Contre-Regards

par Michel SANTO

Le capital érotique de Catherine Akim.

 
   

 

LLafranc, dimanche 26 avril. Assis à la terrasse du LLevant, une de mes « querencias » de ce petit coin de la « Costa brava » encore protégé, je lis l’édition dominicale de « la Vanguardia » et m’arrête, alléché par son titre, sur la chronique de Luis Racionero : « Las eroticas capitalistas ». Il y présente une étude de la sociologue britannique Catherine Hakim selon laquelle le capital érotique serait le 4e pilier d’une personnalité moderne, en sus du capital économique, du capital culturel et du capital social. Un capital érotique qui ne concernerait pas que les  «  choses » du sexe ou le mariage. Dans nos sociétés modernes  où la culture est hyper sexualisée, nous est-il, en effet, précisé, le capital érotique prend de plus en plus de valeur sur le marché du travail, au sein des médias, de la politique, de la communication et de la publicité. Et les femmes seraient mieux dotées que les hommes ! Question de Luis : pourquoi ? parce que (je le traduis) « Dans la loi de l’offre et de la demande de coït, l’injuste nature a truqué la balance de sorte que la demande du mâle sera très supérieure à l’offre de la femelle et, comme tout le monde le sait, le prix monte et celui qui met le prix et le perçoit, c’est la femme. » Mais comme elles vivent dans des sociétés patriarcales, elles seraient tentées de ne pas se servir de cet «  avantage comparatif », les hommes « s’efforçant de construire des idéologies morales pour empêcher les femmes d’exploiter leur capital érotique et d’en tirer des bénéfices économiques et sociaux ». Et l’auteur(e) de se lamenter que les féministes ne soient pas capables de libérer les femmes de la perspective patriarcale. Certes, mais il est de nombreuses femmes qui plutôt que de suivre les méthodes radicales des féministes, préfèrent continuer d’exploiter leur capital érotique avec ou sans patriarcat, conclue L. Racionero.

Ce que je n’ai pas manqué de constater à la table voisine…

 

 

La hyène ricaneuse.

 

 

Article très intéressant de  » Slate «  sur la Hyène ricaneuse. A le lire au second degré on en tire un réel plaisir de lecture. Ainsi ce paragraphe où, je ne sais pourquoi, j’ai immédiatement pensé à un de nos amuseurs-sniper qui, tous les matins , sur une radio du service public, tire à vue et vulgairement sur tout ce qui se présente dans son champ de vision. A la condition toutefois que ses cibles soient dans le camp des méchants opposés à la bienpensance morale auto-proclamée. Un exercice très gratifiant au plan symbolique, sans danger et grassement payé :  » … en termes d’image publique, la hyène est avant tout handicapée par son rire. Gloussement innocent pour l’oreille objective, elle sonne pour beaucoup d’hommes comme un ricanement démoniaque qui annonce quelque plan machiavélique. En réalité, la hyène émet ce son caractéristique quand elle n’arrive pas à obtenir ce qu’elle veut; c’est l’expression d’une excitation mêlée à de la frustration. Les variations dans la hauteur du rire sont par ailleurs révélatrices de l’âge et du statut social. La hyène possède en effet un répertoire vocal parmi les plus riches de tous les mammifères terrestres, primates compris. Le rire n’est que l’une de ses nombreuses vocalises, à côté par exemple du cri enjoué qui signifie «je suis là», et de la kyrielle émouvante de murmures et de grognements échangés entre la mère et ses petits. « 

« Nous n’avons pas besoin d’en promettre tant et plus »

 

 

 

Sur les retraites, « nous avons nos réponses » prêtes, a assuré Martine Aubry, l’ancienne ministre des Affaires sociales. Ouf ! Nous voilà rassurés. Mais : « … ce n’est pas nous qui sommes au gouvernement et nous ne souhaitons pas faire des propositions pour que le gouvernement en picore une ou deux, celles qui l’arrangent, et dont on sait qu’elles ne régleront pas le problème » Ciel ! On attendait des propositions sérieuses et c’est une mesquine esquive qu’on nous délivre. En se cachant derrière un calendrier, qui ne serait pas le même que celui de Fillon. Comme à l’école, ces « premières de la classe » qui se planquent derrière leur cahier de texte. A l’inverse d’un François Hollande, bien dans sa tête et sur de sa valeur, qui lui nous tient un discours de vérité (voir aussi son commentaire dans « Fugues et fougue ». Tout simplement responsable. Notamment sur les retraites : «  il n’existe pas des recettes miracles qui nous dispenseraient d’un effort contributif et productif pour préserver le niveau des pensions. Il faut avoir conscience d’une chose : avec le niveau actuel du déficit public – plus de 8 % du PIB – les prélèvements que nous lèverons là, nous ne les mettrons pas ailleurs ! C’est pourquoi l’avenir des retraites ne peut se résoudre uniquement par l’impôt. » Des propos dignes d’un homme d’Etat, quoiqu’on puisse penser par ailleurs de ses engagements idéologiques : «  Nous hériterons en 2012 d’une situation comme jamais la gauche n’en a connue : faible croissance, endettement record et compétitivité dégradée. C’est un quinquennat de redressement qu’il nous faut préparer. » Une autre musique que celle d’une candidate-virtuelle à l’élection présidentielle nouvellement acquise à la « société du care » et qui a reçu récemment de Jean Michel Apathie le prix de la « nunucherie avec palmes ». 

La prospérité du vice, de Daniel Cohen.

 

Conclusion de l’excellent résumé-critique d’Alain Sueur ( merci à Alain Argoul! ) de l’excellent livre de Daniel Cohen « La prospérité du vice-une introduction inquiète à l’économie ». Pour ceux qui n’ont pas le temps de lire ce genre d’ouvrage, qui ne connaissent pas son auteur et qui, peut-être, seront inciter à s’y intéresser d’un peu plus près… 

Extrait :

« Après une excellente critique du keynésianisme béat (p.244-46), Daniel Cohen voit le déclin de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et au monde qui émerge dans quatre éléments : enseignement et recherche éclatés, dédain de la puissance militaire moteur de l’innovation, sentiment tragique de l’histoire qui incite à s’en retirer alors que les autres gardent l’optimisme des Lumières, incompréhension de l’économie du star-system qui permet seule une rentabilité sur les produits de l’immatériel.

La question du futur va être de passer d’un monde infini à celle d’un univers clos : l’inverse de l’expérience européenne du XVIIIe siècle. « Cet effort n’est ni impossible ni même improbable, mais plus simplement : il n’est pas certain » (p.280). A civilisation mondiale unique, danger d’erreur maximal !

Le lecteur parcourra l’histoire économique de haut, avec des résumés clairs des apports des chercheurs, auxquels il manque surtout Fernand Braudel. Les risques de l’économie sont clairement politiques : le nationalisme, les inégalités, les revendications sociales d’envie, le dédain de la planète, les incapacités à réguler la finance. C’est ce qu’il fallait démontrer et Daniel Cohen l’a fait brillamment. »

De l’art de la dispute.

     

Toujours d’actualité notre cher Montesquieu! Sa 36 ième lettre, notamment…:

 

 » Usbek à Rhédi, à Venise.

Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques-unes de ces maisons, on dit des nouvelles ; dans d’autres, on joue aux échecs. Il y en a une où l’on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que lorsqu’il y est entré.

Mais ce qui me choque de ces beaux esprits, c’est qu’ils ne se rendent pas utiles à leur patrie,  et qu’ils amusent leurs talents à des choses puériles. Par exemple, lorsque j’arrivai à Paris, je les trouvai échauffés sur une dispute la plus mince qu’il se puisse imaginer : il s’agissait de la réputation d’un vieux poète grec dont, depuis deux mille ans, on ignore la patrie, aussi bien que le temps de sa mort. Les deux partis avouaient que c’était un poète excellent ; il n’était question que du plus ou du moins de mérite qu’il fallait lui attribuer. Chacun en voulait donner le taux ; mais, parmi ces distributeurs de réputation, les uns faisaient meilleur poids que les autres. Voilà la querelle ! Elle était bien vive : car on se disait cordialement, de part et d’autre, des injures si grossières, on faisait des plaisanteries si amères, que je n’admirais pas moins la manière de disputer, que le sujet de la dispute. « Si quelqu’un, disais-je en moi-même, était assez étourdi pour aller devant un de ces défenseurs du poète grec attaquer la réputation de quelque honnête citoyen, il ne serait pas mal relevé, et je crois que ce zèle, si délicat sur la réputation des morts, s’embraserait bien pour défendre celle des vivants ! Mais, quoi qu’il en soit, ajoutais-je, Dieu me garde de m’attirer jamais l’inimitié des censeurs de ce poète, que le séjour de deux mille ans dans le tombeau n’a pu garantir d’une haine si implacable ! Ils frappent à présent des coups en l’air. Mais que serait-ce si leur fureur était animée par la présence d’un ennemi ? »

Ceux dont je te viens de parler disputent en langue vulgaire, et il faut les distinguer d’une autre sorte de disputeurs, qui se servent d’une langue barbare qui semble ajouter quelque chose à la fureur et à l’opiniâtreté des combattants. Il y a des quartiers où l’on voit comme une mêlée noire  et épaisse de ces sortes de gens ; ils se nourrissent de distinctions ; ils vivent de raisonnements et de fausses conséquences. Ce métier, où l’on devrait mourir de faim, ne laisse pas de rendre : on a vu une nation entière, chassée de son pays, traverser les mers pour s’établir en France, n’emportant avec elle, pour parer aux nécessités de la vie, qu’un redoutable talent pour la dispute.

Adieu.

De Paris, le dernier de la lune de Zilhagé 1713. »

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