Pendant que le bourgeois dort tranquillement…

 
 
 
 
Ma.23.5.2023
 
Humeur !
 
Bénédicte Bonzi est chercheuse associée au Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales de l’EHESS. Sous le titre « Le don de nourriture est devenu la béquille d’un système alimentaire prédateur » – Oui ! prédateur ! –, elle répond, dans le Monde d’hier, aux questions de Youness Bousenna. J’en extrais ce passage – qui m’a fait sursauter ! –, car, débarrassé des afféteries rhétoriques obscures propres au milieu universitaire des sciences humaines, il me semble très révélateur des parti-pris idéologiques et politiques des très nombreuses cohortes de « chercheurs » – sociologues, anthropologues, politologues et divers – régulièrement invités dans les colonnes des quotidiens Le Monde et Libération, notamment. L’intérêt de ce genre de publications – entretiens, chroniques, etc., oui ! l’intérêt, est, en effet, d’en faire ressortir les idées directrices qui, banalement militantes, ne se distinguent guère, si l’on en retire le vernis pontifiant, de celles abondamment exposées dans les tracts des diverses obédiences « wokistes et insoumises ». Il arrive même, parfois, pour mon plus grand plaisir en tout cas, comme ici, qu’une ou deux phrases en révèle aussi le caractère hautement et bêtement comique. Voici :

Ce clocher de Saint Paul, qui résiste.

 
 
 
 
 
 
 
 

(Narbonne) La Basilique Saint-Paul vue de la tour sud du Palais des Archevêques

 
 
Sa.20.5.2023
 
De ma terrasse !
 
Ce clocher de Saint Paul, qui résiste. Ces hirondelles, qui chassent. Ces mousses, qui colorent les tuiles. Cette coulée verte, qui frissonne. Ce yucca, qui plastronne. Ce ciel gris, qui grimace. Ce soleil, qui viendra. Ce silence, sous les toits. La Clape, qui s’étire. Ces mots, qui hésitent. Tout persiste. Le monde gronde. L’horizon écoute.
 
 
 
 
 

La vie n’est pas celle représentée par la loupe des médias et des réseaux sociaux…

           

Je.11.5.2023

Moments de vie.

J. est une de mes connaissances. Je le rencontre tous les matins – ou presque ! Et très souvent assis sur le même banc public de la place de l’Hôtel de Ville à l’abri du vent du Nord. Il y « passe le temps », dit-il, et ne sort de son mutisme contemplatif que pour commenter parcimonieusement les prévisions météorologiques et la petite actualité locale, surtout nécrologique. Un état d’esprit habituel que la « crise sociale » et politique ouverte avec la réforme des retraites a cependant profondément transformé. Rajeuni, J. semble en effet avoir retrouvé les accents et la véhémence du jeune militant socialiste zélé qu’il était lorsqu’il exerçait son métier de conseiller à la CPAM de Béziers. Sans pour autant dépasser les frontières du raisonnable que lui commande aujourd’hui une espérance de vie qu’il sait statistiquement et biologiquement bornée. De sorte que son espoir de « changer la vie » fait désormais place à un sentiment confus et bien naturel d’en jouir le plus longtemps et le plus intensément possible. Un désir que ses genoux en très mauvais état contrarient, se plaint-il. Surtout les jours de « marin » qui, comme nul ne l’ignore, ici en tout cas, réveille douloureusement des articulations sévèrement rongées par l’usure du temps ou l’arthrose, notamment. Ce qui sans doute explique aussi sa participation exclusivement assise et bavarde aux mouvements sociaux du moment ; mais qui ne l’a toutefois pas empêché de s’envoler pour les Canaries, en février, et ne l’empêchera pas de se rendre en Suède, cet été, pour se rafraîchir, me disait-il, ce matin encore. Il fait trop chaud, ici : c’est épouvantable ! Je l’écoutais ainsi me vanter les vertus thérapeutiques de ses voyages tout en pensant distraitement à cet article du journal le Monde lu un peu plus tôt au moment du petit déjeuner. Article qui m’avait réjoui tant son titre que son contenu exprimaient, s’agissant des intentions de voyages de nos compatriotes, une désolante incompréhension de leurs envies si peu citoyennes et pour tout dire écologiquement irresponsables. Quoi ! malgré l’inflation et la baisse de leur pouvoir d’achat, les tour-opérateurs faisaient le plein de réservations pour l’Europe du Sud, les Etats-Unis et le Canada avant les vacances d’été ! Et se faisaient les complices vénaux de clients insoucieux de leur catastrophique bilan carbone, qui plus est, soulignait habilement l’autrice en question. Comme si elle découvrait, soudainement chagrine et exaspérée, que les Français n’étaient pas forcément tous en colère, désespérés, angoissés ; sans le sous et sans désir de voyager ; elle-même finalement victime de l’effet de loupe sur la réalité sociale et politique, inconscient, au mieux, ou démagogique, manipulatoire, mais très vendeur, au pire, que son « journal », notamment, et tant d’autres médias ne cessent de présenter à leurs lecteurs ou auditeurs. Midi sonnait quand j’ai quitté J. Je le sais doté d’un solide appétit, aussi lui ai-je recommandé – il est en « surpoids » ! – sur un ton gentiment ironique, d’alléger ses repas pour soulager ses genoux. Qu’ainsi, ils le porteraient plus longtemps et plus loin. Qu’espérer d’autre, en effet !            

Un 8 mai indigne, indécent !

 
 
 
 
Ma.9.5.2023
 
 
Hier donc, avant même l’arrivée du Président de la République à Montluc pour rendre hommage à Jean Moulin dont on commémorait le 80e anniversaire de son arrestation à Caluire, une casserolade avait démarré en début d’après-midi aux portes du périmètre de sécurité établi par arrêté préfectoral. Et en début de soirée de ce même 8 mai, sur une chaîne de télévision du service public, Sandrine Rousseau déclarait, à propos de la réforme des retraites : « On est en train de détruire ce pourquoi des Jean Moulin sont morts. » Ainsi, en ce jour du souvenir et d’hommage à la Résistance et aux combattants des forces alliées, plutôt que le Chant des Partisans, on a pu entendre, rapportés par des médias complaisants, la cacophonie casserolière et les propos délirants de carnavalesques « insoumis ». Un sinistre concert où la bêtise obtuse des uns rivalisait avec l’indécence de tous. Il faut que je le dise ! Hier, devant cet indigne et désolant spectacle, j’ai éprouvé de la honte. Honte, en pensant à tous ces déportés et fusillés pour fait de Résistance ; et à mon grand-père maternel en particulier, à ses combats, à sa déportation et aux souffrances endurées pendant et après son enfermement dans le camp de Buchenwald. Mais comment, comment cela est-il donc possible, songeai-je alors dans un mouvement d’humeur et de colère froide.
 
 
 
 
 

Présence des morts : Philippe Sollers…

 
 
 
 
 
 
 
 
Lu.8.5.2023
 
Moments de vie.
 
Il est 10 h 30 et j’admire le somptueux mélia couvrant la totalité du cadre d’une des deux grandes fenêtres de la cuisine. Il ondule pesamment, mais gracieusement, sous la poussée modérément forte d’un vent du Nord plutôt frais. Ses premières fleurs étoilées rose-lilas et ses fruits en forme de boules couleur miel percent sous le vert de son abondante frondaison. Dans quelques jours, il dispersera autour de lui un parfum lilas poudré, puissant et généreux. Un couple d’hirondelles joueuses traverse ce décor à vive allure, au ras des vitres. Elles nichent au-dessous du chéneau. Tous les ans, j’assiste ainsi, heureux, à ce merveilleux spectacle. Rien de change ! Devant moi, sur la table, la tasse de café que je viens de boire et le livre d’Emmanuel Berl que je viens de refermer après avoir lu ses dernières pages : « Présence de morts » *. Qui puis-je ? Quand je l’ai ouvert la semaine dernière, je ne pouvais imaginer qu’il toucherait ma sensibilité récemment blessée par les décès de personnes admirées ou connues, ou pas, d’ailleurs, et que j’en terminerai la lecture aujourd’hui : 8 mai. Avant de refermer ce livre, disais-je, ce livre écrit dans un style élégant, net et précis, je me suis attardé sur ce passage souligné de traits irréguliers tracés au crayon noir en pensant notamment aux innombrables articles et commentaires publiés ici ou là après l’annonce du décès de Philippe Sollers.
« Nous trahissons les morts en les oubliant, et nous ne pouvons pas penser à eux sans les trahir ! Nos fidélités s’avèrent d’autant plus abusives qu’elles sont plus ferventes. Le survivant finit par croire qu’on viole les volontés du mort, quand on résiste aux siennes. Sa piété tourne en idolâtrie ; il se figure adorer un disparu, quand il se prosterne devant ses propres passions. » (page 122)
 
*Publié en 1956, il a été réédité en 2019, dans la collection « l’Imaginaire » de Gallimard.
 
 
 

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