Trois petites variations sur l’égalité.

 

 

 

 

jourheure.gif

 

 

Gil Jouanard est un ami ! Nous nous sommes rencontrés à Montpellier dans les années 80-90. Il dirigeait alors le Centre Régional des Lettres. C’est un peu grâce à lui que j’ai découvert C.Bobin et C.Juliet, à l’époque peu connus. Il écrit des textes courts, dans une belle prose poétique, au gré de ses voyages, de ses humeurs, de ses rencontres. Il écrit comme on creuse, et avoue avoir mis beaucoup de temps à « reconnaître la veine riche… » Il lui arrive aussi, comme dans ces trois extraits ( Le jour et l’heure. Verdier, juin 1998 ), de régler ses comptes avec certains travers de notre époque, qu’il n’aime guère, sans quitter ce « parler artificiel, fait pour n’atteindre qu’une chose à la fois » page 45. Lectures…  

 

                                                                 .°.

 

 

« …S’opposer au leurre du «  métissage culturel », c’est se refuser à devenir l’otage de la standardisation, et du rabotage des aspérités culturelles aux fins d’insertion dans un moule rétrécissant. J’aime allant à Bamako, voir et entendre autre chose que ce que je peux entendre à Vilnius. Je m’enthousiasme, chez autrui, pour ce qui le différencie de moi, et plus la différence entre lui et moi est grande, plus son identité requiert mon attention. J’éprouve une nausée d’angoisse prospective en voyant le monde entier parcouru par des espèces de grandes gigues coiffées de casquette de joueurs de base-ball posés devant derrière. Je n’ai rien contre eux ; mais leur globalité me donne envie de fuir…  Montpellier, ce 7 décembre 1995 » Page 31 

 

« Les moyens de communication ayant logiquement pris le pas sur tout effort de vraie exigence vis à vis du contenu, le mot clef de la société humaine s’est trouvé fondé à partir de la racine signifiant « moyen », « médiocre », médium, utilisé de surcroît dans sa seule forme plurielle de média. Tout se met à ressembler partout à tout ; les vêtements, la cuisine, les divertissements, les mœurs, et bientôt la langue ; Le paradoxe est grand : c’est au moment où l’individualisme a atteint son plus haut degré d’expression que s’accomplit l’avènement de ce monde de vie standard. C’est donc chacun pour soi, mais tous pareillement. Montpellier ce 4 décembre 1995 » Page 30 

 

« …On ne me fera jamais croire que deux individus nés dans un même contexte socio-économico-culturel, mais dont l’un comblera son appétit cérébro-affectif en suivant les péripéties des jeux télévisés, tandis que l’autre prendra son plaisir dans le creusement perpétuel de son doute et de ses convictions sont égaux. C’est insulter ce qui a de grand dans tout individu que de laisser aller à prétendre le contraire. Quant à moi, je ne veux de mal à personne, et n’en ferai jamais que par inadvertance, en le regrettant ma vie durant ; mais je n’admettrai jamais qu’il puisse y avoir la même égalité spécifique entre cette masse inerte de pantins articulés et Frantz Schubert ou John Cowper Powys. Est-ce une affirmation réactionnaire ? C’est en  tout cas violemment anti-fasciste. Car le commencement du fascisme, c’est l’affirmation de l’égalité de tous devant la sottise et devant la lâcheté. Montpellier, ce 8 décembre 1995. » Page 32

  

 

 

 

 

 

                                

                                 

 

 

Hopper, peintre métaphysique!

 

Self_portrait_by_edward_hopper-copie-1.jpeg

 

 

Magnifique rétrospective de  l’œuvre d’ E. Hopper au Grand Palais. Beaucoup de choses ont été écrites sur cet événement, je n’y reviendrai pas.  Une remarque cependant sur la trop grande insistance des critiques français sur sa « dénonciation » de la société américaine. S’il est vrai que ses personnages et ses paysages en sont le reflet, ses thèmes et sa philosophie ont une tout autre portée. Hopper est un peintre métaphysique ! Comme George de la Tour, Goya, Munch, de Chirico… en d’autres temps et d’autres pays. C’est pour ça qu’il nous touche. De ses toiles se dégagent tension, mélancolie, solitude et attente. Comme dans celle ci, célébrissime : un bar tristement éclairé, sans murs, plongé, tel l’étrave d’un bateau, dans l’océan de la nuit.

 

 

m-Hopper.jpeg

 

Trois personnages bavardent, indifférents au quatrième de dos, dont l’ombre ne laisse à la lumière que le bas d’un visage penché sur un verre à peine deviné. Ses épaules portent le poids du monde. Qu’attend-t-il ? La solitude est en nous comme une lame, nous dit Christian Bobin, dans son « éloge du rien ». On ne peut nous l’enlever sans nous tuer aussitôt. L’amour ne la révoque pas, il la parfait. Et qui nous dit de cet homme, qu’en cet instant où plus rien n’est à attendre, sinon l’inattendue dans sa nuit, qu’il n’est pas au plus près de sa vérité. Comme une prière le vent, comme une âme son être. Le génie d’Edward Hopper est dans cette faculté qu’il a de transformer la banalité des formes et des situations en représentations d’un univers métaphysique d’une profondeur inouïe. Le glacé de ses toiles en lumineuses rêveries. Le rien de la vie en tout de l’être…

 

 

 

Chronique du Comté de Narbonne.

      Capture d’écran 2014-08-28 à 17.58.35

Mercredi 17 octobre de l’an 2012

Le pouvoir est un mensonge, et le ministre Mentoujours son icône, mon oncle ! Lui, qui tantôt voulait démondialiser, court désormais de fabriques en ateliers pour éteindre des incendies en conspuant leurs patrons et les banquiers. Son impuissance est à la hauteur de son insolence de parvenu : infinie ! D’aucuns de ses amis y voient la cynique main de François de Gouda. En lui confiant le Redressement manufacturier sans toucher aux lois de l’économie, il le condamnait en effet au ridicule du matamore, qui est sa pente naturelle et qui demain le fera tomber. La cruauté et la ruse sont au cœur de la politique et Mentoujours, enivré d’un pouvoir sans moyens, en est aujourd’hui la victime. Les banquiers et les patrons  apprécient la manœuvre ! Indignés dans la rue, ils rient sous cape à ses rodomontades et se moquent de ce faux puritain dont la dame arbore des lunettes en écailles de tortue  faites sur mesure pour la modique somme de 12 000 euros. Normal sans doute pour une gazetière de gauche à la mode, visiblement loin des réalités du peuple des usines chers à son compagnon de ministre ; un couple de notre temps  emblématique d’une élite politique et médiatique coupée des réalités populaires et droguée aux ors du pouvoir et de l’argent.

Dans le Comté, les affaires sont tout aussi tristement comiques, mon oncle ! Labatout règne dans le style original de ces terres audoises dont on dit des habitants qu’ils ont « la tête plate ». L’avenir y semble sans espoir et la fatuité se mélange à l’amertume dans un présent au souffle court. Le Comté s’avachit ! Seul Patrick de la Natte reste maigre tandis que son seigneur grossit et ses habits se fanent ; mais ils marchent toujours de concert, le dos voûté sous le poids de l’ennui. Dans le camp opposé, c’est la guerre ! Après celle des deux roses, au printemps dernier, voici celle, cet automne, des trois vilains petits canards. Qui seront bientôt quatre quand le sieur de la Godasse s’invitera dans cette mare aux ambitions comtales. Un quadrille mortel dans une trop petite mare où  s’exécutent déjà, au rythme des tambours, d’agressives figures chorégraphiques. Ils s’y noieront,  mon oncle ! Sans fleurs, ni couronnes ; dans l’indifférence et le silence de l’oubli…

Lundi, j’étais, avec mes trois amis, dans le Conflent, à Bélesta précisément. Le vent et une petite pluie nous attendaient au départ d’une randonnée plutôt facile. Il a fallu attendre le milieu de la matinée pour que le Canigou enneigé s’offre enfin à nos vues. Quelle beauté ! La montagne  nous offre tout ce que la société moderne oublie de nous donner, n’est ce pas mon oncle ?

Je t’embrasse.

 

 

 

Le livre des masques.

 

 

 

imgres-copie-3.jpeg

 

 

Comme souvent le dimanche soir, je feuillette mes carnets de notes de lectures. J’en retire celles ci : les deux premières sont tirées du « Livre des masques » de Rémy de Gourmont, la dernière de la correspondance de Flaubert (1854-1861)

 

 

                                     .°.

·      « En un temps où, petits plagiaires de Sénèque le philosophe, les agents de change, les avocats populaires, les professeurs retirés dans un héritage, les millionnaires, les ambassadeurs, les ténors, les ministres et les banquistes, où toute la «noblesse républicaine», hypocritement joyeuse de vivre, s’attendrit avec soin sur le «sort des humbles», au moment même qu’elle leur met le pied sur la nuque, en ce temps-là, il est agréable d’entendre quelques paroles de franchise et M. Rebell dire: «Je veux jouir de la vie telle qu’elle m’a été donnée, selon toute sa richesse, toute sa beauté, toute sa liberté, toute son élégance; je suis un aristocrate.»

·      « Ceux-là qui ne portent pas en eux l’âme de tout ce que le monde peut leur montrer, auront beau le regarder: ils ne le reconnaîtront pas, toute chose n’étant belle que selon la pensée de celui qui la regarde et la réfléchit en lui-même. En «poésie» comme en religion, il faut la foi, et la foi n’a pas besoin de voir avec les yeux du corps pour contempler ce qu’elle reconnaît bien mieux en elle-même….»

·      « Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de votre pensée, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer. Aussi quelle reconnaissance j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble que l’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts ! »

 

Bonnes lectures ! La mienne, en ce moment? Les Diaboliques !

Articles récents