On ne peut pas comprendre les gens hors du paysage qui les habite.
Cet homme a toujours été pour moi un mystère. C’est dans une librairie-maison de presse dont il était propriétaire que je l’ai rencontré pour la première fois. Je venais de m’installer dans ma ville natale et fréquentais souvent ce bel espace organisé sur trois niveaux. J’y trouvais une grande et riche variété d’ouvrages ; une ambiance de librairie à l’ancienne aussi. J’aimais y passer du temps dans un silence ouaté et des odeurs de papier. La première fois que j’ai rencontré Daniel Tosi, disais-je, comme les jours, les mois et les années suivantes, il était debout devant un présentoir du premier étage. Dans la salle la plus sombre et la plus étroite de son commerce. Je revois encore sa longue silhouette, sèche et légèrement voûtée, son visage pâle et son regard inquiet. Il portait des vêtements de même apparence. Un timide sourire parfois éclairait l’ensemble. Je savais qu’il appréciait ma présence. Mais durant toutes ces années, jusqu’à l’âge de sa retraite et la vente de sa librairie, je n’ai jamais pu ou su percer l’enveloppe soucieuse et tourmentée de cet homme. Un homme que je croisais encore « hier », tous les jours ou presque, sur les grands boulevards et en divers endroits de ma petite cité. Il faisait de longues marches. Son corps était un plus voûté et son bonjour était toujours ce murmure inquiet des paupières. C’est mon voisin – il tient une boutique de livres de seconde main – qui m’a informé de son décès en début de semaine. Il m’a aussi donné un numéro de téléphone et une brochure : « De la naissance de l’Algérie Française à son abandon forcé. Histoire d’une famille pied noire ». De la part de sa femme, m’a-t-il précisé. J’ai lu ce premier tome de cette histoire avec beaucoup d’émotion. L’écriture est simple, élégante, maîtrisée. Tout en retenue, malgré les drames et les passions vécues par Daniel Tosi et sa famille. Au fil de ma lecture je découvrais étonnamment une personne entreprenante, combative, audacieuse ; prenant tous les risques dans des situations parfois tragiques. Et puis l’assassinat d’un frère aîné, la perte d’un pays aimé, le sacrifice d’une vocation. Daniel Tosi était né pour vivre au milieu de vignes, en pleine lumière. Comme son père avant lui. C’est finalement dans l’ombre d’une librairie qu’il aura passé le plus clair de son temps, de sa vie. Sans jamais que le quittent douleurs et brisures. La veille de sa mort, je l’imagine écoutant sa femme lui faire la lecture des « Retour à Tipasa ». Il connaissait sa plage, ses paysages… Dans ce texte, Albert Camus raconte une journée passée à flâner dans les anciennes ruines romaines, grisé par la mer, la campagne et un soleil de plomb. Des pages sublimes sur un paysage intense, débordant de parfums, de couleurs et de chaleur. Des pages gorgées de vie et de lumière. « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». J’aime l’idée que ces mots auront été entendus par Daniel Tosi ; le sourire aux lèvres. Enfin ! On ne peut pas comprendre les gens hors du paysage qui les habite.
Rétrolien depuis votre site.
Didier
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Bonjour Michel,
Je me suis souvent promené dans les ruines dé Tipasa.
Cette photo est belle. Il y manque les odeurs de romarin et de lentisque.
Tu me renvoies 60 ans en arrière, le poil hérissé et la larme à l’œil ….
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