Contre-Regards

par Michel SANTO

Rentrée ! Mon bon Môssieu, avant c’était mieux !

 
 
 
 
 
 
Di.4.9.2022
 
 
 
Une enseignante que je connais, à la retraite depuis 20 ans, me disait que, jeune dans la profession, on recrutait déjà des militaires à la retraite pour pourvoir des postes de lycées ; que, de tout temps, il y avait eu pénurie de profs de maths dans le secondaire. Elle me disait aussi qu’elle avait vu arriver des déferlantes d’instituteurs, toujours dans le secondaire, qui, du jour au lendemain, s’improvisaient prof de physique ou d’histoire-géo… J’en ai d’ailleurs eu de ce genre dans mon collège. Et des bons ! jusqu’au BEPC… Aussi ai-je du mal à comprendre le procès fait à l’actuel Ministre de l’Éducation Nationale qui s’efforce de combler les postes d’enseignants titulaires vacants en recourant à des personnes ayant été recalées aux divers concours de recrutement depuis cinq ou six ans, notamment. Il braderait le principe républicain du concours, alors qu’il a, de fait, toujours été contourné sur les marges : l’ajustement parfait entre besoins et sélection administrative par cette seule voie étant par définition, si je puis dire, impossible. Rien de nouveau donc dans l’histoire de ce grand service public, contrairement à ce que je lis et entends un peu partout…
C’est comme l’orthographe et le français. Une désolation, du jamais vu, une catastrophe morale et intellectuelle. « C’était mieux avant ! » Eh ben, non ! En 1966, jeune engagé volontaire, après mes classes et mon « peloton », j’avais accès aux dossiers militaires des jeunes appelés du 3ᵉ RPima de ma section. La dernière page de ces dossiers était une feuille manuscrite sur laquelle chacun avait écrit, dès son arrivée à la caserne Laperrine, ses « premières impressions ». Elles étaient tout simplement Illisibles ! Illisibles, alors que je vivais dans l’idée que tous les jeunes gens de ma classe d’âge avaient au moins le BEPC et écrivaient proprement sans trop de fautes de grammaire et d’orthographe. Je découvrais alors, stupéfait, que j’étais entouré d’analphabètes ou presque venant de toutes les régions rurales et ouvrières de France.
Aussi, je ne laisserai jamais dire qu’avant, c’était toujours mieux !
 
 
 
 
 
 

Mauvaises pensées de rentrée…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ve.2.2022
 
Humeur.
 
J’entends souvent dire autour de moi que nous vivrions dans une société où l’individu maître de soi, égoïste et borné serait désormais et malheureusement la norme. Pourtant, il suffit de voir comment la foule se comporte sur nos plages, terrasses de café et promenades, pour se convaincre que son comportement est en vérité plus proche des pingouins – pingouins, eux, parfaitement inoffensifs ! Comme ceux – c’était touchant ! – aperçus l’autre soir, sur Arte, dans un documentaire animalier. Semblables aux espèces animalières grégaires, la nôtre a donc fait sa rentrée. Et, très vite, n’en doutons pas, on va la voir défiler rituellement sur nos écrans, dans nos villes et dans nos rues, en bandes, troupes et meutes pareillement organisées.
 
 
 
 
 

Il faut aussi que toutes ces attentes cessent, pour n’en garder qu’une…

 
 
 
 
 
 
 
Place de l’Hôtel de Villee.1.9.2022
 
Lecture. Moment de vie…
 
 
Alain Monnier a inventé un de ces anti-héros très attachants, Barthélémy Parpot. Il l’a mis en scène dans quatre romans, d’abord édités par les Éditions Climats dans les années 1990-2000, puis réédités et réunis ensuite dans un seul volume publié en livre de poche : Le Petit monde de Barthélémy Parpot, Paris, Flammarion/ 2015.
Un Petit Monde que je connais, pour avoir lu, dès leur sortie, les histoires de ce rebelle passif ou involontaire qui n’a aucun projet subversif sinon d’être et de vivre comme tout le monde. Son créateur présente ainsi Barthélémy Parpot : « Le sort ne l’épargne pas mais il s’en accommode, il sourit, il est sans rancune, il trouve des excuses aux uns et aux autres, il formule des explications sans amertume ni animosité. Il est à cent lieues des revendicatifs et des acrimonieux qui envahissent l’espace public. » C’est dire aussi qu’il y a dans chacun des romans d’Alain Monnier, une part de conte ou de fable : « C’est un côté qui peut agacer mais qui personnellement me plaît… La morale permet de se tenir debout et d’installer le respect indispensable à la vie en société… Tous ces individus d’aujourd’hui, arcboutés sur leurs seuls droits, me fatiguent ».
En ce moment, je lis « Place de la Trinité », publié en 2012. Un roman d’amour, une satire de notre époque et de ses vanités ; et une fable donc sur les paradoxes de nos destinées humaines.
Voici l’histoire ! Adrien Delorme, quarante-huit ans, est « maître de conférences en littérature et rattaché au laboratoire de recherche intertextuelle qui planche avec acharnement sur l’œuvre de Flaubert. Laboratoire qui emploie douze chercheurs sur le décryptage des torchons du bougon. Le drame d’Adrien, c’est qu’il déteste Flaubert, et qu’il ne peut pas le dire… Allez clamer dans l’université que Flaubert vaut tripette, et ce sont – debout les morts ! – Sartre, Proust, Foucault qui sont convoqués, articles ou études en avant, pour démontrer à quel point vous êtes un âne. Dont acte. Donc, on se tait. Donc, on laisse douze types publier des supputations qui n’engagent qu’eux jusqu’à leur retraite. Tranquilles peinards, ce ne sont pas eux qui vont nous flinguer le CAC 40 ou le PIB. »
La vie d’Adrien Delorme a pour centre d’attraction la « Place de la Trinité », cette place que les Toulousains connaissent bien. Il y habite, a ses habitudes de café et de librairie, et surtout y déjeune une fois par semaine avec Louise. De douze ans sa cadette, la jeune femme, mariée et mère de deux enfants, ne partage pas l’amour que lui porte Adrien. Sept siècles plus tôt, Pétrarque y fit une halte et décida alors de se lancer dans l’écriture de son chef-d’œuvre, le Canzoniere, dédié à la passion platonique qu’il éprouva quarante ans durant à l’égard de Laure. Un jour, Louise ne vient pas au rendez-vous. Face à cette absence qui bouleverse son existence, Adrien ne quitte plus la place de la Trinité afin d’attendre le retour de l’aimée…
Voilà pour la trame de cette histoire qui, sous le regard tendre et doucement ironique d’Alain Monnier, présente un catalogue de tous les travers de notre modernité. Une modernité faite et écrite par des démagogues rageurs, des bien-pensants agressifs, et des cyniques de tout poil qui fait le quotidien d’Adrien Delorme et le nôtre. Le style d’Alain Monnier, d’une élégance classique qui n’est pas sans me rappeler celui d’un Sempé, ajoute au plaisir de lecture de ce petit – et vif – roman. Christian Authier note avec raison sa lucidité désolée et sa proximité de ton avec Marcel Aymé…
Un dernier mot enfin, pour dire que « Place de la Trinité » est aussi un bel éloge de l’attente… : « Adrien savoure l’idée qu’on passe sa vie à attendre. Un train, une lettre, le résultat d’un scanner, le verdict, que la nuit tombe, le lendemain, la fin du film. On attend l’année prochaine. On attend la date anniversaire, les dates anniversaires. Comme Pétrarque. On attend nos premières fois. Avec angoisse et émotion. Il faut aussi que toutes ces attentes cessent, pour n’en garder qu’une, la seule qui nous importe vraiment, qui nous concerne jusqu’au bout. Jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier râle. Ce qui sera notre dernière première fois. »
C’est hier après-midi que m’est venue l’idée de cette chronique littéraire. Au sixième coup de cloche ! J’étais alors assis à la terrasse du Petit Moka, Place de l’Hôtel de Ville de Narbonne. Il y avait beaucoup de monde autour de moi. Des touristes surtout. On les reconnait à l’allure. Ils tournent, traînent et attendent. En bandes ! C’était ma première sortie en ville depuis que la Covid m’avait mis sur le flanc. Et j’attendais… Seul ! Un coup de fil de Mila, ma petite-fille, est venu interrompre mes rêveries. Elle voulait me chanter une chanson. En vérité, elle me demandait de rentrer… Et puis…, un des personnages secondaires de ce roman, un nommé Ramon Sempéré, photographe plasticien et intermittent du spectacle toujours en quête de subventions, est né à Narbonne, rue du Four-à-Chaux (des Fours à Chaux, plus précisément). Un indice qui a éveillé ma curiosité et m’a conduit à me renseigner sur Alain Monnier. Pour découvrir qu’il s’agissait du nom de plume d’Alain Dreuil, né le 14 juillet 1954 à Narbonne. Un jour peut-être prendrons-nous un café ensemble place de l’Hôtel de Ville. Qui sait ?
 
 
 
 
 
 

Une ordonnance post Covid pour le festival de « Mon corps trésor », le 17 septembre à Moussan.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Di.28.8.2022
 
Mon ami Philippe P. * est médecin. Il m’a envoyé, ce matin, par courriel, son ordonnance. En objet : « La Covid est sensible à l’humour, elle peut en crever ». Il m’avait trouvé la veille, au téléphone, las et d’humeur morose. J’ai donc ouvert son fichier PDF joint, et lu ceci :
 
L’association narbonnaise « Mon corps trésor » organise son premier festival le 17 septembre à Moussan. Les visiteurs pourront participer à des « ateliers et des animations : fabrication de serviettes menstruelles lavables, d’une broche vulve, d’un cyanotype. » D’autres, mais sans réservation, seront aussi proposés : « café ménopause, ateliers arbre de vie, ayurvéda, danse sensorielle et biodanza, yoga, écriture, automassage…  » La prise de selfies « rigolos avec des accessoires dans le « cli (pho) to …  » sera autorisée. Deux spectacles en soirée clôtureront ce festival : « Les Monologues du vagin avec Catherine Coole, et une prestation de Free bird cabaret, chant, danse, effeuillage burlesque…  » Un festival qui s’adresse à toutes les femmes et les hommes, car, précise son organisatrice, psychothérapeute de profession : « il n’y a pas d’âge pour faire sauter les verrous et découvrir de nouvelles pratiques corporelles. » Source : La Dépêche du Midi.
 
Sous sa signature, il a ajouté : « J’y serai ! Il y aura aussi des cours de  barbecues dégenrés. Sandrine Rousseau devrait les diriger. Enfin, je crois ! Bien à toi visage pâle ! Fais sauter les verrous !
 
 
* Si le festival évoqué est bien annoncé par la presse dans le paisible village de Moussan, cette correspondance étant le fruit de mon imagination, toute ressemblance avec des noms existants serait purement fortuite.
 

Illustration : Reproduction de la Vénus de Willendorf. 

 
 
 
 
 
 
 
 
 

Moments de vie : « Je ne voyais plus que ses immenses yeux verts… »

     

Sa.27.8.2022

Moments de vie.

Il était environ 8 heures 30 du matin. J’étais en avance. La pharmacie de la Grand’Rue n’ouvrait en effet qu’à 9 heures. En attendant, je suis allé à la boulangerie d’à côté, déjà très animée. La file d’attente était longue. J’y ai pris calmement ma place tandis que deux vendeuses habiles servaient des clients manifestement pressés. Des femmes d’un âge moyen, surtout ! Vêtues et coiffées « à la va-vite », cabas aux bras. Devant moi, un vieil homme en short et « Marcel ». Petit et tordu, les cheveux gris embrouissaillés, il sentait le linge sale. J’ai demandé un croissant, que j’ai mangé sur la terrasse en bois, devant l’entrée. Un énorme chien-loup aux poils fanés y roupillait. D’instinct, il a mollement ouvert un oeil. Pour le refermer aussitôt. Un couple de jeunes touristes sortis du lit s’est installé à la table voisine. Ils avaient commandé un petit déjeuner complet. Vite avalé. En silence ! La cloche de l’église s’est mise à sonner les premiers coups de 9 heures. Au dernier, trois hommes du lieu ont applaudit la sortie de la jeune employée de la pharmacie armée de son drapeau étendart. Ils riaient ! Je pouvais donc enfin entrer. « Oreilles bouchées, écoulement nasal, maux de tête, bouffées de chaleur… et fièvre, ce matin… Je crains… Covid… » Après quoi, une jeune fille en blouse blanche ma gentiment prié de m’installer sur une chaise, dans un coin de l’officine. La pharmacienne ferait le test, m’a-t-elle annoncé. Grande, longue et fine, cette dernière s’est approchée. Masquée, évidemment. Elle m’a fait quelques chatouillis insistants dans le fond des narines. Je ne voyais plus que ses immenses yeux verts. L’étaient-ils ? Je ne sais plus. C’est en tout cas ces yeux-là que je garde encore à l’esprit. Ils souriaient… « J’espère que ça n’a pas été trop désagréable ? Vous aurez le résultat du test dans quelques minutes. On vous appellera. » Je n’avais pas fait trois pas dans la rue, que je recevais un message SMS : « test Covid positif ». C’était mercredi matin ! Depuis, je vis cloîtré. Le corps en panne. Lourd et fatigué. J’ai de la peine à écrire ces quelques lignes. Lire est tout aussi difficile ! Ces moments sont désespérants. On découvre qu’on a tout oublié – ou presque – des centaines de livres lus et accumulés dans sa bibliothèque. Qu’ils ne sont d’aucun secours ! Seule compte à nos côtés la présence de la personne aimée. On y puise l’énergie nécessaire pour tenir à distance nos angoisses. Ou de prendre son clavier et tenter d’arrêter le temps : quelques instants, une image. Comme les immenses yeux verts d’une inconnue penchée sur mon visage …

   

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