Chronique du Comté de Narbonne.
Demain sera enfin finie cette « campagne » qui n’en finit plus et nous lasse. Tout aura été dit, de l’inutile et du dérisoire, de l’artificieux et du grotesque ; mais si peu des dangers qui menacent. Les pouvoirs s’en accommodent et ceux qui les délèguent se refusent à l’admettre; quant aux caisses de nos gazettes, elles s’en repaissent au gré d’affaires et de petites phrases savamment mises en scène. Quel spectacle, mon oncle ! La peur, la haine, l’envie, la gloire et la jalousie y jouent toujours les premiers rôles. Immense théâtre de faux semblant, comme en ses terres rochelaises, mon oncle, où l’on vit la concubine du Roi humilier celle qui jadis occupait sa place. De Feydau ou de Racine, auprès de qui s’instruire ? De qui donc Valérie fut le symbole : de Bérénice ou de Titus ? Ne s’agirait-il encore que d’une vulgaire guerre des rosses ? Le succès peut couronner d’abord complots et coupables manœuvres, mais qui s’est élevé par l’intrigue tombera par l’intrigue, n’est ce pas mon oncle ? Car rien finalement ne reste ici bas que le talent. Ici, dans le Comté, de la marquise de Fade et du Sieur Si de Leucate, les heures les séparant d’un fauteuil à la cour sont à présent comptées. Bodorniou, batavien officieux vaincu, est à terre ; l’ayant suivi, de nombreux petits marquis et conseillers du Comté aussi, qui doivent beaucoup au Comte de Labatout ; un comte au dernier moment sorti de l’ombre pour s’en aller rejoindre la marquise de Fade, et qui ne pourra plus jouer l’ambiguïté. Demain, peu importe le résultat, il devra trancher. En aura-t-il la force et le caractère, jusqu’à présent si peu démontrés ? Des ambitions et des rêves de gloire, petits ou grands, seront brisés. On pense alors aux tourments et aux angoisses de tous ceux qui devront un jour payer le prix de ces lachâges. L’un d’entre eux, le sieur Bourseaulit, ayant reçu un orage de grêle sur la tête quelques temps avant son infortune, ne prophétisait-il pas, dans son langage tout droit venu d’un inconscient exagérément libidineux : « Si ça avait été plus long, plus fort et plus gros, ça aurait fait plus mal ». Par charité chrétienne, on ne le lui souhaite pas, mon oncle.
Dans quelques heures, le Royaume aura sa Cour ; le Roi et son gouvernement pourront enfin œuvrer. Il n’est que temps : de lourds nuages assombrissent l’horizon. La fatigue pèse sur mes paupières, mon oncle ! Il est minuit passé… Je t’embrasse, et t’écrirai plus longuement en début de cette semaine. Ton neveu !
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