C’est une petite rue du quartier de Cité, étroite et sombre. Ses façades suintent la fatigue et le désespoir. Le jour rien n’y attire personne. Absolument rien! C’est au seuil de la nuit seulement qu’elle s’anime. L’été, les tables sortent. Alors elle s’emplit de paroles, de rires et de joie; et on oublie ses murs gris et sans âme. Ce miracle là, on le doit, à la Jument verte où Graziellaet ses enfants, son fils en cuisine, sa fille au service, tous les soirs, officient. L’âme de Marc, malheureusement trop tôt partie y est cependant toujours présente. Marc avait en effet ce don de rassembler.
Je m’en voudrais de taxer la modernité triomphante de radotage, mais il faut bien admettre qu’il est des mots et des concepts auxquels il devient de plus en plus difficile d’échapper. Essayez de visiter la moindre exposition artistique sans qu’il soit question « d’explorer un univers de rupture » à travers « une approche inédite » qui nous invite à « repenser notre rapport au temps et à l’espace ». Essayez d’assister au moindre festival théâtral sans que ce soit « jubilatoire », « revisité » ou « décalé ». Essayez de participer au moindre événement sans que ce soit une manière « ludique, festive et éphémère » de « vivre autrement ». Essayez de lire la moindre affiche ou le moindre prospectus municipal sans être interpelé sur votre degré d’écologitude.
Avec des petits trucs pour vivre et des petits trucs pour gagner sa vie, on va au jour le jour. Si on se trouve devant une obligation de grandeur, on biaise, on l’évite, on s’écarte par la tangente. Si on souffre trop, on fait un discours, ou on écoute un discours; car on est peut-être capable d’inventer le truc du téléphone, de la T.S.F. et de l’avion, mais on n’est pas capable de trouver des raisons individuelles de grandeur.
Promeneur de centre-ville, je me désole chaque jour du visage offert à ses visiteurs par des alignements de façades d’une laideur épouvantable. Je ne fais pas allusion ici à celles de certaines rues du quartier populaire de Bourg, encore moins à celles de Cité, pourtant plus bourgeoises, encore que!, mais à cette espèce d’immense panneau de murailles lépreuses vérolées par des fenêtres et des climatiseurs d’un autre âge, reliant l’Office du Tourisme à la rue des Marchands, côté canal. La face arrière du noble cours Jean Jaurès, me diront certains esprits économes, mais aussi l’entrée de ville des nombreux touristes, anglais surtout, qui traversent notre Cité au rythme lent de leurs embarcations, faut-il donc le leur rappeler.
Je viens de lire la critique de Philippe Dagen dans la Matinale du Monde de ce jour. Il nous présente l’œuvre de Mona Hatoum, dont certaines de ses « productions » sont exposées en ce moment même à Beaubourg. Obscur comme il convient quand rien ne peut être dit que de vagues clichés formant le capital intellectuel des amateurs de « performances » ; et inutile, notre critique, spécialiste de l’art contemporain et chroniqueur attitré du Monde, reproduisant dans ses « livraisons » toujours le même texte. Mais commode ! Il suffit en effet à qui veut parcourir toutes les FIAC du monde et en rapporter ses impressions pour les offrir à ses amis et voisins de bureaux. Un minimum de mots, trois références au surréalisme et à la « vision » forcément révolutionnaire des « créateurs » exposés, et le tour est joué. Voici un échantillon de sa prose lue ce matin: