Conversation d’après confinement avec mon ami Joseph au café de la Paix de Gruissan…
Bien que Joseph ai décidé de ne plus se laisser atteindre par les vagues d’infos qui nous tombent incessamment sur la tête et nous noient le cerveau, il ne pouvait échapper cependant à son petit bain quotidien dans cet océan de nouvelles terrifiantes et d’une abyssale niaiserie, où surnagent parfois de trop rares et stimulantes réflexions et quelques bonnes et saines vérités, me disait-il. Et puis, comment faire, à ignorer ce bruit de fond, pour voisiner avec ceux qui, comme moi et depuis peu sont installés dans leur « cabane» au bord de la mer, ajouta-t-il. Bien que son souci, pour être honnête, précisait-il encore sur un ton facétieux, était plutôt celui du temps des prévisionnistes de météo France que celui de sociologues un brin agités, ou tout simplement déments, sur le monde d’après COVID, qui courent et blablatent en ce moment sur tous les plateaux de télé. Toujours les mêmes, d’ailleurs ; toujours les mêmes avec les mêmes mots et les mêmes préjugés politiques et idéologiques tout droit sortis du marigot politicien. Ceux-là surtout avaient le don de mettre Joseph dans des états proches de l’asphyxie intellectuelle et morale. Ils lui rappelaient ces batailles d’enfants, sur la plage, dont les belligérants finissent, épuisés, couverts d’un sable d’une texture proche de la boue. Bref ! Joseph n’en pouvait plus. Et tout cela lui gâchait le plaisir éprouvé les semaines antérieures à ce déconfinement sans fin, lors de ses longs moments de rêveries solitaires ou aux premières lectures d’auteurs dont il ignorait tout jusqu’àors, comme ce formidable John Fante, l’égal d’Hemingway, selon lui. C’est sur cette note littéraire longuement commentée, d’ailleurs, que nous nous sommes finalement quittés. Nous étions, comme souvent, assis à la terrasse du café de la Paix, à Gruissan ; et c’était jour de marché. À la table voisine, très animée, un homme disait de son ami d’enfance, depuis peu, hélas ! , décédé, qu’il n’avait jamais cru que la terre tournait autour du soleil car, tous les matins, en se levant, il voyait le domaine de « la Capoulade » toujours au même endroit. Pour quelles obscures raisons j’ai retenu ce dernier propos lancé au milieu de éclats de rire, tandis que Joseph se perdait dans la foule, je ne le sais. Il faudra qu’on en parle ensemble, chez lui, dans sa « cabane », pensais-je. Là où tous les jours, précisément, il regarde, muet d’admiration, sa tasse de café à la main, le soleil se lever sur la mer.
Notes :
(Nicolas de Staël écrivait à vingt ans, du Maroc, à ses parents adoptifs: « La vie, c’est si beau, que c’est à se mettre à genoux devant »…)
(Charles Bukowski, à propos de John Fante : « Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. Les phrases filaient facilement à travers les pages comme un courant. Chaque ligne avait sa propre énergie et était suivie d’une semblable et la vraie substance de chaque ligne donnait sa forme à la page. Une sensation de quelque chose sculpté dans le texte. Voilà enfin un homme qui n’avait pas peur de l’émotion. L’humour et la douleur mélangés avec une superbe simplicité. Le début du livre était un gigantesque miracle pour moi et je compris bien avant de le terminer qu’il y avait là un homme qui avait changé l’écriture. Le livre était « Demande à la poussière » et l’auteur, John Fante. Il allait toute ma vie m’influencer dans mon travail.)
Mots-clefs : Café de la Paix, Charles Bukowski, Gruissan, John Fante, Les Ayguades, Nicolas de Staël
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Frédéric
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Merci pour cet instant de vie… Si beau
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