Elle a traversé la scène du splendide théâtre « grec » de Narbonne-Plage sous un flot de lumière bleue. D’un bleu doux comme une nuit de juillet sous un ciel andalou. Derrière elle, la falaise nue de la Clape était sublimée par le chatoiement de ces brillances veloutées. Arrivée au bord de la rampe, devant un public nombreux et conquis à l’avance, elle a déployé son magnifique caftan bleu, les bras tendus vers un ciel menaçant. C’est ainsi, dévoilée, son corps pris au plus près dans une combinaison bleue elle aussi, que les premiers mots et premiers rythmes aux accents espagnols se sont fait entendre. La soirée serait bleue et Luz Casal serait reine. La reine d’un soir tissé de paroles et de notes emplies de nostalgie, de souvenirs, d’amour, de regrets aussi. Une reine qui, avec sa belle voix de contralto, chantait merveilleusement ses « gracias a la vidad ». Une pluie fine et chaude est tombée précisément au moment où elle s’est lancée dans l’inévitable « piensa en mí ». Les gradins sont cependant restés stoïques et silencieux. Il y avait quelque chose de miraculeux dans cet instant, songeai-je. C’était en effet la fin du concert. Quelques gouttes d’eau pure perlaient sur nos visages…
Seize heures sur la plage mollement ventée. Le monde est en retrait. Des vagues, on n’entend qu’un bruit lent et régulier. Une hirondelle de mer plonge en piqué. Puis remonte lentement dans la lumière du soir. Avec sa proie. Et poursuit sa route le long du rivage. Comme une idée sur un fil de pensées. Qui trouve enfin sa trajectoire.
19 heures 30 au Tentazione*. Nico a parcouru toutes les mers du globe dans les cuisines des plus beaux yachts du monde. Il fait aujourd’hui les plus belles pizzas de la côte. La Parma est celle que je préfère. La mozzarella est délicieusement fraîche et le jambon excellemment affiné. Nico est un artiste qui prépare lui-même la pâte de ces merveilles. Ce soir, la mienne était comme d’habitude d’une incomparable légèreté. J’ai choisi le petit vin blanc muscaté au pichet, franc et frais, de la cave de Gruissan pour l’accompagner. Il n’a pas démérité, loin de là. Ah ! La voix slave, profonde et envoutante de Mila, sa compagne, à l’accueil…
Je lis et j’entends ici ou là, pour ne pas dire partout où sont convoqués (ou pas d’ailleurs, comme sur les réseaux sociaux) sociologues, politologues et journalistes prétendument spécialisés, mais assurément engagés, que les émeutiers seraient l’avant-garde politique de « notre » jeunesse et de « nos » banlieues abandonnées, stigmatisées, ségréguées et racisées.
Adrienne Mesurat, jeune provinciale de dix-huit ans, vit entre son père sénile et sa sœur Germaine, vieille fille tuberculeuse. Un seul regard, un bref signe de salut du docteur Maurecourt, quadragénaire sans grâce ni séduction, laid, alors qu’il passait en calèche devant elle dans une rue, et le coeur d’Adrienne, voué jusque-là au néant de la solitude, va s’enflammer d’un amour passionné et exclusif ; jusqu’à des pèlerinages d’adoration devant la demeure du docteur. Un récit de jeunesse de Julien Green écrit à la manière d’un Mauriac ou d’un Bernanos, dans lequel est décrit de façon magistrale l’inexorable montée d’une implacable et destructrice psychose. Un texte envoûtant ! Un chef d’œuvre !
Lundi au marché de Gruissan. Dans le vieux village. Il est 10 heures. Il fait chaud. Très chaud. Assis à la terrasse de la boulangerie pâtisseries Bertrand, à l’ombre, j’attends mon café. À ma droite, un couple de retraités allemands. Lourds ! Sous la chaise de la dame, un petit chien blanc. Allongé, il tire la langue et respire bruyamment. Puis sursaute en grognant. L’épaule grasse de Monsieur montre un tatouage. Sa copie figure sur la cheville disgracieuse de Madame. Ils se font face. Sur la table, deux grandes tasses, un pot de lait en métal, une corbeille pleine de viennoiseries. Ils mangent de bon appétit. Méthodiquement. En silence.
Une queue se forme devant l’entrée de la boulangerie. À l’allure, au style et au poids on devine des touristes. Jeunes ou vieux, ils exposent les mêmes dessins sur leurs corps. Plus ou moins bleus, plus ou moins noirs. Des orteils jusqu’aux oreilles. Des signes de reconnaissance, d’identité, qui finalement les font tous pareils.
Une voix, derrière moi, se fait entendre. Une voix de femme qui téléphone. Dans des tons aigus qui agressent. Elle surjoue la vacancière : Il fait beau, ici… Mais quel vent… Ah bon, il pleut chez toi… Ah ! Ah ! Toutes les robes sont à 15€… Elles sont toutes longues… Gros bisous ! Tchao ! Tchao ! On devine sa joie à l’envi qu’elle provoque à l’autre bout du « fil ». Je me retourne. De grands verres noirs cachent ses yeux. Ses traits ont été tirés par des mains expertes. Trop ! Et ses lèvres sont boudinées. De sa main gauche elle soulève gracieusement ses cheveux décolorés. Une main qui trahit son âge. Une minauderie touchante. Je lui souris.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]