moi en tout cas, ces pratiques numériques signifiaient sur un plan, disons civilisationnel.
Dans la salle, pour en revenir au film, pas bien grande, au 3/4 vide, que des « têtes chenues », comme la mienne. A la fin de la projection, je me suis demandé si le jeune homme faisant le funambule sur les rails du musée, en illustration de mon billet, ou la jeune femme qui y était couchée en travers prenant la pose, son visage tourné vers le soleil, un sourire satisfait aux lèvres, aurait tenu deux heures devant ces images sans musique, ni actions. Une conférence en allemand, qui plus est, sous-titrée. Des images qui montrent comment un antisémitisme, disons désordonné, est métamorphosé par le traitement institutionnel pour aboutir à un antisémitisme de raison : sérieux, abstrait, chiffré. Le cadre : un huis clos dans le climat gris d’une villa grise dont on devine que les propriétaires ont été exécutés ; la mise en scène est tirée au cordeau, sèche, froide, et le casting – choix et jeu des acteurs – remarquable – et avec quel talent sont exprimés là tous les sentiments propres à des hommes de pouvoir au service d’un projet politique génocidaire : opportunisme, lâcheté, prédation… –, rendent parfaitement compte d’une réalité humaine et historique glaçante. Terrifiante ! Un film magistral, nécessaire. À voir !
J’ai vu les âmes sœurs d’André Téchiné hier après midi. Au début du film, on découvre David, un soldat blessé lors de l’explosion de son véhicule blindé au Mali, dans un lit d’hôpital, aux Invalides. Il est dans le coma ! Quand il ouvre ses yeux, il doit faire face au vide de sa mémoire. Au cours de son traitement, le psychiatre qui le suit, lui confie un ordinateur portable. Il ajoute cependant : « Ne regardez pas les actualités, c’est trop déprimant ; ni du porno… ». Quelques plans plus tard, on voit David, assis sur son lit, devant son écran. Il sourit, puis rit, rit. Il regarde, et nous regardons avec lui, une scène d’un film de Charlin Chaplin. J’ai souri, moi aussi. Ainsi, en quelques images, quelques images d’une grande douceur, André Téchiné nous montre la violence du réel et ses formes hallucinatoires dans l’actualité et le porno. La perte collective de notre mémoire et la vertu libératrice du rire aussi. D’un rire à l’état pur, sans mots pour en dégrader la nature.
En me promenant l’autre jour sur la plage des Ayguades, je contemplais le paysage qui m’entourait. Un paysage magnifié par le sommet neigeux du Canigou ; un paysage splendide dont je connais les plans et les lignes. Les courbes et les couleurs aussi. De l’écume brillante à mes pieds, jusqu’à la brume bleutée qui couvre les formes alanguies des Corbières Maritimes. J’avançais ainsi, giflé par un vent grisant. Tout avait changé de ce que j’avais connu dans ma jeunesse. Tout et rien ! Les grandes masses colorées, la même lumière, demeurent. Mais la présence de petits moulins blancs et de toits ocre de constructions récentes, au loin, en modifie l’équilibre et le sens. Comme les idées que j’avais sur le monde dans ma vie de jeune adulte. Et qui, avec le temps, ont pris le large. N’en reste à présent qu’un vague sentiment d’humanité commune, que nuance l’expérience vécue des vices et des travers des hommes. Vingt ans n’est pas le plus bel âge de la vie ! Cependant, subsiste, purgé de ses chimères, un fond de nostalgie pour ce passé. Léger ! Comme un ciel voilé des ors cuivrés du crépuscule au-dessus des Pyrénées.
Je n’ai pas reçu le baptême. La mémoire familiale concernant ma naissance, du moins celle qui me fut transmise oralement à un âge adulte, fait seulement état d’un ondoiement pratiqué dans la petite chapelle de l’Hôtel Dieu de Narbonne. Comme cela se faisait, paraît-il, systématiquement, dans cet établissement hospitalier où les infirmières portaient encore – en 1947 – des cornettes blanches. J’imagine mal en effet mes parents, et mon père surtout, athée et de tradition communiste, solliciter ce rite pour ma naissance, le 9 avril de cette année-là. Ma mère non plus, d’ailleurs, qui néanmoins se disait vaguement croyante, mais sans église, et qui, pendant longtemps, paradoxalement, m’a reproché, en silence, de n’avoir pas fait baptiser mon fils. On l’aura compris, c’est d’abord dans l’ignorance totale de l’apport « civilisationnel » du christianisme, enfant, et son déni ensuite, adolescent et jeune adulte, que s’est déroulée une grande partie de ma vie. De ma vie disons imaginaire et intellectuelle. Et ce jusqu’à ce que je finisse par comprendre que je ne pouvais pas regarder le monde autour de moi, le monde dans toutes ses dimensions politiques et esthétiques notamment, autrement qu’avec des « lunettes » chrétiennes. Les livres, la musique, les arts en général, l’architecture de nos villes, l’ordonnancement de nos paysages, certaines traditions que j’aimais en témoignaient. Dès lors, la voie s’ouvrait, sans fin, qui m’amène encore aujourd’hui, à toujours vouloir approfondir des connaissances patiemment acquises au fil des ans. Ce désir longtemps refoulé, je le confessais, hier soir à Laly assise à mes côtés, lors du dîner familial, en présence de nos petits et arrières petits enfants. Laly qui, à 17 ans, s’est lancée dans la lecture de la Bible et m’a confié vouloir aller à la cathédrale Saint Just-Saint Pasteur demain matin pour assister à la messe de Pâques. Elle me disait aimer son décorum, les chants, la musique. À ses questions, je répondais en insistant un peu pour lui donner quelques bribes de culture sur cette semaine sainte : son déroulement, son histoire, ses acteurs ; la signification de certaines « images ». Que ce samedi était un jour de grand silence, de recueillement, et pourquoi ; que l’on n’était pas obligé d’avoir la foi ou de faire semblant pour goûter les rites et les symboles chrétiens, notamment ; et que les comprendre donnait de la profondeur et augmentait les plaisirs et les émotions ressentis sous un chef-d’œuvre de l’art gothique comme celui de la cathédrale Saint-Just dans laquelle elle assisterait demain dimanche à la messe. Je n’ai pas revu Laly depuis. Mais je sais qu’avec ses parents, sa sœur et des amis, ils « feront pâquette » lundi autour de « ma cabane » en bord de mer. Avec les miens, c’était dans le massif de la Clape que nous nous installions sous les pins pour y manger la traditionnelle omelette pascale. Une tradition durablement inscrite dans nos mœurs et nos usages. Un jour prochain, je dirai à Laly que c’est à cela, à ces traces aussi, que l’on reconnait ce qui fait et fait vivre une civilisation.
Illustration : Le Greco, Marie-Madeleine pénitente.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]