Je n’ai pas l’esprit d’aventure : y penser me fatigue ; m’ennuient aussi les vastes horizons. Mais l’immensité du monde est à portée de mes sens. Je le parcours en effet sur un territoire borné par la mer, « ma cabane » et la Clape ; et j’y puise tous les bonheurs possibles.
Jeudi matin 7 heures, départ de Mateille (Gruissan) pour Saint- Pierre- la- Mer, par les plages. Le « Grec » (un vent de nord-est humide) avait amené durant la nuit une masse indistincte de nuages présentant une riche palette de gris. Ce matin sera donc sans aube ; et les hommes et les choses en porteront le deuil : aucune lumière, ou si peu, ne permettra dans distinguer les traits, les formes et les couleurs.
Nous sommes sur la plage. Cela fait un petit moment que j’observe la petite Ninon. Nous la connaissons bien pour l’avoir vu grandir. Elle a maintenant trois ans. Ses grands-parents la gardent tous les étés. Elle est vive et parle déjà comme une « petite fille ». Tous les après-midi, vers les 16 heures, ils s’installent toujours au même endroit. Comme tout le monde ! L’homme est un « animal » d’habitudes.
9h 30 ce matin. Fin de course – presque ! Je m’arrête un instant le temps de m’imprégner de la beauté du lieu : de l’harmonie de ses formes et couleurs. Je note cette série de trois cyprès qui, en rompant une certaine unité de volumes et de lignes, lui donne toute son originalité, son caractère. Au même moment une volée de vetétistes électriquement assistés a traversé à toute allure cet incomparable, ce merveilleux bout de paysage. Casqués, le nez sur le guidon, ils n’avaient d’yeux que pour leurs « machines ».
J’ai d’abord aperçu sa tête. C’était celle d’un homme assis sous l’épaisse et lourde toiture en béton d’un blockhaus. Tout le haut de son corps semblait affaissé, comme s’il vivait au milieu d’un profond chagrin.