Première sortie urbaine : une demi heure seulement. Le souffle est encore court, et le masque (sanitaire) n’arrange pas les choses. Le ciel est sombre et bas. Passage devant l’hôtel de police ; une compagnie de corbeaux niche dans les platanes qui le borde : ils s’agitent bruyamment en poussant d’épouvantables croassements. On pourrait se croire dans un film d’après guerre et on s’ imagine allonger le pas : la peur que surgissent de ce commissariat des hommes vêtus de noir. Plus loin, je croise un jeune couple. La jeune femme tient en laisse – en corde ! –, d’une main, deux gros chiens ; son compagnon pareillement ; elle avance, lui à ses côtés, en serrant, dans l’autre, le guidon d’une poussette contenant deux bébés. Affolant attelage ! Je songe à leur quotidien dans un petit appartement du centre ville, dans le quartier de Bourg – je les vois souvent, de ma fenêtre, aller dans cette direction. Je pense surtout à ces enfants envers lesquels j’éprouve spontanément, à tort, peut-être, un pénible sentiment de crainte et tendresse mêlés . Il pluviote ; il est tard ; les rues sont vides : le couvre-feu ! Il est donc temps de rentrer. J’aperçois, au bas de la promenade des Barques, deux policiers municipaux : ils patrouillent, débonnaires, nonchalants. L’ordinaire d’un jour comme les autres. Pas tout à fait dependant. Finalement, ce court moment de « plein air » et d’images, contrairement aux apparences, m’aura fait beaucoup de bien – Je suis sérieux !
Le matin, quand le vent s’est éteint dans la nuit et qu’un ciel uniment bleu couvre la ville au midi, j’aime m’asseoir sur un banc de la promenade des Barques. Je choisis toujours celui qui m’offre la vue la plus large possible sur le quartier de Bourg – celui de mon enfance. Il se prête idéalement à de paresseuses pensées ; j’y suis aussi aux premières loges pour regarder les passants et observer toute la variété humaine que présente une petite ville de province comme la mienne.
S’il faisait jour, la lumière était grise et le vent froid. Il était 7h 30. Je me rendais dans un laboratoire pour un contrôle de routine. À jeun. Sans ma dose de café. Pressé d’en finir. Cet homme, marchait loin devant moi.
Canal de la Robine. Promenade des Barques. Ensemble monumental.
Il y aurait tant à dire d’une journée apparemment vide, songeais-je, assis, « au soleil », sur un banc de la promenade des Barques d’où j’observais, distraitement, l’agitation et les déplacements de flâneurs, pour la plupart jeunes, insouciants et très légèrement vêtus. Les garçons portaient d’amples tee shirts et des jeans informes, les filles de minuscules débardeurs et des pantalons très moulants.
Des jours que nous vivions sous un ciel épais couleur de plomb. Un vent marin de pluie, violent, noyait les plages ; en ville, giflait les murs ; courbait les ombres de fantomatiques passants, déchirait leurs coiffes, brisait leurs rêves, leurs désirs. Les nuages étaient encore bas ce matin. Mais la « tempête » s’est enfin tue. Miraculeusement est aussi venue dans ma fenêtre une marchande de jonquilles. Elle habite le quartier, je le sais. Sur sa bicyclette, dans une cagette, les premières narcisses de la saison. D’un jaune éclatant. Splendides. Fraîches. Je les aime ! Elles annoncent le printemps. Comme chaque année, avec quinze jours d’avance, me dit-on. Elles ont la couleur du soleil ; celle de l’aurore précisément. Mystérieuse aurore, incertaine encore dans la grisaille du temps…