La novelisation de l’info, politique surtout, a besoin de personnages clivants et transgressifs, disais-je à mon voisin de zinc. Et ceux qui font métier de scénariser l’info-divertissement se foutent de la représentativité ou de la compétence de leurs interlocuteurs, croyez moi. Pire, voyez-vous, ces qualités sont à leurs yeux de gros défauts synonymes de baisses d’audience et de pertes financières. Non ! Les profils recherchés par ces marchands de fadaises sont du type, façon de parler, de Sandrine Rousseau. Vous ne l’aimez pas ? C’est vrai, elle ne représente électoralement personne et débite des sottises, mais on lui tend toujours micros et caméras matins, midis et soirs. C’est une personnalité marginale et clivante, et cela suffit ; et elle en jouit de surcroît ! Notez que, dans cet écosystème, éditorialistes et journalistes, font bon ménage aussi avec les stars du monde des spectacles : cinéma, théâtre et autres arts du vivant. Ce qui n’a évidemment rien de surprenant. Leur métier est un art du travestissement qui les prédispose naturellement à ce jeu d’illusions et d’apparences. Les « comiques » n’éditorialisent-ils pas avec succès dans les journaux radios et télés ? Des façons de faire qu’on observe aussi sur les réseaux sociaux. Comment vous n’êtes pas sur Facebook ? Vous y verriez alors des « amis » sociologues, philosophes, écrivains d’intention ou reconnus, hauts fonctionnaires à la retraite… critiques du capitalisme et du « néolibéralisme », ou pas d’ailleurs, se lâcher en outrances et bêtises. Ça paye en like, disent-ils. Ce qui démontre, s’il le fallait, que, sur ce média social, en tout cas, l’intelligence et le savoir s’accommodent de ce genre de méthodes. Ah ! que je vous dise, les martinets ne volent plus en solitaire. Il était 8 h 30, 9 heures peut-être, je les ai vus tournoyer en nombre, dans un ciel encore en partie nuageux. Dans les jours qui viennent, ou ce soir, qui sait, ils raseront en bandes filantes les toits de la ville. Je les verrai alors de ma terrasse foncer à hauteur d’homme dans ma direction pour, au dernier moment, s’élever en criant dans les airs. Quel spectacle fascinant ! Vous voulez un autre café ?
J’ai vu les âmes sœurs d’André Téchiné hier après midi. Au début du film, on découvre David, un soldat blessé lors de l’explosion de son véhicule blindé au Mali, dans un lit d’hôpital, aux Invalides. Il est dans le coma ! Quand il ouvre ses yeux, il doit faire face au vide de sa mémoire. Au cours de son traitement, le psychiatre qui le suit, lui confie un ordinateur portable. Il ajoute cependant : « Ne regardez pas les actualités, c’est trop déprimant ; ni du porno… ». Quelques plans plus tard, on voit David, assis sur son lit, devant son écran. Il sourit, puis rit, rit. Il regarde, et nous regardons avec lui, une scène d’un film de Charlin Chaplin. J’ai souri, moi aussi. Ainsi, en quelques images, quelques images d’une grande douceur, André Téchiné nous montre la violence du réel et ses formes hallucinatoires dans l’actualité et le porno. La perte collective de notre mémoire et la vertu libératrice du rire aussi. D’un rire à l’état pur, sans mots pour en dégrader la nature.
Je n’ai pas reçu le baptême. La mémoire familiale concernant ma naissance, du moins celle qui me fut transmise oralement à un âge adulte, fait seulement état d’un ondoiement pratiqué dans la petite chapelle de l’Hôtel Dieu de Narbonne. Comme cela se faisait, paraît-il, systématiquement, dans cet établissement hospitalier où les infirmières portaient encore – en 1947 – des cornettes blanches. J’imagine mal en effet mes parents, et mon père surtout, athée et de tradition communiste, solliciter ce rite pour ma naissance, le 9 avril de cette année-là. Ma mère non plus, d’ailleurs, qui néanmoins se disait vaguement croyante, mais sans église, et qui, pendant longtemps, paradoxalement, m’a reproché, en silence, de n’avoir pas fait baptiser mon fils. On l’aura compris, c’est d’abord dans l’ignorance totale de l’apport « civilisationnel » du christianisme, enfant, et son déni ensuite, adolescent et jeune adulte, que s’est déroulée une grande partie de ma vie. De ma vie disons imaginaire et intellectuelle. Et ce jusqu’à ce que je finisse par comprendre que je ne pouvais pas regarder le monde autour de moi, le monde dans toutes ses dimensions politiques et esthétiques notamment, autrement qu’avec des « lunettes » chrétiennes. Les livres, la musique, les arts en général, l’architecture de nos villes, l’ordonnancement de nos paysages, certaines traditions que j’aimais en témoignaient. Dès lors, la voie s’ouvrait, sans fin, qui m’amène encore aujourd’hui, à toujours vouloir approfondir des connaissances patiemment acquises au fil des ans. Ce désir longtemps refoulé, je le confessais, hier soir à Laly assise à mes côtés, lors du dîner familial, en présence de nos petits et arrières petits enfants. Laly qui, à 17 ans, s’est lancée dans la lecture de la Bible et m’a confié vouloir aller à la cathédrale Saint Just-Saint Pasteur demain matin pour assister à la messe de Pâques. Elle me disait aimer son décorum, les chants, la musique. À ses questions, je répondais en insistant un peu pour lui donner quelques bribes de culture sur cette semaine sainte : son déroulement, son histoire, ses acteurs ; la signification de certaines « images ». Que ce samedi était un jour de grand silence, de recueillement, et pourquoi ; que l’on n’était pas obligé d’avoir la foi ou de faire semblant pour goûter les rites et les symboles chrétiens, notamment ; et que les comprendre donnait de la profondeur et augmentait les plaisirs et les émotions ressentis sous un chef-d’œuvre de l’art gothique comme celui de la cathédrale Saint-Just dans laquelle elle assisterait demain dimanche à la messe. Je n’ai pas revu Laly depuis. Mais je sais qu’avec ses parents, sa sœur et des amis, ils « feront pâquette » lundi autour de « ma cabane » en bord de mer. Avec les miens, c’était dans le massif de la Clape que nous nous installions sous les pins pour y manger la traditionnelle omelette pascale. Une tradition durablement inscrite dans nos mœurs et nos usages. Un jour prochain, je dirai à Laly que c’est à cela, à ces traces aussi, que l’on reconnait ce qui fait et fait vivre une civilisation.
Illustration : Le Greco, Marie-Madeleine pénitente.
10 heures 30. Les cloches de Saint-Just appellent les fidèles à se rassembler sur l’esplanade située à l’arrière de la cathédrale. C’est l’heure du rituel de la bénédiction des rameaux d’olivier et de laurier. Elles sonnent haut et fort. Et le vent porte loin dans les airs des vibrations d’allégresse. Le curé et ses servants sont en place. Autour d’eux, une petite foule se presse. Elle attend, impatiente, que la cérémonie commence. Leurs feuilles de laurier ou d’olivier bénies, de nombreux participants fuiront la messe et quitteront vite les lieux. Les rameaux orneront leurs maisons et les protégeront des malheurs du monde ! Ceux-là m’ont toujours fait penser à des adeptes clandestins d’une sorte de rite magique.
Plus tard, en remontant le Cours Mirabeau, j’ai croisé une famille d’Espagnol. L’homme, jeune, tenait à la main une longue branche de palmier séchée, tandis que sa femme et ses enfants arboraient des assemblages de palmes tressées. Comme à Elche, pendant la procession des palmes blanches, ou à Cox. Cox, le village de mon grand-père, où j’ai pu discuter, en 2013, je crois, de cet art du tressage des feuilles de palmier avec deux dames le pratiquant, ce jour-là et selon la coutume, devant l’église. Un art délicat qui se pratique et se transmet encore dans quelques rares familles. Depuis cette étonnante rencontre, je ne cesse de m’interroger. Pour quelles raisons ce jeune couple et leurs enfants se promenaient-ils ainsi dans les rues de Narbonne avec, dans leurs mains, les emblèmes d’une tradition qui, le même jour, réunissait une multitude de personnes dans les rues d’Elche, d’Orihuela ou de Cox ? Depuis, j’ai le regret de ne pas leur avoir adressé la parole. Ils ne pouvaient venir en effet que de terres paternelles. Nous aurions pu alors communier, peut-être, sur de mêmes histoires familiales. Que d’occasions de partage d’idées ou de sentiments sottement perdues dans une vie d’homme, songeai-je.
Illustration : photos prises lors de mon dernier séjour à Cox.
On ne prend jamais assez de temps pour se relire. Et quand je l’ai fait, récemment, s’agissant de textes publiés ici ou là, je m’irritais d’avoir à les corriger de leurs trop nombreuses fautes de style autant que de grammaire ou d’orthographe. L’expérience fut douloureuse. Très douloureuse. Au point d’arrêter là ce travail de compilation de billets et chroniques de ces trois dernières années réclamés par mes proches. Certains en effet veulent pouvoir les conserver et les lire en format « papier » – sous entendu : on ne sait jamais ce qui demain peut t’arriver ! L’envie donc d’envoyer le tout à la poubelle et de ne plus jamais rien écrire, m’a un temps plombé l’esprit, disais-je. Jusqu’à ce que je lise de Cicéron : « Caton l’Ancien, ou de la vieillesse ». Et ceci : «… nos soins ne doivent pas se borner au corps seulement, nous devons nourrir encore mieux l’esprit et le cœur ; car si on ne les entretient comme la lampe en lui fournissant de l’huile, eux aussi s’éteignent dans la vieillesse. » La blessure narcissique qui ne cessait de me perturber ces derniers jours changea alors de nature : elle devenait un impératif physique et moral. Vital. Il me fallait continuer ces petits travaux d’écriture. En jouir, malgré tout. Nourrir mon esprit et mon cœur. Vieillir, mais me raidir contre la vieillesse. Et « m’appliquer sans relâche à corriger les torts qu’elle peut avoir, et la combattre comme on combat la maladie. »