Alexandre Vialatte: « Chronique découragée du premier jour de l’an »

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Alexandre Vialatte: « Chronique découragée du premier jour de l’an ». La Montagne, 31 décembre 1967.

Le premier de l’an date de la plus haute antiquité. Si loin qu’on remonte dans l’histoire de la Terre, les années ont toujours fini et recommencé. Si bien que le premier de l’an date de bien avant l’homme. Il en a pris une majesté considérable. Il ne cessera que le jour où la Terre, qui tourne à une vitesse terrible, sera usée par le frottement. Son rayon diminue chaque jour. Chaque jour rapproche donc l’homme du centre de la terre. Le dernier jour, n’ayant plus de support, il tournera autour de ses pieds.Finalement, il mourra de vertige.

Coup de coeur! Marie-Hélène Lafon et son « Joseph »…

w640Joseph est le nouveau roman de Marie-Hélène Lafon, après L’Annonce (2009) et Les Pays (2012). Joseph est l’histoire d’un ouvrier agricole, dans une ferme du Cantal. L’histoire aussi d’un monde qui se meurt. Le monde de la « petite » paysannerie de montagne, de ses travaux, de son isolement , de ses silences. Un monde dur à la peine, que quittent les enfants aussitôt nés à l’âge adulte pour s’en aller, gagner leur vie à la ville et fonder maison et famille. Comme Michel, le frère jumeau de Joseph. Joseph qui ne quittera jamais les frontières de son canton que pour y mourir avec pour seul avoir une valise et son nécessaire pour ses obsèques. Depuis toujours, Joseph loge chez ses patrons. C’est un doux Joseph! Il aime les bêtes et l’odeur des étables; il se tient à sa place.

Chronique de Narbonne et d’ailleurs. L’usage du monde, avec Nicolas Bouvier…

674725_0203518562292_web_teteUn vent froid et humide parcourt les rues de la ville. De ses murs sourd une musique de galerie marchande. Sirupeuse , assommante! Le temps de l’Avent est désormais celui des marchands. Comme partout ailleurs, le même village de Noël et les mêmes cabanes aux toits ouatés. De l’autre côté des Barques, des manèges pour les enfants et une gigantesque «montagne russe». Son architecture de ferraille, fait un bruit de fin de monde quand ses voiturettes la dévalent. On crie; on s’amuse a se faire peur. La nuit tombe au milieu du jour quand je sors de ma petite librairie de la rue Droite, pressé de me plonger dans l’univers des Modiano, James Salter, Marie-Hélène Lafon et Nicolas Bouvier. Nicolas Bouvier et son «Usage du Monde» que j’ouvre dans le salon de thé de la rue de l’Ancien Courrier tenu par une sympathique et chaleureuse américaine qui y fait d’excellents gâteaux. Et dès les premières lignes, les perceptions se pressent, se renvoient les unes les autres dans une résonance heureuse où tout est lié : « J’étais dans un café de la banlieue de Zagreb, pas pressé, un vin blanc-siphon devant moi. Je regardais tomber le soir, se vider une usine, passer un enterrement – pieds nus, fichus noirs et croix de laiton. Deux geais se querellaient dans le feuillage d’un tilleul. Couvert de poussière, un piment à demi rongé dans la main droite, j’écoutai au fond de moi la journée s’effondrer joyeusement comme une falaise. Je m’étirais, enfouissant l’air par litre. Je pensais aux neufs vies proverbiales du chat ; j’avais bien l’impression d’entrer dans la deuxième.» (Pages 10 et 11). Chaque phrase est un enchantement, une exploration sans fin des innombrables couches de sens qui composent le réel, me disais je; jusqu’à ce que déboule dans mon petit abri a l’écart du monde, cette furie enfiévrée gueulant dans son portable collé à son oreille la liste sans fin de ses achats du jour.Toute l’ambivalence et les contradictions du monde dans ce seul moment qui les condense toutes. Impossible en effet de partager entre l’or et la boue. Il sera temps plus tard, au milieu de la nuit , de reprendre le cours de ma lecture… La vie quoi!

Le discours de Patrick Modiano pour son prix Nobel de littérature.

le-discours-de-modiano-pour-son-prix-nobel-beau-et-emouvant,M182319Je voudrais vous dire tout simplement combien je suis heureux d’être parmi vous et combien je suis ému de l’honneur que vous m’avez fait en me décernant ce prix Nobel de Littérature. C’est la première fois que je dois prononcer un discours devant une si nombreuse assemblée et j’en éprouve une certaine appréhension. On serait tenté de croire que pour un écrivain, il est naturel et facile de se livrer à cet exercice.

Petit hommage à Simon Leys : « Il n’y a nulle perversion dans le dictionnaire ! »

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Dans « Le bonheur des petits poissons » , de Simon Leys, cette remarque – emplacement 499 sur ma Kindle – qui, aujourd’hui le ferait convoquer devant le tribunal des Biens-Pensant pour s’entendre signifier une « mise en examen » au motif d’avoir porté atteinte à la dignité des femmes et incité à la discrimination raciste :