Les joueurs argentins ont certes vaincu les Français sur le terrain, mais ils ont perdu leur honneur dans l’après-match. Jamais dans l’histoire de la coupe du monde, il nous aura été donné d’assister à un tel déballage d’obscénités. Qu’il s’agisse de leur gardien de but brandissant la coupe du monde comme un pénis en érection ou des autres joueurs rassemblés autour d’une minute de silence en l’honneur du mort MBappé, cette équipe restera dans l’histoire de ce sport comme l’expression même d’une « morale » de l’indécence, de l’irrespect et du mépris. Et que leur entraîneur et les différentes autorités sportives argentines se soient abstenus de tout commentaire sur ces agissements en dit long sur leur état d’esprit collectif. Quant à Messi, s’il est, paraît-il, un « Dieu » chaussé de crampons, il aura failli à sa mission en ne restant pas à hauteur « d’homme ». Samedi, la noblesse, l’élégance et la tenue était incontestablement du côté de l’équipe de France. Ce match-là, les Argentins et Messi l’ont perdu. Une défaite morale qui devrait être enseignée dans tous les centres de formation.
18126 A. C’est le code de la porte d’entrée de la salle commune. Il a été écrit au feutre noir au-dessus d’un boîtier sur le mur de droite. A demi effacé, on le distingue à peine. Je pousse la porte. Au plafond, des guirlandes et des boules de Noël ont été accrochées. J’aperçois un petit sapin qui clignote derrière la vitre du box des aides soignante. Sur le grand mur qui me fait face, un écran de télévision géant diffuse des images. Le son est coupé. Des résidents – c’est leur nom administratif –, sont assis sur des chaises fixées au sol. Devant eux, au milieu de la salle, cinq d’entre eux le sont aussi sur de grands fauteuils roulants. Tous semblent dans un état comateux, les corps brisés. Pas un mot, pas une plainte ne sort de leur bouche. Parfois, des cris en provenance d’une chambre éloignée se font entendre. J’aperçois ma mère. Elle regarde dans ma direction et je sais qu’aujourd’hui est un mauvais jour. Il faudra du temps pour qu’elle me reconnaisse. Elle me dit qu’elle ne se sait plus où elle est. Tendue, elle crispe ses mains. Pour ne pas crier. Mes caresses cependant l’apaisent. Le temps passe, lourd. Regarder la folie et la mort est terrible. Avant de la quitter, je demande à une jeune aide-soignante de la distraire. Elle lui prend la main et l’entraîne dans un couloir. Je les regarde un instant s’éloigner. Ma mère se retourne. Je lui adresse un petit signe de la main. Elle me répond « tu me téléphoneras quand tu seras rentré ? » J’étais redevenu son enfant. La vie soudain sembla renaître.
Moments de vie : une troublante et douloureuse rencontre.
Trois, quatre ans peut-être que je n’avais pas rencontré cette « figure locale », vicieuse et décrépie, qui marche à l’équerre et pense très bas. C’est malheureusement arrivé en ce début de semaine. Il montait le Cours de la République, je le descendais. Au moment de nous croiser, je me demandais quelle attitude adopter. Lui dire enfin la honte que j’éprouvais encore de lui avoir un jour serré la main. Ou bien continuer mon chemin sans chercher son regard, tant est lourde la charge de mépris que m’inspire ce genre de personnage. J’ai choisi finalement cette dernière option. Cela dit, pendant le bref laps temps où il fut à ma portée, j’ai pu constater qu’il n’avait pas beaucoup changé. Le « patron » est toujours le même, en effet. Court sur pattes, il avance à petits pas désordonnés, sur de petits souliers vernis à talonnettes. Un ridicule qu’au sommet de sa tête soulignent de rares cheveux teints couleur corbeaux, qu’accentuent des joues pleines, flasques et jaunes. Avec, au milieu de ce visage en forme de poire, une bouche constamment entrouverte sur une denture équivoque. Il n’est pas le seul dans son genre, me disais-je. On en trouve des copies dans tous les milieux sociaux et cénacles plus ou moins discrets de nos villes et campagnes. Ils aiment y barbouiller et se prétendent philosophes. Le reste des attributs de ce type d’homme, petit, fat, ridicule et grossier importe peu finalement. Mais voilà, je ne pouvais le lui dire hier et ne le lui dirait jamais. Se rendre compte trop tard des blessures d’amour-propre causées par la fréquentation, même éphémère, contraintes ou tolérées de certaines personnes, est une expérience douloureuse. Combien d’entre nous y avons succombé, hélas, victimes de vraies « petites lâchetés » et de fausses « bonnes manières » ? L’âge désormais, fort heureusement, m’en préserve. Contrairement à ce qui est souvent dit et pensé, le vivant, je ne me suis jamais senti aussi libre…
9 heures ce matin. Le téléphone sonne. Sur l’écran de mon smarphone apparaissent les noms et prénom d’un adjoint au maire que je connais bien. Un nom qui sonne comme le mien. Ses parents sont « valenciens », mes grands-parents étaient de Cox et de Fuente Alamo. « Bonjour Michel ! j’ai quelque chose pour vous, pouvez-vous passer au salon tout à l’heure ? — Bonjour Éric ! Oui, mon boulanger est à côté de votre boutique. Vers les onze heures, ça vous convient ? — Parfait ! » À l’heure convenue, je pousse la porte de son salon. Éric coupe et rase. il lâche son client et ses ciseaux, puis me tend, un paquet « Voilà ! C’est pour vous. » Sans réfléchir, je m’exclame : « Des mantecaos ! — Oui, je me souviens d’un billet que vous aviez écrit sur ces gâteaux. Ceux-là ont été faits par ma mère. Et je sais ce qu’ils représentent pour vous. » Ce geste inattendu m’a touché, ému. Ces gâteaux sont en effet associés à l’image de ma tante Dolorès, Lola ! Son souvenir est toujours vivant en ces jours de décembre. Je la revois encore préparer « ses » mantecaos dans cette pièce étroite et sombre, au plancher branlant, qui servait de cuisine et de salle à tout faire : manger, laver les corps et le linge ; de chambre aussi à l’occasion quand s’installait chez elle un cousin venu du village de mon grand-père, Cox.
Ses mains agiles étaient alors couvertes d’une fine poudre blanche qui dissimulait en partie des ongles et des doigts abîmés par de pénibles travaux domestiques dans de bourgeoises maisons où elle était employée. Ses mains, je les trouvais cependant belles ; et mon insistance à les observer, m’attirait souvent d’affectueux sourires de reproches. À la « bader » ainsi, me disait-elle, ses mantecaos allaient «virer». Et ses étoiles, ses lunes et ses soleils n’auraient pas le fondant et la friabilité qui les faisaient craquer sous la dent. Rien au monde ne pouvait m’éloigner d’elle en ces circonstances. Elle était si sûre de son art et si fière des plaisirs qu’elle allait nous donner les jours suivants ! Surtout quand les premiers mantecaos étaient servis à la fin du repas de midi du dimanche suivant. Lola alors attendait, droite, les bras croisés sur son tablier serré à la taille, les manifestations de joie de l’enfant que j’étais en ce temps-là. Jusqu’à ce qu’elle perde la mémoire et les mots, malgré l’éloignement, chaque année, à la même période, Lola ne manquait jamais de m’envoyer, où que je fus, un plein colis de ses merveilleux biscuits de Noël ; colis qu’elle enveloppait dans une vieille édition du journal local qu’enserrait une solide cordelette savamment nouée. Sur l’étiquette, mon nom et mon adresse étaient écrits, tout en rondeurs. Longtemps, très longtemps, j’ai toujours reçu les mantecaos de Lola. Toujours à la même date, à la même « heure ». Depuis que Lola n’est plus de ce monde, les rares fois où le désir me pousse devant un présentoir qui en expose quelques uns, je sais toutefois en pensant à elle, qu’ils ne pourront jamais égaler le goût des siens.
Dans la rue Rabelais, au 32, qui n’est plus, il m’arrive parfois d’entrevoir, au travers de la fenêtre du troisième étage de cet immeuble qui fut condamné à la démolition et souvent squatté, et où demeurent encore d’aimables fantômes, celle qui avait, plus que toute autre, le culte de la famille et de la générosité. Une générosité au goût plein et riche de ses mantecaos.
Éric, ce matin, m’a fait un très beau cadeau. S’il lit ce petit texte, il comprendra l’émotion qui fut la mienne quand je le reçu. Il est des gestes simples qui parfois soulèvent la corne jaunie par les ans.
Le 3 avril 2017, j’ai écrit dans mon blog un billet en mémoire de Gérard Calvet, un ami peintre qui venait de mourir. Depuis, j’entretiens une correspondance avec une de ses filles, Lise. Une correspondance à laquelle vient de s’adjoindre, à ma grande surprise, Nicholas Peters, un citoyen américain vivant en Caroline du Nord, à Asheville, précisément. Dans son premier message reçu la semaine dernière en commentaire de ce billet du 3 avril 2017, Nicholas me fait savoir qu’il avait vécu avec ses parents à Paris, de 1959-1966, et que son père avait alors acheté plusieurs tableaux de Gerard Calvet. Au cours des années, il avait hérité de trois d’entre eux, et de très beaux, précise-t-il. Il ajoute encore dans un français tout à fait convenable que « c’est seulement en trouvant votre blog que j’ai apris que Calvet est decede. Ses tableaux sont dans des places d’honneur dans ma maison dans un couloir, un salon, et une chambre a coucher. » La « Toile » est souvent critiquée, me disais-je en le lisant, mais on y fait parfois de surprenantes et très belles « rencontres ». Lise, en tout cas, sait désormais que trois tableaux de son père sont accrochés en bonne place chez Nicholas, à Asheville, et qu’ils lui « donnent beaucoup de bonheur ». Entre temps, elle lui a écrit et nous avons reçu tous deux, jointes à la réponse de Nicholas, trois photos de ses « Calvet » américains…