Xavier de Maistre nous en a administré la preuve évidente : le voyageur n’a nullement besoin d’avion, de bateau ou de caravane, pour partir à l’aventure dans vingt mètres carrés ; sa chambre lui suffit. Jean Henri Fabre n’en a besoin que de deux ou trois centaines pour entreprendre son exotique exploration de l’univers des insectes ; quant à Henri Michaux, c’est dans sa tête qu’il part à la découverte de sa virtuelle Grande Carabagne. Ainsi tout écrivain authentique est voyageur ; l’un le sera au long cours, l’autre usera du moyen-courrier ; un troisième se contentera, sédentaire, de parcourir l’infini planisphère de la langue, avec ses accidents de vocabulaire, ses chemins de traverse grammaticaux, ses incidentes et ses déviations, ses subtiles et fertiles polysémies, les appels du pied de son intenable mémoire. Son texte sera d’abord un bouillon de culture où auront infusé, macéré, bouilli, des bribes venues de tous les continents confondus de l’imaginaire sapiens-sapiens, celui qui remue et gronde dans le corpus pâteux du cortex et du néocortex confondus, dont chaque texte sera venu libérer le séisme latent.
En pleine contreverse sur le réforme des collèges et le contenu des programmes, cette petite leçon de Fabrice Luchini donnée à des millions de téléspectateurs lors du « 20 heures » de David Pujadas, hier…
PS:Fabrice Luchini est actuellement au théâtre des Mathurins où, tous les soirs, il récite pendant deux heures les plus grandes poésies françaises : de Paul Valéry à Rimbaud, en passant par Baudelaire, Flaubert et Proust.
« Les mots sont des planches jetées sur un abîme, avec lesquels on traverse l’espace d’une pensée, et qui souffrent le passage et non point la station. » Paul Valéry. C’est en découvrant un texte de Paul Valéry sur le langage et la poésie que j’ai eu envie de me confronter de nouveau à des textes de pure poésie, des textes de Laurent Terzieff et en souvenir des dîners qui prolongeaient nos représentations, j’ai eu envie de lui rendre un hommage discret, lui qui disait » être un poète, c’est une manière de sentir. » Fabrice Luchini
Le poète Yves Rouquette s’est éteint le dimanche 4 janvier, il avait 78 ans. Serge Bonnery, dit de lui, dans une belle présentation de l’homme et de son oeuvre, qu’il fut « un inlassable porteur de langue. Sa langue, l’occitan, il la voulait sur le papier, dans les livres, en chansons, au théâtre, dans la rue, dans les manifestations contre l’injustice et l’oppression, dans les arbres, sous le soleil ouvertement. L’Occitanie perd l’une de ses plus grandes voix. » Comme dans ce texte, qu’il faut lire à haute voix précisément …
Jésus ? je suis de sa bande. Sans réserve, je suis son homme. Avec les églises ou les sectes qui se réclament de lui, c’est évidemment une autre paire de manches. Elles, non. Mais lui : oui, oui, oui. Je parle du Jésus des Evangiles, bien sûr. Des Evangiles « sine glosa, in extenso, in excelsis« , et point final.
Les questions que soulèvent les travaux des historiens ou des exégètes, des archéologues ou des littérateurs, des illuminés ou des cuistres sont sans effet sur moi. Est-il ressuscité ou non ? Est-il mort sur la croix ou de vieillesse ? N’aurait-il pas fait l’amour avec Madeleine ? Sa mère était-elle vierge avant, pendant et après qu’elle le mette au monde ? Et Jean, le disciple bien aimé, n’aurait-il as été son amant ? Ce ne se dit pas trop encore, mais je sens que ça vient.
De tout ça, je me fiche. Autrement plus revigorante est la bonne nouvelle, vieille comme les textes attribués à Matthieu, Luc, Marc et Jean. Elle tient en peu de mots : Dieu est mort en Jésus. Elle n’affligera que ceux qui s’étaient fabriqué un Dieu fait de cervelle d’homme. Un Dieu en forme de souverain au superlatif : créateur et souverain maître de toutes choses, du monde et de l’Histoire, roi des rois, Dieu des armées, législateur en dix articles, expert comptable des crimes et châtiments, juge suprême et implacable.
Ce Dieu-là, Jésus l’abandonne à ceux qui vont avoir sa peau. Lui qui se définit comme « le vrai chemin vivant qui mène au ciel » ne l’a visiblement jamais rencontré.
Le seul dont il parle est père. C’est le Père, son père et le père de tous, juifs ou pas juifs. Un père qui attend ses enfants au bout de leurs errances, de leurs erreurs et de leurs méfaits. Un père qui, comme dans l’affaire du fils prodigue, a gardé un « veau gras » pour le retour de celui qui l’avait quitté et lui a préparé la chambre pour la vie qui n’en finit pas.
Avec Jésus, surgit un Dieu enfin aimable : peu puissant, comme le sont les pères d’ici-bas, suprêmement dépendant, d’infinie douceur, d’infinie patience, tout amour et dont l’amour aura raison de tout. « Qui me voit, disait Jésus, voit le père ». Soit ! Voici donc Dieu sans un caillou pour reposer la tête, accueillant le publicain, la fille publique et l’étranger, pardonnant à tour de bras, emmenant avec lui dans son royaume – le premier de tous ! – le voyou qui l’en prie …
J’ai peine à croire que, pour ce Dieu-là, Jésus soit mort sur une croix en sacrifice : son père n’avait pas besoin de victimes. De même, il m’importe peu qu’il soit ressuscité ou non : Jésus a désormais des milliards de visages. Il est vous, moi, n’importe qui. L’Absolu n’est plus au ciel, mais dans les êtres. Dans les vivants.
Si nous sommes jugés, ce n’est ni Dieu ni Jésus qui jugeront. C’est ceux que nous avons respectés ou méprisés, pardonnés ou condamnés, aidés ou abandonnés. L’oeil pour oeil dent pour dent n’a pas cours chez le père de Jésus. Dieu est mon prochain, il est dans mon prochain.
Au fait, connaissez-vous le nouveau commandement, le tout dernier, le dernier paru ? Le voici : « Aimez-vous les uns les autres ». Il est signé Jésus de Nazareth, apatride. C’est du feu.
Yves Rouquette, le 21 novembre 1999, dans « La Dépêche du Midi ».
FABRICE LUCHINI : « IL FAUT RECONNAITRE QUE LA BETISE PREND DES PROPORTIONS INOUÏES »
Interview pour Le Figaro, 13 décembre 2014
LE FIGARO. – Vous commencez le 5 janvier un spectacle intitulé « Poésie ? ». Vos choix sont de plus en plus exigeants…
Fabrice LUCHINI. – La poésie ne s’inscrit plus dans notre temps. Ses suggestions, ses silences, ses vertiges ne peuvent plus être audibles aujourd’hui. Mais je n’ai pas choisi la poésie comme un militant qui déclamerait, l’air tragique : « Attention, poète ! » J’ai fait ce choix après avoir lu un texte de Paul Valéry dans lequel il se désole de l’incroyable négligence avec laquelle on enseignait la substance sonore de la littérature et de la poésie. Valéry était sidéré que l’on exige aux examens des connaissances livresques sans jamais avoir la moindre idée du rythme, des allitérations, des assonances. Cette substance sonore qui est l’âme et le matériau musical de la poésie.
Di 30.3.2025 Moments de vie. Dans la foule animée des dimanches matin, aux Halles, un petit groupe de touristes espagnols s’arrête devant l’étal de mon fromager ; un étal magnifique garni de toutes […]
Ve 28.3.2025 Iñaki URIARTE : Baîller devant Dieu. Séguier. 2019. Pages 137 et 138 : «La liberté, Sancho, est un des biens les plus précieux que le ciel ait accordés aux hommes. De tous les trésors […]
Sa 22.3.2025 Il en aura fallu du temps pour que Le Monde se fende enfin d’un édito dans son édition du jour dont les termes de sa conclusion étaient considérée jusqu’ici par lui comme les signes […]