Pour qui connait Gil Jouanard, sa présence sur Facebook était tout simplement impensable. Et pourtant il y est, et nous invite à aimer sur sa page Schubert, Jacques Douai, Fréhel…, que nous aimons. Il y écrit aussi, de temps à autre, de petites et subtiles réflexions comme celle-ci, datée d’hier, je crois:
« Les réseaux sociaux ont en commun une ambiguïté en ce qui concerne la motivation de ceux qui y insèrent leur ego. Certains en usent pour se désenclaver dans cette humanité qui les ignore ou les isole. D’autres y trouvent ou croient y trouver l’occasion d’exprimer des idées qu’ils estiment être singulières ou qu’ils supposent partagées par ceux qui incidemment les partagent. Un certain nombre les utilisent comme on le fait des pages publicitaires d’un journal et y annoncent qu’ils vont faire, ou ont fait, ceci ou cela, publié tel livre, participé à tel événement ou à telle exposition. On en voit qui y recherchent l’âme sœur (ou le corps accueillant et disponible). Il y a ceux qui veulent intervenir sans frais mais de façon péremptoire dans les affaires du monde ou les événements circonstanciels dont « on parle » passagèrement. Quelques écrivains rentrés ou avortés les confondent avec un espace éditorial. On peut aussi y délivrer son instinct ludique (je confesse que je suis couramment de ceux-là). Un lied de Schubert, intitulé « Die Post », résume une attente, jamais satisfaite : celle de la lettre qui va tout changer et nous signifier qu’on est aimé, voire même que non existe. Facebook est moins pathétique car, plus trivialement, intimement ouvert à tous les vents. Mais si l’on sait lire et écouter, c’est bien un cri identitaire qui s’exprime au fond d’une bouteille confiée au hasard des flots d’anodins bavardages. En gros, disons que c’est mieux que rien, dans cette solitude foisonnante où s’use laborieusement notre dérisoire temps de vie. »
À cette réflexion de Gil, François Bon apporte ce petit commentaire: « oui, bon, on peut aussi dire que c’est la même fonction qu’aller au bistrot et le même plaisir, sauf qu’on choisit ailleurs que géographiquement les copains avec qui on y va ?! » et celui ci encore: « et puis les empêcheurs d’amitié on peut toujours les dégager discrètement, ce qui n’est pas possible dans la vie réelle ». Bien vu !
NB: Le site de François Bon le tiers livre est (ici)
Le témoignage de David Menasche a été publié sur le site de CNN et est en tête des partages sur les réseaux sociaux aux Etats-Unis, selon Trendsboard. Personnellement, son histoire m'a profondément ému. Elle nous parle de la mort et de la vie d'un homme, de ce qu'il en retire, de ce qu'il a appris, au tout dernier moment.
Elle nous donne surtout une merveilleuse leçon d'optimisme sur la nature humaine. Et, finalement, sur le sens que l'on peut donner à sa vie.
David Menasche est professeur de littérature dans un lycée de Miami. En 2006, il apprend qu'il est atteint d'un cancer incurable du cerveau. Il n'a alors que 34 ans. Il sait qu'il va mourir. Il ne sait pas quand. Enseigner aura été toute sa vie, sa grande joie. Il continue à enseigner, mais sans cacher sa maladie. Même pendant les pires moments de sa chimiothérapie. Il raconte avec humour :
"J'étais assez doué comme malade : j'étais capable de courir aux toilettes, vomir dans la cuvette, me laver les dents, tout ça en moins de trois minutes, et revenir à mon cours. Mes élèves faisaient comme s'ils n'avaient rien détecté".
Sa salle de cours est son sanctuaire. Il transmet la passion des livres. Mais sa plus belle leçon, ce sont ses élèves qui la lui donneront.
Il y a deux ans, après une attaque violente qui le laisse estropié et pratiquement aveugle, alors qu'il est en train de jouer au billard avec un ami, David Menasche réalise qu'il ne pourra plus jamais enseigner. Il entre dans sa dernière ligne droite.
"Le cancer avait fini par réussir à m'éjecter de ma salle de cours, mais je n'avais pas encore perdu. Je n'avais pas peur de mourir, j'avais peur de vivre sans raison".
Et de citer Nietzsche : une personne qui sait "pourquoi" elle vit, trouvera toujours un "comment".
Sa vie c'était ses élèves. Ils étaient son "pourquoi". Et comme il n'avait plus de salle de cours, il a décidé d'aller à eux. Et pour cela il s'est servi de Facebook.
En 2012, il poste donc son projet sur Facebook, et reçoit très vite des invitations d'élèves depuis plus de 50 villes aux Etats-Unis. A moitié privé de la vue et de l'usage de ses membres, il visitera chacun d'eux. Plus de 12.000km. Un dernier voyage durant lequel il prendra la plus grande leçon de sa vie.
Il pensait découvrir qu'il avait au moins réussi à distiller chez ses anciens élèves l'amour des livres. Mais ce qu'il a appris est beaucoup plus enthousiasmant et gratifiant.
"Ce que j'ai appris durant mon voyage c'est que mes élèves avaient grandi en essayant d'être gentils et en prenant soin des autres."
Ils sont venus le chercher à l'aéroport, lui ont lu des livres qu'il aimait et ne pouvait plus lire, ont coupé sa nourriture quand il ne pouvait plus tenir son couteau. Ils ont partagé avec lui leurs secrets, l'ont introduit auprès de leur famille, lui ont chanté ses chansons et ses poèmes préférés.
Surtout, David a appris que ce que ses étudiants avaient le plus retenu de ses années d'enseignement, ce n'étaient pas les cours, mais tous les autres moments partagés avec lui, ces moments d'humanité, quand ils évoquaient avec lui leurs blessures, leurs moments de faiblesses, leurs petites ou grandes victoires.
Mes étudiants m'ont appris que ce qui importe ce n'est pas tant ce que nous apprenons en cours que ce que nous apprenons dans notre coeur"
David se dit pragmatique. Il sait que le cancer gagnera cette dernière bataille. Celle de la vie.
Ce que je pense, c'est que David n'a pas perdu contre le cancer. Il a gagné quelque chose de plus fort que cette mort inéluctable qui l'arrachera à la vie en lui retirant lentement chaque parcelle de son corps encore valide. Il a appris qu'il y avait quelque chose de naturellement bon en l'homme. Il a été merveilleusement aimé, accueilli et aidé par ses élèves, il a vu de la bonté et de l'empathie grandir chez ces adolescents devenus adultes.
Sa dernière leçon face à la mort.
Il conclut :
Je sais que je vais mourir. Mais je mourrai comme le plus heureux des hommes.
J'ai bien sûr envie de dédier ce témoignage, qui est aussi un livre, à mon ami disparu brutalement avec qui j'ai fondé Trendsboard, le chercheur Jean Véronis. Lui qui a été une telle source d'inspiration pour ses élèves, je sais qu'il aurait été profondément touché par cette histoire. Il n'aura pas eu le temps de faire cette quête de sens et d'amour auprès de ses proches. La mort ne prévient pas toujours avant de frapper.
Et c'est justement ce que cette histoire doit nous apprendre.
Que la vie est courte et qu'il faut apprendre à profiter de chaque instant.
Que contrairement à ce que d'aucuns croient ou veulent nous faire croire, l'homme n'est pas naturellement égoïste et cruel. Il est naturellement bon et empathique. C'est la vie qui nous rend durs et parfois malheureux.
Alors parfois, quand la maladie vient nous enlever tout, ou menace de le faire, il ne reste que l'essentiel. Et ce retour à l'essentiel nous rend meilleurs.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]