Chronique du Comté de Narbonne.

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Lundi 23 avril de l’an 2012

Les premiers martinets sont arrivés, mon oncle ! Ce matin, en solitaires, comme les premières hirondelles le 11 avril dernier. Le temps de se rassembler dans les tours et les clochers de Saint Just et Saint Paul pour reprendre des forces, ils se projetteront dès demain, en masse compacte et bruyante, matin et soir, dans le ciel de Narbonne. Un spectacle qui me ravit ; surtout au soleil couchant, sur ma terrasse surplombant les toits cuivrés de la ville ; un bon et suave cigare aux lèvres avec le ciel  et ses nuages comme seuls confidents. Quelle paix, quel silence, mon oncle, à goûter ces senteurs exotiques en  toute fantaisie, loin, si loin des bruits artificieux de la cité ! 

Samedi, c’est à un autre genre de spectacle que je me suis rendu. C’était en fin d’après midi, en un lieu nommé le «  pré de l’avenir » où se jouent toutes sortes de jeux dans lesquels le hasard, l’autre nom du destin, se plaît à confondre le nécessaire et l’imprévu, que se donnait à voir un sport venu d’outre manche. Deux groupes de quinze individus s’y affrontaient pour la possession d’une balle à la forme curieusement ovoïde et aux trajectoires véritablement insensées ; ils portaient d’impudiques culottes et de drôles de chaussures cramponnées ; couraient, sautaient, poussaient et tapaient dans cette pelote de cuir pour pouvoir l’aplatir dans  chacun des deux camps. Il y avait grande foule autour de ce grand rectangle vert, mon oncle : l’équipe du Comté de Narbonne, composée de mercenaires venues de tous les continents, s’opposait à celle du Comté de Bourgoin, pareillement cosmopolite. Une vraie macédoine aussi diverse que Jérusalem au moment de la Pentecôte, mon oncle ! L’enjeu était d’importance, car il fallait éviter l’humiliation et le scandale d’une relégation ; et conjurer la colère et l’indignation des habitants du Comté. Ce qui fut fait ! A la toute dernière minute… La foule enivrée hurlait sa joie, brandissait des drapeaux et soufflait dans des cornes. Si tu avais vu la trogne de ces gens, mon oncle ! Enfin, pas toutes, Dieu merci ; mais que dire de celles de l’employé hébété, ratatiné, du monsieur frêle qui a eu longtemps la colique et de la petite vache bouffie aux joues débordantes, qui étaient rangées devant moi ; muets la plupart du temps, à la limite de l’hébétude, ils bondissaient comme lapins en rut et braillaient à tout vent injures et railleries. 

Le Comte de Labatout et ses conseillers était aussi de la partie, si je puis dire ; comme le duc de Lemonyais, le Prince de Gruissan, le sieur Fraise et nombre de ses amis du club des fumeurs de havanes ; nombreux aussi étaient les boutiquiers, artisans, magistrats ; certains de cette société étaient même accompagnés de leurs dames, pour en rehausser le ton. Là, point de cris, mon oncle ! des regards, des signes, des mimiques et des chuchotements suffisent à nouer des alliances, défaire des réputations, supputer défaites et trahisons. Tout y fait sens, en effet: la courbure des dos, les atours d’une amie, d’une épouse. 

Comme au théâtre, mon oncle, le spectacle n’était pas seulement sur la scène, dans le pré, ce samedi dernier. Comme il ne l’était pas non plus dimanche dans ces étranges lucarnes où valsaient promesses et changements sur des airs de fraternité. Je ne t’en conterai donc pas davantage, tant il est vrai que le monde lui même est une scène de théâtre ; et la vie un jeu qu’il convient d’apprendre pour en supporter les souffrances et en vivre les plaisirs.

Je t’embrasse 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Samedi 14 avril de l’an 2012.

Merci, mon oncle, pour ton habituelle lettre arrivée par diligence ce 9 avril matin. Comme chaque année, trois points au centre de la page ; et ces mots : « Bonne chance ! ». Comme chaque année aussi, à la même date, j’attends le retour des hirondelles. Elles sont arrivées le 11, virevoltant dans une lumière de fin d’après midi.Dans quelques jours, suivront les martinets noirs en compactes et bruyantes escadrilles.En attendant, mon oncle, de lourds et tonnants coups d’escopettes animent la vie du Comté. Il ne t’a pas échappé que nous sommes en pleine bataille pour la succession de sa majesté Nicolas, dans un royaume en faillite que le peuple feint d’ignorer. Demain sera donc une épreuve, que ne connaîtront pas nos élites, à l’abri de leurs titres, dans leurs châteaux, entourés de leurs cours…Une constante de l’histoire, n’est ce pas, mon oncle ? Enfin ! laissons les innocents à leurs niaiseries intéressées.C’est donc madame Richita Gati, l’ancienne Garde des Sceaux de notre Roi Nicolas, qui est venue porter la bonne parole dans le Comté. Tout, chez elle, semble couvrir son passé : son arrogance et ses goûts de luxe ostentatoirement affichés, notamment. De sang oriental, elle en a le port de tête, la noire et brillante chevelure, les yeux sombres et profonds où brille, étrangement, une vive et froide lumière, signe d’une inflexible ambition. Petite, serrée dans des habits simples mais coûteux, de hauts et pittoresques souliers à talons rouges, mobiles emblèmes d’un tempérament de feu, la portent. Ce qu’elle fit : feu !, tout sourire, et denture affichée, sur le favori du Comte de Labatout, le prétendant au trône François de Gouda ; en n’oubliant pas de rappeler que le Comté, à l’époque où le duc de Lemonyais en administrait les affaires, avait bénéficié de ses douceurs et lui était redevable d’un moderne et fort beau tribunal. Eberlué, et les plumes en bataille, comme un Grand-Duc réveillé en plein jour, le comte de Labatout, avec le mol aplomb qui le caractérise, lui a répondu illico dans les gazettes locales : que nenni, que nenni ! C’est à la dame Zabet de Guichou, du parti de la rose, et à lui seul, tenait-il à préciser, comme à son habitude : modestement, que les Narbonnais devait ce magnifique palais de justice. Non mais !Je ne vais pas entrer dans les détails de cette polémique, aussi stupide qu’inutile, mon oncle, mais si je te rapporte cette anecdote, c’est qu’elle me paraît symptomatique du fonctionnement cérébral du Comte. Pour notre homme, en effet, tout le patrimoine du  Comté accumulé au fil des siècles , bâti ou pas depuis le début de l’histoire humaine, est à mettre à son actif ; les éventuels impairs, fautes ou sottises résultant de sa propre gestion des affaires publiques, au débit de ces opposants.Une conception bien singulière de l’histoire, n’est ce pas ? Pour un peu, si le ridicule ne tuait pas, le nombre de nos prestigieuses propriétés historiques le justifierait à revêtir chaque matin les habits d’un consul ou ceux d’un archevêque. Un de ses conseillers, de mes connaissances, dont je tairai le nom, y voit là, pour des raisons qui échappent encore à mon entendement, l’influence néfaste de Patrick de la Natte. Il faut donc nous attendre, mon oncle, dans le futur et à l’occasion d’un brusque accès de fièvre nostalgique, à l’inauguration des égouts romains, qui passent sous la rue Droite, et à la  consécration de la cathédrale Saint Just, qui jouxte le palais comtal. En ces temps là, il est vrai mon oncle, Narbonne était grande! Comme tu le vois, en pensant à ceci qui me vient sous la plume: « La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief », ton ami La Bruyère n’est guère lu dans nos châteaux. Point d’ombres ici, mon oncle! Mais d’aveuglantes lumières…Six heures viennent de sonner au clocher de Saint Paul : l’heure où les hirondelles prennent le vent et le ciel ; la porte-fenêtre de ma terrasse est ouverte : deux, trois viennent d’en traverser le champ ; une autre histoire commence; à ne savoir qu’en dire. Il est temps que je te quitte, mon oncle, pour te retrouver tantôt. Je t’embrasse !

 

 

Infinie bêtise !

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Vent violent, ciel clair et température basse. Il fait froid ! Les visages sont fermés et « fripés ». Un temps à courir chez sa boulangère, pour filer ensuite dans une brasserie. Au chaud ! Y lire son journal, observer son voisin et se laisser envelopper par un fond de paroles brouillées propre au lieu, qu’une odeur de café crème leste d’une délicate pointe de suavité. Chaude et bienheureuse bêtise… Plus tard, France Culture : «  le journal de la philosophie ». François Noudelmann reçoit Claude Coste pour son ouvrage « Bêtise de Barthes » paru chez Klincksieck, 2011. Son hypothèse : la bêtise et le stéréotype sont liés. Comme chez Flaubert ( son dictionnaire des idées  reçues ). Et personne n’y échappe. Barthes comme nous tous. Le Moi, suprême bêtise, est une illusion, et seule la littérature, l’écriture : la fragmentée, peut nous permettre d’en sortir. Peut-être ! Exemple de bêtise : celle du politique. Du militant, plus précisément, qui ne pense jamais par lui-même. Par nature, si je puis dire…

Chronique du Comté de Narbonne.

     
Narbonne: Hôtel de Ville.

Narbonne: Hôtel de Ville.

Mardi 10 avril de l’an 2012.

Mon très cher parent,

Il faisait un grand beau temps ce lundi de Pâques, mon oncle ; je remontais la rue Droite, qui ne l’est pas, quand je fus abordé par un quidam habituellement croisé lors de mes promenades urbaines ; de ceux avec qui l’on évoque facétieusement la force et le sens des vents, forts nombreux et puissants en ces terres d’Aude, comme tu le sais. Très agité, ce particulier, pourtant bien élevé et de bonne famille, à l’humeur vagabonde et aux gestes mous, brandissait furieusement comme on époussette ses souliers à grands coups de mouchoirs, une « feuille » au titre outrancièrement accusatoire, et entièrement consacrée, si je puis dire en cette fin de semaine pascale, à Patrick de la Natte, notre ex gazetier en chef du « Tirelire » comtal et présentement scripteur en chef du Comte de Labatout ; une « feuille » en forme de brûlot, qu’il me tendit sur le champ avec force commentaires auxquels je n’entendis goutte. Une véritable crucifixion, mon oncle ! une descente aux enfers sans passage compatissant par un éventuel purgatoire pour celui qui, naguère, se présentait sous les traits d’un preux chevalier de la liberté de la presse et qui, aujourd’hui, agit en mercenaire de la propagande politicienne. Si les masques finissent toujours par tomber, le sieur Loulou de la Godasse, lui qui tient plume, de la première à la dernière ligne dans ce brutal libelle, ne prend guère les gants de la civilité bourgeoise pour les arracher brutalement. Un drôle de pèlerin notre Loulou ! Un ancien et modeste gabelou très vite reconverti avec succès dans les affaires immobilières et cabaretières. Jadis patron d’une taverne flottante, il est à la tête, aujourd’hui, d’une des plus grosses fortunes du Comté ; toujours à ferrailler contre tous les pouvoirs, qu’il espère abattre et qui, toujours, le font chuter. Son style d’écriture, je te joins un extrait, est à l’image du personnage ; n’y brillent ni l’esprit de finesse ni celui de géométrie. Il le sait et en joue et surjoue, il faut le reconnaître, avec la  grasse gouaille qui tant plaît au peuple ; et de son physique et de ses costumes, dont il sait qu’ils n’en supporteraient pas le vernis, notre homme en tire avantage dans le genre plébéien et canaille qui lui sied finalement très bien.

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mardi 3 Mars, de l’an 2012.

Le temps n’est plus, mon oncle, où le dimanche des Rameaux mobilisait la ferveur du bon peuple. Ce matin là, Saint Just était pleine comme elle l’est à Noël, mais malgré les cloches qui battaient le rappel avec plus de vivacité et d’entrain que de coutume, plus nombreux encore étaient les narbonnais qui se rendaient au marché et aux halles ; des halles toujours remplies, elles, et toujours ouvertes à toutes les envies de table, notamment celle d’y goûter un bon verre de vin chez Bébel , ce comptoir à la mode où se côtoient petites et grandes notabilités locales.

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