Pourquoi cet acharnement sur le « cadavre politique » encore chaud de François de Rugy ?…

Illustration : journal l’Humanité.
 

Je fais pourtant l’effort intellectuel et moral pour contrarier ma répugnance naturelle pour ce genre de chasse à l’homme savamment orchestrée par Médiapart, mais les meutes soulevées à l’occasion sur les réseaux sociaux — surtout — souvent ignobles, me ramènent toujours à ce qui est à la source de ce journalisme d’investigation à savoir — n’ayons pas peur des mots —  la délation ; son existence économique, commerciale et financière, elle, puisant son carburant, dans l’envie et la jouissance enfouies au coeur des hommes d’abattre ceux détenteurs d’un quelconque pouvoir — surtout politique — , au nom de la justice et de l’égalité.

Cela dit, j’entends bien, évidemment, que, sans cette presse, des faits et des comportements  de « puissants » moralement scandaleux au regard des normes socialement établies par les mêmes — rigueur, austérité, intérêt général, sacrifices etc. —  soient révélés au grand public et, de fait, pour eux, d’en payer le prix politique et public quand ils s’agit manifestement d’abus de pouvoir ou de crimes d’État. J’entends aussi que l’autorité n’est rien sans exemplarité. Est-ce que la faute de François de Rugy — qui réside  plus dans le choix des convives et l’objet même du dîner, que dans les « fastes républicano-monarchiste » pratiqués depuis des lustres —  méritait cet acharnement et cette recherche systématique des fautes qu’il aurait pu commettre dans le passé ? À chacun d’en juger. Quant à moi, je suis abasourdi et terrifié par ce que je lis sur les réseaux sociaux où s’expriment sans retenue des manifestations de cette joie mauvaise sur le « cadavre politique » encore chaud de l’ex-ministre d’État… Imagine-t-on ce que serait l’état de nos institutions si tous les maires, présidents de conseils départementaux et régionaux et leurs collaborateurs, notamment, étaient eux aussi convoqués devant le tribunal de l’opinion publique par leurs journaux locaux respectifs au motif que tous pratiquent déjeuners et dîners de « travail, en compagnie de chefs d’entreprises, d’élus, de journalistes (qui sont aussi des « amis » !), agapes dont la facture est envoyée directement à leur chef de services financier — ce qui ne risque pas d’advenir, ce type de presse régionale étant encore plus dépendante du pouvoir politique que la parisienne (publi-promotion, abonnements collectifs et massifs etc.)

Cette pratique des médias n’est évidemment pas conjoncturelle. C’est en effet une tendance lourde, fait remarquer le sociologue des médias Benoit Lafon. Elle résulte de « la nécessité pour le monde des médias, le “champ médiatique”, de s’affirmer face au “champ politique”.  Un champ dont l’idéologie  se résume en deux mots : transparence et  « moralisation ». À cette nécessité s’ajoute le pouvoir de définir et d’imposer la norme éthique dans la sphère politique et dans chasser les contrevenants. Pouvoir qui est est aussi une technique trivialement commerciale. Lancer des « meutes numériques », c’est en effet produire des « clics », faire de l’audience et gagner des parts de marchés. Dégager de la « marge » et des profits ne se fait pas en vendant de l’information « sérieuse » sur des sujets compliqués ! Comme le suggère le philosophe du langage Paul-Marcel Lemaire. « La compétition entre médias ne s’exerce plus au niveau de la qualité de l’information ou de l’analyse critique, mais dans l’intensité de l’appui ou du rejet manifesté aux pouvoirs en place, que ces pouvoirs soient politiques, économiques ou symboliques. » À noter qu’à ce pouvoir de déclenchement des meutes, tous les « titres » collaborent en reprennant et faisant  tourner en boucle, et en continue, avec les mêmes éléments de langage, les « faits » mis sur le marché par l’un d’entre eux. C’est même « typiquement un événement de routine, ajoute Benoit Lafon, il n’a pas besoin de reposer sur un événement majeur. Les journalistes créent eux-mêmes l’agenda, en produisant une information qui trouve – ou non – sa légitimité auprès du public. Tant que ça mord, ils continuent. Quand ça lasse (car ça finit toujours par lasser), ils changent de cible ».

Par nature, s’engager en politique, exercer des responsabilités à tous les niveaux de l’administration publique, c’est ne plus avoir « d’amis ». Rien du passé et du présent ne peut plus désormais rester secret. Le secret, encore une fois, est une matière première à haute valeur ajoutée médiatique. Dans un contexte où les mouvements populistes et l’idéologie anti-politique s’auto-alimentent, la prudence et  la sobriété de nos représentants politique deviennent des impératifs de première urgence — avant la catastrophe ! Sans leur demander de céder cependant à cette forme de puritanisme moderne — certains courants écologistes en sont la plus verte expression — qui voudrait nous faire rejeter un certain art de vivre Français… au profit du Suédois.

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Commentaires (7)

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    coupeaux

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    Quand on fait de la politique je pense qu’il faut être honnête. Malheureusement, aux postes important, on ne résiste pas toujours et on se croit tout permis. Le Général et son exemple sont oubliés…

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    dumas

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    Laissons le temps au temps. Il fera son œuvre en bien ou en mal.
    En attendant, les coupeurs de tête fouille-merde se repaissent de particules élémentaires, tristement regrettables mais dont la pratique est générale, pour assassiner le peu de démocratie qui reste aux citoyens de ce pays.
    Si l’audience journalistique se mesure à un tel suivisme, alors nous allons tous déchanter.
    J’en suis à me demander si il n’est pas trop tard.
    Mitterrand, Fillon, Sarkosy, DSK aujourd’hui De Rugy et d’autres bientôt…

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      Pichon

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      @Dumas
      Coupeurs de têtes , comme vous y allez. Et je constate que vous mettez dans le même sac les têtes de MM Miterrand et Fillon, Si vous étiez journaliste je craindrais le pire

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    Pichon

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    Quel drôle de tour de passe-passe vous faites.
    Faire un article sur la presse en la fustigeant au point de craindre qu’elle puisse s’en prendre à TOUS les hommes politiques qui je vous cite :
    « les maires, présidents de conseils départementaux et régionaux et leurs collaborateurs, notamment, étaient eux aussi convoqués devant le tribunal de l’opinion publique par leurs journaux locaux respectifs au motif que tous pratiquent déjeuners et dîners de « travail, en compagnie de chefs d’entreprises, d’élus, de journalistes (qui sont aussi des « amis » !), agapes dont la facture est envoyée directement à leur chef de services financier »
    n’est-ce pas pratiquer ce que vous lui reprocher à la presse?
    Pour ma part, j’estime que mélangez tout, dans le but de faire oublier l’essentiel, c’est à dire dans le cas d’espèces De Rugy, qu’il a fraudé ( C’est pour cela qu’il démissionne, pas pour son allergie aux crustacés.)
    Et pour le reste , il est en plus moralement condamnable, certes pas devant un tribunal, mais devant l’opinion publique. Avouez que la sentence n’est pas lourde, que de se faire conspuer.
    J’ajouterai, que sa défense montre qu’il avait atteint son point de Peter, que si sa conduite en politique est du même acabit que dans cet succession d’événements, il ne méritait plus de garder sa fonction. On peut même légitimement s’interroger sur les raisons qui ont conduit son chef à le faire accéder à cette fonction. Mais c’est une autre histoire.

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      Michel Santo

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      Vous lisez ce billet avec de bien curieuses lunettes. Je n’y vois pourtant rien qui pourrait justifier vos remarques… Aussi m’est-Il difficile de vous répondre et vous invite donc à le relire avec beaucoup plus d’attention. Cordialement !

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    Pfister

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    Journalisme

    A l’occasion de la disparition de Pierre Péan, Emmanuel Macron, bien qu’en vacances, a tenu à saluer le travail de ce journaliste. Une démarche qui peut paraître, à première vue, étonnante mais qui trouve son explication dans le fait qu’à travers cet hommage funèbre, le président de la République saisissait l’occasion de dire son fait aux apôtres du « journalisme d’investigation », c’est-à-dire à Edwy Plenel et à ses comparses de Médiapart.

    Pierre Péan, en effet, a toujours mis en garde contre l’invention de ce prétendu « journalisme d’investigation ». Dans Le Figaro du 28 mars 2014, il expliquait : « Ça fait des années que je m’évertue à répéter que je ne me reconnais pas sous le vocable de «journaliste d’investigation». «Investigation», c’est la traduction d’une expression américaine policière. (…) Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n’est pas ce que j’appelle de l’enquête, mais de la simple gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l’outil de vengeances ou de stratégies judiciaires. Je revendique de prendre l’initiative, je ne suis pas un auxiliaire de justice, je n’ai pas besoin de la justice pour déterminer le sujet de mes enquêtes. »

    Et Pierre Péan ajoutait : « Les principes qui guident la profession de journaliste semblent avoir profondément changé. Si l’on part de très loin, on peut dire que nous assistons à une inversion de ce qu’avaient prévu les législateurs le 26 août 1789 qui, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avait mis la présomption d’innocence au 9ème article, la liberté de la presse , deux articles plus loin, à l’article 11. Aujourd’hui la liberté de presse prime, dans les faits, sur la présomption d’innocence. Ces affaires témoignent du fait qu’on assiste de plus en plus à l’association de deux pouvoirs: le pouvoir judiciaire et le pouvoir médiatique. Cela n’est pas sain dans une démocratie d’avoir deux pouvoirs qui font alliance. En tant que citoyen, quelque chose me dérange profondément: aujourd’hui, un certain journalisme se fonde sur la violation de la loi. (…) Le journaliste dit «d’investigation» a des pouvoirs et des moyens exorbitants du droit commun. (…) Dans un tel système ,si le jugement innocente la cible des journalistes, celle-ci n’aura droit qu’à quelques lignes dans les journaux. Et cette innocence judiciaire ne rééquilibrera pas la culpabilité installée dans l’opinion publique.»

    Pour ma part, je n’ai pas oublié la manière dont Edwy Plenel a pratiqué le journalisme en août 1991 lorsqu’il prétendait révéler un « Scandale à Panama ». En s’appuyant sur des correspondances datant de 1987, il affirmait que le général Noriega aurait financé le Parti socialiste français, en particulier lors des élections de 1988. Or, en dépit d’une pesante tentative de justification dans un premier temps, Le Monde a été contraint de valider le démenti immédiat de Pierre Mauroy au nom du PS et de présenter, le 5 septembre, ses « regrets » en ces termes : « Au stade actuel de l’enquête officielle sur les documents remis à notre collaborateur Edwy Plenel, il apparaît que la lettre de 1987 mettant en cause le Parti socialiste et le financement supposé de la campagne électorale était un faux. »

    Un journaliste qui se trompe, cela peut arriver. Un journaliste dupé par une falsification grossière, c’est déjà plus rare. Néanmoins, cela peut se comprendre et – peut-être — s’excuser, bien qu’au minimum pareil comportement devrait conduire, me semble-t-il, à faire rentrer le coupable dans le rang.

    Que dire, en revanche, lorsque Edwy Plenel non content de ne pas s’associer aux « regrets » du Monde, poursuit sur sa lancée et continue de propager sa fake news dans les ouvrages qui rassemblent ses reportages ?

    Dans Le voyage de Colomb (Le Monde éditions, 1992) il se borne à ajouter à la reprise de son article qu’il s’agit d’ « un faux aux motivations mystérieuses». Puis, dans une réédition en 2002, il caviarde son texte, comme l’a relevé Bernard Poulet dans Le pouvoir du Monde (éd. La Découverte, 2003) : « il y reproduit notamment l’article malheureux, amendé, sans dire qu’il s’est trompé, mais tout en expliquant qu’il s’agit d’un « supposé scandale » ».

    Ainsi va la figure de proue du « journalisme d’investigation ». Et nul n’a oublié, parmi ses exploits, l’ignoble chasse à l’homme menée contre Dominique Baudis. Reportons-nous, là encore, aux propos de Pierre Péan dans l’interview déjà citée au Figaro : « Je ne n’ai pas dans les tripes l’envie de faire tomber des têtes. Je ne suis pas un militant. J’aime traquer les vérités qu’on me cache, mais je n’ai pas envie de tuer, j’ai envie de comprendre. Je ne cherche pas à trainer les gens sur les bancs de la justice, à les faire condamner. Je ne me vois pas comme le bras armé de la justice. Ce n’est pas ma vocation. Je ne suis pas là pour faire mettre les gens en taule. »

    Le tissu de contre-vérités assemblées et colportées, à propos de Dominique Baudis, par un quarteron de militants trotskistes qui, à l’époque, faisaient la pluie et le beau temps au sein de la rédaction du Monde, aurait dû les disqualifier de manière définitive. Jean-Paul Besset, autre ancien de la Ligue communiste révolutionnaire, passé du cabinet du Premier ministre Laurent Fabius au Monde après avoir orchestré sur ce double clavier la gestion du « mensonge d’Etat » concernant le sabordage du Rainbow Warrior, le navire de Greenpeace, nous a promené le 17 juillet 2003, nous lecteurs du Monde, dans la maison de l’horreur. Il nous a montré, sur ses murs, les « anneaux fixés à hauteur d’enfant » où les victimes de notables pédophiles auraient été enchaînées. De quoi faire vaciller « le système ». A un détail près : tout était faux.

    Alors, certes, Une jeunesse française, l’ouvrage de Pierre Péan sur la jeunesse de François Mitterrand (Fayard, 1994), n’a rien de cette révélation bouleversante prétendue qui a accompagné son lancement. Le passé pétainiste de l’ancien Président, la francisque dont il fut décoré… ces faits avaient été publiés par les officines gaullistes lors de la première campagne présidentielle au suffrage universel, en 1965. Cette enquête correspondait surtout au désir de Mitterrand, au soir de sa vie, de proposer, concernant cette période, un éclairage qui corresponde à la légende qu’il entendait voir lui survivre.

    Il n’empêche qu’entre une enquête « à la Péan » ou une chasse à l’homme « à la Plenel », il n’y a pas matière à hésitation. Le journalisme a besoin de faits. Les éclairages eux sont libres et, par nature, multiples.

    Thierry Pfister

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      Michel Santo

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      Merci Thierry pour ce commentaire éclairant sur les méthodes employées par Plenel …

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