
Un calendrier élégiaque : Mars, de Jacques Réda.

Lu 3.3.2024
MARS
Comment et d’ou venu, c’est difficile à dire.
Au bout de tous ces jours trop doux pour un hiver,
Il y eut un suspens et l’on aurait pu croire
Qu’un seul jour à jamais rampant nous enfermait
Chaque matin dans une saison inconnue,
Couleur d’étain, inerte, antérieure au temps
Ou d’après tous les temps.
Et nous autres, futiles,
D’un rien distraits, d’un rien contents, la fin des temps
Nous avait échappé.
L’infini sans issue
S’étendait devant nous, nivelé par le gris,
Buvait nos yeux, lavait nos fronts comme des lunes
Reflétant un soleil fourbu qui s’éloignait.
Mais d’où venu, comment, presque insensible encore,
D’un seul oiseau peureux qui picore sans bruit
Peut-être deviné, le printemps en sourdine
Cheminait, et parfois une empreinte semblait,
Rose au faîte d’un mur, fumée au fond des rues,
Avertir, fugitive : il passe, il est passé.
Comme un reflet aussi, la simple rémanence
De lumières bientôt éteintes.Maintenant,
Attendre, espérer, non, ça n’était plus possible :
On allait rester là dans un seul jour sans nom.
C’est alors qu’on sentit cette chaleur étrange
S’établir avec le brouillard autour de l’air
Encore un peu plus froid qui consume les arbres
En cortège le long des talus scintillants.
Deja venait sur nous, dans l’odeur de la neige,
Des jardins remués, ce souffle qui n’est pas
Que le retour prescrit du vent, mais la nouvelle
Pâque, le premier bond de l’esprit sur les eaux.
Jacques Réda : Un calendrier élégiaque. Fata Morgana. 1990
Mots-clefs : Jacques Réda, La Robine, Mars, Narbonne, Un calendrier élégiaque
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