Il est des endroits ignorés de la foule où flotte un sentiment de paisible quiétude. On y croise du regard un couple d’amoureux, un homme seul perdu dans ses songes, une jeune maman toute à son enfant… Quelques touristes aussi traversent ce jardin adossé au cloître de la cathédrale Saint Just et Saint Pasteur : comme saisis par la discrète beauté du lieu, leurs pas se font légers sur les allées gravillonnées.
Le FIGARO. – Y a-t-il une malédiction du réformisme à la française ?
Laurent BOUVET. – Dans les exemples européens que vous avez à l’esprit, ce qui frappe, c’est d’une part la dynamique réformiste mise en œuvre dès l’arrivée au pouvoir, sans attendre, et de l’autre que celle-ci s’appuie sur un travail de fond, préalable à l’arrivée au pouvoir. Ces deux dimensions, préparation et détermination dans l’action, étant liées. Dans le cas français, il n’y a eu ni l’un ni l’autre, avant et après la victoire de François Hollande et du PS en 2012.
François Hollande, qui est un homme de synthèse et qui n’a pas assumé cette orientation, est-il le principal responsable de cet échec ? Celui-ci découle-t-il d’un problème de méthode ou plus largement d’un problème de fond ?
François Hollande a une part de responsabilité importante dans la situation actuelle – celle dans laquelle il se trouve mais également celle du PS et de la majorité et, plus grave, celle du pays – même s’il est absurde de personnaliser ainsi les choses à outrance, et que la réponse est bien plus complexe.
Mais disons qu’en tant que président de la République depuis deux ans et en tant que premier secrétaire du PS pendant plus de dix ans avant cela (de 1997 à 2008), il porte sa part de responsabilité dans les difficultés que traverse la gauche française, et la gauche réformiste au premier chef, aujourd’hui. Il est notamment pris au piège de ce qui a fait sa force pendant toute sa carrière politique : sa prédilection pour la tactique plutôt que pour la stratégie, pour la synthèse et la temporisation plutôt que pour la décision claire et tranchée. Or les qualités que l’on attend d’un chef de parti et d’un chef d’État sont différentes.
La gauche française n’a-t-elle pas aussi tout simplement une culture et une histoire différente de celle des autres gauches européennes ? En quoi ?
La gauche française a en effet une histoire spécifique, irréductible à l’expérience de ses homologues européennes. Elle est, si l’on simplifie, la double héritière, directe, de la Révolution française et du mouvement ouvrier du XIXe siècle, et, de là, de tout ce que cela implique de contradiction interne, parfois violente, entre le principe de liberté et le principe d’égalité. La difficulté du réformisme de type social-démocrate en France vient pour partie de cette histoire spécifique. Contesté par une partie de la gauche dans son fondement même, comme la trahison d’idéaux communs, au nom de la supériorité de la révolution – d’un changement intégral ou en tout cas plus profond du système -, il a du mal à s’inscrire dans l’action gouvernementale lorsque la gauche réformiste est en mesure d’exercer le pouvoir. Or pour accéder au pouvoir et espérer réformer, la gauche de gouvernement a impérativement besoin de celle qui la critique et entend l’empêcher… de réformer ! La contradiction historique est donc aussi une contradiction électorale et politique.
Plus largement l’héritage historique colbertiste et jacobin de la France paralyse-t-il toutes velléités de réformes ?
Ces deux termes mériteraient d’être précisés mais je ne pense pas qu’un tel héritage ait été historiquement paralysant. Au contraire, sans la puissance publique, sans un Etat central fort et volontaire, la France n’aurait pas pu être ce qu’elle est devenue à différentes époques clefs de son histoire.
Aujourd’hui, la question se pose de la légitimité et de l’efficacité d’un tel « modèle » mais il serait illusoire d’oublier, au nom d’une « modernité » questionnable ou d’un « progrès » incertain, la spécificité historique de la place et du rôle de l’Etat en France. D’autant plus quand on constate les défauts et les difficultés tant de la construction européenne que de la décentralisation.
M. Renzi peut-il être un modèle pour la gauche européenne et française ?
Il est trop tôt pour parler de modèle possible. M. Renzi est en poste depuis trois mois et on ne peut d’ores et déjà juger de la portée de son action. Ce qui est notable, en revanche, c’est la dynamique politique qu’il a su insuffler à la politique italienne et à l’action du gouvernement. Il a engagé des réformes importantes qui jusque-là étaient bloquées, dans un système politique italien totalement décrédibilisé, et il a gagné les élections européennes. La volonté et l’action paient en politique, que l’on soit d’accord ou non avec l’orientation choisie. Du coup, il a fait vieillir et pâlir d’un coup ses homologues européens, en particulier à Paris.
La décomposition du système Frêche n’en finit pas de produire ses effets délétères sur le PS, à Montpellier en particulier. La disparition de celui qui avait fait de ce parti une machine à sa seule main afin de conquérir tous les pouvoirs passant à sa portée , n’a pas permis, malheureusement , que soit mis fin à des pratiques que, par « libéralisme bourgeois », comme l’on disait dans ma jeunesse, je ne qualifierais pas – ici en tout cas. Le couple Bourquin-Navarro suffit à les caractériser !
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