Hugo encensé par Baudelaire. Vraiment ?
Lu 25.11.2024
Dans « le Monde » de Jeudi dernier, Joëlle Gayot consacre sa chronique au spectacle de Fabrice Luchini * : « Fabrice Luchini lit Victor Hugo vu par Charles Péguy et Charles Baudelaire. » Elle y écrit notamment ceci : « Presque deux heures d’une déferlante de sensations, d’émotions et de mots où il n’est question que de Victor Hugo. Hugo encensé par Baudelaire et salué par Péguy. »
Hugo encensé par Baudelaire !? Oui ! Mais en public. En revanche, dans ses journaux ou sa correspondance, son jugement sur la figure tutélaire de l’époque, est très sévère, pour ne pas dire féroce. En témoigne ce qu’il en pense dans ses « Journaux intimes … » :
« Hugo pense souvent à Prométhée. Il s’applique un vautour imaginaire sur une poitrine qui n’est lancinée que par les moxas de la vanité. Puis l’hallucination se compliquant, se variant, mais suivant la marche progressive décrite par les médecins, il croit que par un fiat de la Providence, Sainte-Hélène a pris la place de Jersey. / Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, qu’il ferait horreur même à un notaire./ Hugo-Sacerdoce a toujours le front penché; — trop penché pour rien voir, excepté son nombril. »
Ou bien encore dans cette lettre adressée à sa mère :
« Victor Hugo qui a résidé pendant quelque temps à Bruxelles, et qui veut que j’aille passer quelque temps dans son île, m’a bien ennuyé, bien fatigué. Je n’accepterais ni sa gloire, ni sa fortune, s’il me fallait en même temps posséder ses énormes ridicules. Madame Hugo est à moitié idiote, et ses deux fils sont de grands sots. – Si tu avais envie de lire son dernier volume (Chansons des Rues et des Bois), je te l’enverrais tout de suite. Comme d’habitude, énorme succès, comme vente. – Désappointement de tous les gens d’esprit après qu’ils l’ont lu. – Il a voulu, cette fois être joyeux et léger, et amoureux et se refaire jeune. C’est horriblement lourd. Je ne vois dans ces choses-là, comme en beaucoup d’autres, qu’une nouvelle occasion de remercier Dieu qui ne m’a pas donné tant de bêtise. »
Où se trouve donc la vérité de Baudelaire, s’agissant de Victor Hugo ? Dans l’expression de son jugement public sur l’homme et son œuvre ? Ou bien dans le secret de ses journaux intimes et de sa correspondance privée ? Je ne sais !
Je note cependant, pour lire les journaux ou correspondances d’auteurs célèbres, qu’ils sont, ainsi dégagés de toutes les contraintes mondaines liées à leurs carrières, le plus souvent, d’une extrême sévérité de jugement à l’égard de leurs confrères… maîtres et concurrents.
*Au Théâtre de l’Atelier, Paris 18°, jusqu’au 19 décembre.
Mots-clefs : Baudelaire, Hugo, Joëlle Gayot, Le Monde, Luchini, Théâtre de l'Atelier
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