« Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir. » Vraiment ?

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.11.11.2022
 
J’ai lu sur la page Facebook d’un « ami » cette phrase de René Char : « Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir. » Depuis, elle occupe, par moments – brefs fort heureusement –, mon esprit. J’ai du mal, en effet, avec cette idée d’une vie attachée à un souvenir auquel nous voudrions avec acharnement mettre fin. Et pourquoi donc ce « un » ? exclusif. Serait-il celui d’une époque – l’enfance, l’extrême vieillesse… – ; d’un pays ; d’une histoire ; d’une relation amoureuse, amicale ; d’une émotion ?… Une séquence de notre vie, cadrée, coupée dans le film du passé, qui serait stockée dans nos mémoires, comme un fichier dans un ordinateur ? Que cela soit hors de notre portée, chaque jour de notre vie le démontre aisément. Que je sois fait de ce que je fus, sans doute. Mais ce que j’en sais, ou me remémore, n’est un ensemble de représentations subjectives nécessairement colorées par ce que je vis au présent, mon caractère, mon histoire personnelle, mes connaissances, mes opinions, croyances… mes projections sur l’avenir. Un film fait de trous, de faux souvenirs, d’erreurs… Rien de définitivement assuré une bonne fois pour toutes dont je poursuivrais obstinément l’accomplissement. Ma mémoire et mes souvenirs changent avec le temps. Je ne suis pas – ne suis plus – que le seul souvenir d’un enfant, notamment !
Quelqu’un qui sait mon goût pour l’œuvre de Patrick Modiano, m’a fait remarquer que cette phrase de René Char est inscrite en exergue de son « Livret de famille » paru en 1977. Ce qui serait contradictoire à mon propos, me dit-il. Alors que j’y vois plutôt une confirmation. Pour l’écrivain, en effet, la mémoire est une contrée fragmentée, jamais tout à fait sûre, toujours à revisiter. C’est un territoire intérieur brumeux aux frontières floues. On y erre sans fin, on s’y perd parfois. Et les mots, les images, butent toujours sur un indéchiffrable noyau. Vivre, c’est réduire par tous les moyens l’ambiguïté propres à nos souvenirs. S’obstiner à les achever, c’est risquer la névrose. Le bégaiement à coup sûr.
Je relis – à voix haute, cette fois – cette phrase de René Char et ne peux me défaire d’un sentiment de lourdeur. Elle sonne mal ! Épaisse, elle grince aussi avec cet hiatus – « à achever » – en son cœur. D’autres pourtant la trouvent magnifique…
 
 
 
 

Moment de vie : Au-dessus du temps le ciel sonnait creux

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Di.6.11.2022
 
J’ai taillé le murier,
balayé ses feuilles
sèches
et noires.
Au toucher
elles craquaient
comme la neige gelée
sous le cuir.
Plus tard,
désœuvré,
j’écoutais la mer et les Albères
au loin voilée.
Le goût du sel venait au visage,
dans les yeux,
les narines.
L’air était peuplé de chimères,
de faux souvenirs.
Au-dessus du temps,
le ciel
immaculé
sonnait creux.
 
 
 
 
 

L’effondrement climatique de Servigne et Chapelle et la tortue de Mila…

 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.28.10.2022
 
Je lis, dans le Monde des livres, la recension, par Roger-Pol Droit, de « L’Effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents », de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, édité au Seuil, et j’apprends que, pour ces auteurs collapsologues militants, j’appartiens à la génération « des grands-parents, boomeurs qui persistent à ne rien comprendre ». Une hypocrite et sournoise façon de nous présenter pour de dangereux imbéciles, insouciants et aveugles, par intérêt ou ignorance – ou les deux à la fois – au risque d’un effondrement planétaire encouru par notre espèce. Des boomeurs donc dramatiquement irresponsables, des figures emblématiques du Mal que nos deux apôtres opposent à celles du Bien que seraient « des adolescents, atterrés et apeurés, et des jeunes adultes, militants radicaux désireux d’agir ». En attendant l’heureuse et bénéfique extinction de ma génération de boomeurs, Servigne et Chapelle enseigne aussi aux enfants et à leurs parents qu’il leur faut susciter la peur et l’angoisse, qu’elles seraient nécessaires pour agir et renoncer aux manières de vivre actuelles. Des leçons données aux enfants… et à leurs parents qui, je dois le dire, pour n’avoir jamais rien lu sur ce sujet d’aussi pervers, m’ont effrayé. D’autant que, circonstance aggravante, pendant que j’écris ces lignes, Mila, 12 ans, est près de moi, un stylo à la main, en train de préparer un exposé sur les tortues marines. Je lui donne, à sa demande, quelques conseils pour son « plan » et la guide pour se documenter. Je lui ai suggéré notamment un dernier chapitre sur les dangers qui menacent ces reptiles. Leurs prédateurs, certes, mais aussi la pêche industrielle et le réchauffement climatique. Elle est encore trop jeune, mais, plus tard, j’espère avoir le temps de la mettre en garde contre ces missionnaires « verts » qui ne cessent de nous annoncer l’Apocalypse et prônent la « guerre » entre générations, la « guerre » entre elle et moi ; le temps aussi de pouvoir cheminer encore un peu ensemble, sans peur ni angoisse.

Moments de vie chez mon gastro-entérologue.

 
 
 
 
 
 
 
 
Je.27.10.2022
 
Moments de vie chez mon gastro-entérologue.
 
Chez mon gastro-entérologue, les consultations se déroulent toujours selon le même protocole. Après les salutations d’usage, très courtoises et très décontractées, je lui expose d’abord les raisons et les symptômes qui m’ont amené dans son cabinet.

Un dimanche au cinéma : « l’innocent » de Louis Garrel.

 
 
 
 
 
 
 
Di.23.10.2022
 
Dimanche au cinéma.
 
Il faisait un temps gris, l’air était chaud, lourd et poisseux. Une atmosphère pesante ! J’aurais aimé qu’éclatât un bel orage. Les sols ont besoin d’eau. Et nos esprits d’être distraits. Le climat politique est en effet chargé : guerre à nos portes, pénurie de gaz et d’électricité cet hiver, répression et violences envers les femmes en Iran, extrêmes droites un peu partout… À l’affiche du Théâtre-Cinéma du Grand Narbonne était « L’innocent » de Louis Garrel. Un film léger et intelligent selon le programme. J’ai donc décidé d’aller le voir. Quitter une heure trente durant ce monde cynique et brutal.
L’histoire tourne autour de Sylvie (Anouk Grinberg). Elle anime des ateliers théâtraux dans les prisons. C’est une petite personne joviale, piquante et passionnée. Elle vient de trouver, après trois échecs amoureux dans ce même milieu, « l’homme de sa vie », Michel (Roschdy Zem). Bientôt libéré, veste de cuir sur un physique avantageux, il a le charme du « bon truand » à l’ancienne. Folle de joie, elle l’épouse en prison et se lance à sa sortie, avec lui, dans le commerce de fleurs. Il va de soi pour Sylvie que Michel est tout aussi amoureux qu’elle, qu’il s’est définitivement retiré des « affaires ». Ce que ne croit pas son fils, Abel (Louis Garrel), jeune veuf inconsolable qui s’inquiète beaucoup pour sa mère et se met à surveiller de très près, en cachette, ledit Michel. Sa meilleure amie, Clémence (Noémie Merlant), jolie fille sympathique et délurée, entre dans son jeu. Elle est, en vérité, animée par l’amour, brûlant et caché, qu’elle éprouve pour Abel.
Dans ce film, Louis Garrel mélange avec brio les genres du polar, de la comédie et du « mélo ». Sa musique et sa bande-son sont celles des chansons de variétés que chante Sylvie (« Pour le plaisir », d’Herbert Léonard, « Une autre histoire », de Gérard Blanc, « Nuit magique », de Catherine Lara…). Des airs et des paroles qui chantent l’espoir, l’amour, la peine, la douleur. Sylvie est une Emma Bovary intermittente du spectacle des années 80 !
L’histoire se noue et prend du rythme quand Abel et Clémence se retrouvent embringués jusqu’au cou dans le braquage organisé par Michel. Ensuite, le quatuor d’acteurs excelle.
Je n’avais rien lu concernant ce film jusqu’à cet après midi de dimanche. « L’innocent » n’est certes pas un chef-d’œuvre, comme semble le proclamer une critique solidairement enthousiaste. Mais je l’ai trouvé touchant, intelligent. Sans prétention. Le scénario est simple, classique, vif, bien ordonné et les acteurs jouent parfaitement leur partition.
Bref ! J’ai passé un bon moment, loin du bruit médiatique ambiant, constant, perturbant et anxiogène. C’est déjà beaucoup plus que je ne l’espérais. À voir !
 
 
 
 
 
 
 

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