Roger Federer a déclaré qu’il prenait sa retraite. C’était un génie. Chacun de ses gestes, de ses déplacements sur un cours de tennis signait un trait d’intelligence et d’élégance. Il ne jouait pas, il créait. Son jeu inspiré était d’une beauté irradiante. Il aura ainsi élevé la pratique de ce sport au rang d’œuvre d’art. On devrait étudier et promouvoir son style dans toutes les écoles : les petites et les grandes.
Il a enfin plu cette nuit. Pas suffisamment, hélas ! Le temps est doux. Un vent d’est, faible et chaud, amollit l’air. Tout colle. Les tasses et les tables des cafés, les bancs publics aussi. Les passants traînent. Ils se déplacent mollement. Leurs gestes sont lents, pâteux, leurs nuques détrempées. Ils traversent pesamment la place de l’Hôtel de ville. Certains consultent un plan humide et chiffonné. Leurs vêtements sont gris et relâchés. Ils hésitent sur la direction à prendre et semblent tristes, blasés. Des jeunes gens descendent de la rue Droite d’un pas vif. Ils s’interpellent d’un groupe à l’autre, rient. La place change de couleur et l’air paraît plus léger.
Après le repas, j’irai nettoyer ma cabane et marcherai le long de la plage. La mer sera agitée. En septembre, l’espace grandi. Aucun obstacle ne limite la vue. On entend seulement le bruit des vagues : des variations sur un même thème. Les jours sont plus courts, mais le temps prend son temps.
Je ne verrai pas le visage de cette dame assise dans son fauteuil face à la mer. Un chien allongé est à ses côtés. Je les observe un long moment. Rien ne bouge ! Ils font corps avec les éléments. Cette inconnue habite sa solitude. Elle vit un moment d’intense activité intérieure. Je n’en doute pas. Le temps est sien. Je lui ai rendu grâce et l’ai quittée pour aller au loin vers la pointe des « Albères ».
Très tôt, ce matin, j’ai fermé ma liseuse sur un texte de Jean-René Huguenin :
« On se revoit, n’est-ce pas ? On se téléphone. Prenons même rendez-vous tout de suite : voulez-vous demain ? Voulez-vous ce soir ? Ne nous quittons pas encore ! Sans doute n’avons-nous rien à nous dire, mais nous boirons tous ensemble, nous nous regarderons, nous nous serrerons bien les uns contre les autres, nous n’attendrons pas la mort tout seuls ! Il me semble qu’il augmente sans cesse, le nombre de ces malheureux que terrorise la perspective d’une soirée solitaire et qui, de leurs ailes blessées, volettent de dîner en dîner, de rendez-vous en rendez-vous, se raccrochant tant bien que mal, pendant les heures creuses qui leur restent et où la pesanteur de leur vide les aspire, au perchoir d’une télévision, d’un cinéma, d’un journal ou d’une fille. « C’est la vie moderne, soupirent-ils. On n’a plus de temps à soi. » (Leur solitude dans « Une autre jeunesse »)
Sur le sable mouillé : « Gabriel et Anna ». / Un cœur précède Gabriel, un autre suit Anna. / Plus haut, face à la mer, un visage. / À la tombée de la nuit, tout sera effacé. / Confondu, comme l’eau dans l’eau.
Ce matin, aux Halles, devant l’étal de mon fromager et devant moi, étaient trois hommes d’un âge avancé – le mien ! – aux physiques disons entretenus. Ils ont commandé un nombre impressionnant de fromages de toute sorte. Le marchand étonné, mais le sourire commercial aux lèvres, s’est pour une fois lâché et, de paroles en paroles finement amenées, leur a fait dire qu’ils venaient de Marseille pour un week-end VTT, entre hommes, ont-ils insisté, dans le massif de la Clape. Entre hommes, tiens donc ! Comme mes amis, pensais-je, qui, tous les dimanches et très tôt, sortent ensemble sur leur « machines » pour finir leur parcours, vers midi, à la terrasse du bistrot du Cours de la République autour d’un verre de vin blanc ou de bière accompagné de chips et de tranches de saucissons… Finalement, on a grand tort de vertement critiquer Sandrine, pensais-je encore. Sans elle, et sa croisade anti-barbecue, je serais en effet resté prisonnier de ce halo genré qui m’empêche de voir toute la puissance symbolique de ce moyen sportif de locomotion, de son usage surtout. Aveuglement d’autant plus impardonnable que ces mêmes amis se retrouvent régulièrement autour d’un barbecue pour préparer et organiser leurs prochaines virées… J’en étais là, en pensées et compagnie philosophico-politique de Sandrine, quand mon tour d’être servi fut venu. « Bonjour ! Nous serons quatre pour une sortie en mer samedi.
— Entre hommes pour une pêche au gros ? » s’est exclamé mon fromager…
Une enseignante que je connais, à la retraite depuis 20 ans, me disait que, jeune dans la profession, on recrutait déjà des militaires à la retraite pour pourvoir des postes de lycées ; que, de tout temps, il y avait eu pénurie de profs de maths dans le secondaire. Elle me disait aussi qu’elle avait vu arriver des déferlantes d’instituteurs, toujours dans le secondaire, qui, du jour au lendemain, s’improvisaient prof de physique ou d’histoire-géo… J’en ai d’ailleurs eu de ce genre dans mon collège. Et des bons ! jusqu’au BEPC… Aussi ai-je du mal à comprendre le procès fait à l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale qui s’efforce de combler les postes d’enseignants titulaires vacants en recourant à des personnes ayant été recalées aux divers concours de recrutement depuis cinq ou six ans, notamment. Il braderait le principe républicain du concours, alors qu’il a, de fait, toujours été contourné sur les marges : l’ajustement parfait entre besoins et sélection administrative par cette seule voie étant par définition, si je puis dire, impossible. Rien de nouveau donc dans l’histoire de ce grand service public, contrairement à ce que je lis et entends un peu partout…
C’est comme l’orthographe et le français. Une désolation, du jamais vu, une catastrophe morale et intellectuelle. « C’était mieux avant ! » Eh ben, non ! En 1966, jeune engagé volontaire, après mes classes et mon « peloton », j’avais accès aux dossiers militaires des jeunes appelés du 3ᵉ RPima de ma section. La dernière page de ces dossiers était une feuille manuscrite sur laquelle chacun avait écrit, dès son arrivée à la caserne Laperrine, ses « premières impressions ». Elles étaient tout simplement Illisibles ! Illisibles, alors que je vivais dans l’idée que tous les jeunes gens de ma classe d’âge avaient au moins le BEPC et écrivaient proprement sans trop de fautes de grammaire et d’orthographe. Je découvrais alors, stupéfait, que j’étais entouré d’analphabètes ou presque venant de toutes les régions rurales et ouvrières de France.
Aussi, je ne laisserai jamais dire qu’avant, c’était toujours mieux !
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]