Dans son dernier livre « l’illusion régionale : la réforme territoriale en question » (éditions Cairn, mai 2019), le géographe Georges Roques revient sur les bouleversements récents de l’organisation territoriale, consécutifs à la réforme engagée voilà cinq ans sous la présidence de François Hollandeet le passage, notamment, de vingt-deux à treize régions. Nous connaissant depuis longtemps et ayant travaillé ensemble sur des questions de stratégie régionale et d’aménagement du territoire concernant l’ex-Languedoc-Roussillon, les analyses qu’il développe dans son dernier ouvrage ne me sont pas inconnues, comme ses plus récentes, d’ailleurs, sur la réforme territoriale — le sujet de cet ouvrage —, analyses que je partage dans leur ensemble.
Hier après midi, entretien à trois – Jean Paul Chaluleau, Georges Roques et moi même- sur la réforme territoriale. Georges est un ami, et il nous est apparu que les voix en faveur de la fusion du Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées n’étaient guère nombreuses à publiquement s’exprimer, sauf à de rares exceptions près. D’où cette rencontre dont il est rendu compte dans l’Indépendant de ce jour (rédaction de Narbonne).
Vendredi dernier, le Conseil Régional a voté un budget de 5 millions d’euros pour les acquisitions foncières en vue de la réalisation de la future ligne LGV Montpellier Perpignan. L’occasion , dans le texte qui suit ( publié avec son autorisation ) , pour Georges Roques, de donner son point de vue sur ce sujet ( et d’autres …). Un point de vue qui n’engage que son auteur, évidemment !
Coups de gueule et courte vue.
En compagnie du préfet, Bourquin déclare que la LGV Montpellier Perpignan se fera, contrairement aux déclarations précédentes des « branquignols » parisiens. Le chargé de mission était même jusqu’à présent interdit de séjour en Languedoc Roussillon. Aurait-il commis un crime ou un délit ? Contre l’amour propre et l’égo démesuré du président du Conseil régional, sans doute.
Tout est donc changé, et la LGV se fera avant la date annoncée par cet indésirable qu’est devenu Jean Marc Ayrault . On va donc pouvoir claironner et reprendre les litanies de Frêche sur l’incompétence des élites parisiennes qu’il a dénoncé dans son inoubliable ouvrage intitulé « Trêve de bêtises », inoubliable pour ceux qui l’on lu.
C’est à l’incontournable sénateur R. Navarro que revient la palme des « grandes gueules ». Lors de l’assemblée du Conseil régional du 14 juin, ce dernier fait une déclaration de grande ambition mais à courte vue. « S’ils –ses ex amis socialistes qui l’on exclu- pouvaient gérer le pays comme nous gérons notre région ». Ce serait une chance historique, car comme le déclare Bourquin : « Le Languedoc-Roussillon tel qu’il existe aujourd’hui garantit l’efficacité pour le territoire et ses habitants et je suis totalement confiant sur son avenir ».La France n’a pas la chance d’avoir des hommes de cette qualité.
Simulons le quand même, avec autant de mauvaise foi que ne le font les édiles régionaux ! Ils pratiquent la méthode Coué en redisant inlassablement que la région est la plus attirante de France (vrai qu’en pourcentage!), la plus innovante, la plus créatrice d’emplois et d’entreprises (il faudrait parler de leur durée de vie) , celle où l’on a inventé l’ordinateur pour les lycéens (toutes les régions françaises ont établi la gratuité du matériel scolaire), le TER à un euro (pour tous, pour toute la région ?). C’est « un laboratoire où se mène et réussit toute une série d’innovations… » . On n’est plus très loin de la Silicon Vallée ou de la Floride.
La face arrière de l’image, celle que l’on cache, c’est le chômage, la précarité, la cherté de la vie, la pauvreté, l’insécurité pour lesquelles nous sommes les pires en métropole… sauf la Corse. Si c’est ce que l’on veut pour la France, il est heureux que Frêche ne soit jamais sorti de son rôle régional. Quand à ses successeurs – enfin ceux qu’il a laissé survivre – j’ai écrit dès 2010 qu’ils risquaient de manquer de souffle. Par contre, ils ne manquent pas d’air. Aurions-nous à faire au conseil régional le plus bête de France (allusion à la célèbre formule de Guy Mollet à propos de la droite) ?
En réalité, l’avancée de la LGV se fait surtout parce que l’Europe a décidé d’y investir avec 5 autres couloirs européens, et là, nous sommes en position favorable en attendant le couloir par l’Ouest des Pyrénées. Le gouvernement a donc fait volte face… mais çà devient une habitude.
Dans les conditions actuelles, cette jonction prévue avec 5 gares TGV, chacun la sienne, sans aucune hiérarchie entre elles ne peut qu’accentuer la vocation ancienne de couloir méditerranéen qui risque bien de subir encore plus « l’effet tunnel ». Il y aurait une solution que je préconise en vain, depuis longtemps. Un grand hub unique LGV, autoroute, avion pour le LR, hub relié par un réseau cadencé bien coordonné entre les autres villes. Cela voudrait dire que les communautés d’agglomération et de communes soient capables de réfléchir au-delà de leur pré carré, ce que Philippe Saurel et Yvan Lachaud semblent avoir compris au-delà de l’affichage purement superficiel et médiatique de l’accord Frêche/ Bousquet des années 1990 qui n’avait guère servi qu’à acheter dans une des villes des billets pour les spectacles de l’autre.
La gare TGV du quartier d’OZ en consultation avec Manduel ? On progresse. Lentement, certes, mais on est dans la bonne direction.
Mieux vaudrait moins de coups de gueule et plus de visions raisonnables pour une réalité qui n’est plus celle des années 2000. La région dispose – t-elle des responsables, hommes ou femmes, de ce niveau ? Bourquin se fait régulièrement contrer par Malvy. Après le recadrage régional vient le récent coup de Trèbes du 22 juin de Valls. Il est vrai que certains, comme Philippe Palat dans la livraison du Midi Libre du 22 juin, appuient cette vision ridicule : « …et ce président de la République qui veut obstinément rayer le LR de la carte de France en diluant son énergie ensoleillée dans les parcelles de maïs boueuses et grises de Midi Pyrénées ». La ligne bleue des Vosges, c’est pour certains le seuil du Lauragais. Et encore, il n’est pas avéré que leur courte vue aille jusque là.
NB: Georges Roques est un ami. Géographe reconnu, nous avons conduit ensemble un certain nombre de travaux, dans les années 90 quand il exerçait son métier à la Maison de la Géographie de Montpellier et que je faisais le mien en tant que DGA à la Région Languedoc-Roussillon . Sur deux chantiers notamment : l’Atlas Régional et l’animation des groupes d’experts de « Stratégie 2000 » – Cela précisé afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur la nature réelle de nos relations.
Toujours actif, il a récemment publié « Paradoxes en Languedoc-Roussillon. Une région surfaite ? » (Éd. Cairn, Pau, 2010) et prend la plume aussi dans la presse régionale pour donner son point de vue sur l’actualité du Languedoc-Roussillon.
Georges Roques est un ami ! Géographe, chercheur et professeur des universités, il est un de ceux qui connaissent le mieux le Languedoc-Roussillon. Au temps où il oeuvrait à la Maison de la Géographie, nous avons collaboré à la réalisation de l’ Atlas Permanent de la Région Languedoc Roussillon. Mais cela est une autre histoire ! Georges est un vieil ami, disais je, un vieil ami doté de surcroît d’un esprit facétieux. La lecture de ma dernière chronique « l’Aude sinistrée » lui a remis en mémoire une « perle » dont il m’a fait le cadeau. Je ne résiste pas au plaisir de vous en faire goûter son amère et ironique saveur : « L’homme du Midi n’est pas porté au travail régulier et intense, à l’initiative individuelle, à l’action privée ; il trouve plus commode de vivre en s’appuyant sur le groupe de la famille, des amis, des voisins, du clan, de l’Etat. Ce régime social développe plutôt le type du frelon que de l’abeille. Il favorise un égoïsme qui se dissimule sous les apparences menteuses de la solidarité. Son plus beau triomphe est d’avoir acclimaté en France cette politique alimentaire qui permet aux intrigants de vivre sur le budget et aux dépens des travailleurs. C’est ainsi que le Midi pousse insensiblement la France dans la voie où sont déjà engagées la Grèce, l’Italie et l’Espagne : c’est la voie de la décadence ». L’auteur ? Edmond Demolins (Les Français d’aujourd’hui, 1898- Conclusion du chapitre consacré à l’homme du Midi). J’ai beaucoup ri ! Un peu d’autodérision (encore que !) fait le plus grand bien, non ? Un exercice somme toute salutaire qui nous change des discours lénifiants et triomphalistes habituels…