Moment de télévision : « L’Espagnol », de Jean Prat (11 et 18 avril 1967)
Les archives de l’INA sont un gisement de trésors audiovisuels facilement accessibles. Un abonnement mensuel de 2€ à l’application Madelen suffit pour y avoir accès. Hier soir, j’ai choisi et regardé « L’Espagnol », une dramatique en deux épisodes réalisée par Jean Prat d’aprés le roman de Bernard Clavel, diffusé sur les antennes de la télévision nationale les 11 et 18 avril 1967. Un chef-d’œuvre !
L’histoire qui nous est racontée est celle de deux Espagnols républicains réfugiés en France en 1939. Ils ont connu les camps d’internement du sud de la France et sont embauchés pour faire les vendanges d’un domaine viticole du Jura produisant du vin jaune. L’un d’eux, Pablo, ancien architecte barcelonais, est un homme brisé par la guerre. Depuis la perte de sa femme, il n’aspire qu’à une vie tranquille, loin de tous combats. Son compagnon de camp, Enrique, est très différent : pour lui, la lutte continue. Il quitte rapidement la ferme tandis que Pablo, s’attache à cette terre qui lui a redonné le goût de la vie. Au milieu d’une guerre qui ne le concerne pas, il découvre et apprend à aimer le travail de la vigne. Lorsque le patron du domaine est pris d’une attaque, Pablo prend la relève, épaulé par un ancien du village, Clopineau. En 1944, Pablo est appelé par Enrique à rejoindre le maquis le plus proche. Après deux jours sur le camp et une action victorieuse, il tombe malade. Il finit la guerre à l’hôpital. Quand il en sort, le domaine viticole a été vendu et ceux qui l’habitaient, qui étaient devenus sa famille d’adoption, dispersés : Germaine, sa propriétaire – et amante –, partie avec son fils à la ville, sa fille Jeannette, « simple d’esprit », placée dans une institution religieuse et Clopineau, l’ouvrier « gionesque » qui lui a appris à travailler la terre, lié à une autre ferme. Germaine lui laisse cependant une maison en ruines, une jument et les vignes qu’il avait plantées. Une offre qu’il finit par accepter. Et les dernières vendanges sur lesquelles se terminent ce film, qui seront les premières d’une nouvelle vie, verront Pablo, Clopineau et Jeannette retrouvés et enfin réunis au milieu de « leur » vigne.
Tout dans ce téléfilm est stupéfiant de justesse, de pudeur et de beauté. Jean Prat nous montre des moments de grâce, de poésie et de liberté comme rarement on en imprime sur une pellicule. Et l’interprétation de Pablo, d’Enrique, de Clopineau et de Jeannette resteront comme autant de visages inoubliables. Le dernier gros plan sur Pablo (joué par Jean Claude Rolland), notamment, avec toute la bonté et la tristesse du monde au fond des yeux, est bouleversant de confiance, de tendresse et d’amour. Un chef-d’œuvre, vous dis-je.
Un chef-d’œuvre marqué aussi par les fins tragiques de Jean-Claude Rolland et de Jean Prat. Le premier ne verra pas la diffusion de « L’Espagnol » sur les antennes de la télévision. Il se sera pendu peu avant dans la cellule de la prison de la Santé où il était incarcéré pour un délit mineur. Quant à Jean Prat, il se suicidera de la même façon, le 27 mars 1991. Yvan Audouard disait qu’il était mort « de voir agoniser sous son regard impuissant une télévision atteinte de la plus longue, de la plus cruelle des maladies : la médiocrité ».
Illustration : Jean Claude Rolland dans le rôle de Pablo.
Quand je me suis assis à la seule table de café inoccupée de la place, l’horloge de l’hôtel de ville sonnait cinq heures. Le temps s’étalait dans la douceur et les gens se déplaçaient à pas lents. Certains déboulaient des rues commerçantes les bras et les mains encombrés de sac en papier. La plupart portaient des habits sombres et se confondaient dans la nuit. Mais tous semblaient animés d’un même désir de paix et de sérénité. Comme une parenthèse ouverte dans une vie saturée de violence. Devant moi, était assise une très jeune fille. Elle portait une longue robe d’un coton bleu ciel. Petite et très mince, ses cheveux noirs tirés sur sa nuque, elle offrait à ma vue un visage d’une grande finesse. À cela s’ajoutaient un teint lumineux et des gestes gracieux. Comme celui de ses doigts passés délicatement dans les cheveux de son ami. Son sourire alors disait sa tendresse et son amour. Le hasard a fait que nous nous sommes retrouvés un plus tard devant la caisse du cafetier. Sous une lumière triste, son visage avait néanmoins l’éclat de la porcelaine. Elle était encore plus petite que je ne l’avais imaginé. Je la pensais très fragile. Quand elle fut partie, j’ai interrogé le jeune patron qui me rendait la monnaie :
« Avez-vous remarqué la beauté de ce visage qui vient de nous quitter, la pureté de son profil ?
– Ah bon ! Peut-être… Bonne soirée… »
Ainsi, quelques minutes avaient suffi pour qu’apparaissent en même temps dans la plénitude de leur mystère les visages du merveilleux et de l’absurde, songeai-je. Quelques minutes seulement, mais qui cependant continuent leur chemin dans le temps de la mémoire. Écrire, finalement, c’est retenir et actualiser le temps. Comme une prière.
Les joueurs argentins ont certes vaincu les Français sur le terrain, mais ils ont perdu leur honneur dans l’après-match. Jamais dans l’histoire de la coupe du monde, il nous aura été donné d’assister à un tel déballage d’obscénités. Qu’il s’agisse de leur gardien de but brandissant la coupe du monde comme un pénis en érection ou des autres joueurs rassemblés autour d’une minute de silence en l’honneur du mort MBappé, cette équipe restera dans l’histoire de ce sport comme l’expression même d’une « morale » de l’indécence, de l’irrespect et du mépris. Et que leur entraîneur et les différentes autorités sportives argentines se soient abstenus de tout commentaire sur ces agissements en dit long sur leur état d’esprit collectif. Quant à Messi, s’il est, paraît-il, un « Dieu » chaussé de crampons, il aura failli à sa mission en ne restant pas à hauteur « d’homme ». Samedi, la noblesse, l’élégance et la tenue était incontestablement du côté de l’équipe de France. Ce match-là, les Argentins et Messi l’ont perdu. Une défaite morale qui devrait être enseignée dans tous les centres de formation.
18126 A. C’est le code de la porte d’entrée de la salle commune. Il a été écrit au feutre noir au-dessus d’un boîtier sur le mur de droite. A demi effacé, on le distingue à peine. Je pousse la porte. Au plafond, des guirlandes et des boules de Noël ont été accrochées. J’aperçois un petit sapin qui clignote derrière la vitre du box des aides soignante. Sur le grand mur qui me fait face, un écran de télévision géant diffuse des images. Le son est coupé. Des résidents – c’est leur nom administratif –, sont assis sur des chaises fixées au sol. Devant eux, au milieu de la salle, cinq d’entre eux le sont aussi sur de grands fauteuils roulants. Tous semblent dans un état comateux, les corps brisés. Pas un mot, pas une plainte ne sort de leur bouche. Parfois, des cris en provenance d’une chambre éloignée se font entendre. J’aperçois ma mère. Elle regarde dans ma direction et je sais qu’aujourd’hui est un mauvais jour. Il faudra du temps pour qu’elle me reconnaisse. Elle me dit qu’elle ne se sait plus où elle est. Tendue, elle crispe ses mains. Pour ne pas crier. Mes caresses cependant l’apaisent. Le temps passe, lourd. Regarder la folie et la mort est terrible. Avant de la quitter, je demande à une jeune aide-soignante de la distraire. Elle lui prend la main et l’entraîne dans un couloir. Je les regarde un instant s’éloigner. Ma mère se retourne. Je lui adresse un petit signe de la main. Elle me répond « tu me téléphoneras quand tu seras rentré ? » J’étais redevenu son enfant. La vie soudain sembla renaître.
Moments de vie : une troublante et douloureuse rencontre.
Trois, quatre ans peut-être que je n’avais pas rencontré cette « figure locale », vicieuse et décrépie, qui marche à l’équerre et pense très bas. C’est malheureusement arrivé en ce début de semaine. Il montait le Cours de la République, je le descendais. Au moment de nous croiser, je me demandais quelle attitude adopter. Lui dire enfin la honte que j’éprouvais encore de lui avoir un jour serré la main. Ou bien continuer mon chemin sans chercher son regard, tant est lourde la charge de mépris que m’inspire ce genre de personnage. J’ai choisi finalement cette dernière option. Cela dit, pendant le bref laps temps où il fut à ma portée, j’ai pu constater qu’il n’avait pas beaucoup changé. Le « patron » est toujours le même, en effet. Court sur pattes, il avance à petits pas désordonnés, sur de petits souliers vernis à talonnettes. Un ridicule qu’au sommet de sa tête soulignent de rares cheveux teints couleur corbeaux, qu’accentuent des joues pleines, flasques et jaunes. Avec, au milieu de ce visage en forme de poire, une bouche constamment entrouverte sur une denture équivoque. Il n’est pas le seul dans son genre, me disais-je. On en trouve des copies dans tous les milieux sociaux et cénacles plus ou moins discrets de nos villes et campagnes. Ils aiment y barbouiller et se prétendent philosophes. Le reste des attributs de ce type d’homme, petit, fat, ridicule et grossier importe peu finalement. Mais voilà, je ne pouvais le lui dire hier et ne le lui dirait jamais. Se rendre compte trop tard des blessures d’amour-propre causées par la fréquentation, même éphémère, contraintes ou tolérées de certaines personnes, est une expérience douloureuse. Combien d’entre nous y avons succombé, hélas, victimes de vraies « petites lâchetés » et de fausses « bonnes manières » ? L’âge désormais, fort heureusement, m’en préserve. Contrairement à ce qui est souvent dit et pensé, le vivant, je ne me suis jamais senti aussi libre…
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]