À cet ami qui a choisi d’inscrire dans son quotidien, et le nôtre, de courts récits intitulés « Moments de vie », pour exprimer sa tendresse, sa nostalgie et son désenchantement mais aussi sa volonté de demeurer loin des plaintes, vaines et répétitives, serinées par tant d’apprentis commentateurs de l’actualité qui, se croyant originaux, ressassent les discours de la doxa journalistique, je voudrais dire à la fois mon admiration et ma compassion.
Résistant fermement à la tentation du complexe d’Alceste, il se tient ainsi, droit dans ses bottes, sur les berges de la misanthropie, et salue au passage d’un sourire lointain le bruyant cortège des idées reçues.
Son île à lui, c’est son billet sans destinataire et sans destination, rédigé pour lui-même et lancé sur les ondes d’internet comme une bouteille à la mer avec l’espoir toujours renouvelé d’amener à la réflexion quelques cueilleurs de poésie.
Ce que j’admire en lui, c’est sa renonciation à démasquer la mauvaise foi et la sottise. Pour ma part, je ne suis jamais parvenu à me défaire de cette exigence devenue un travers après avoir été une obsession. Il me connaît depuis longtemps. Il le sait. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Sans doute le résultat d’une déformation professionnelle, peut-être même fonctionnelle, due à l’insatiable volonté de partager mes convictions et de convaincre.
Mais je compatis aussi à la désillusion instillée dans sa vie par cette renonciation.
Il n’y a que deux moyens de s’opposer à la médiocrité ambiante : le mépris ou le combat.
À choisir le mépris, on ressent nécessairement l’inaccomplissement de la tâche pédagogique qui incombe à celui qui sait.
À choisir le combat, on ressent aux échecs renouvelés la vanité de l’entreprise.
Il y aurait bien la dérision qui est une autre forme de combat. Elle convient à celui qui en use, pas à ceux auxquels elle s’adresse. Elle satisfait son auteur par le succès d’audience qu’elle peut susciter mais elle reste aussi vaine que tout autre combat.
Mon ami n’a pas choisi le combat. Il fait le dos rond et passe à autre chose. Il se tait, fait profiter ses amis de ses découvertes et les invite à participer au festin de la littérature. Il découvre des œuvres, des auteurs, les partage avec un cercle d’amis qui se découvrent au fur et à mesure qu’ils le connaissent mieux.
Cette école est celle de l’humilité qui n’impose aucune idée, pas plus celles de tout le monde prônées par le flux des tendances que celle, originale, qui pique la curiosité.
Elle est simplement partage, avec ceux qui veulent bien partager.
C’est peut-être cette humilité qu’à tort j’ai qualifiée de désillusion…. »