Je voudrais, en prenant appui sur les révoltes populaires dans le monde arabe, sortir de mon « registre » habituel, si je puis dire ( encore que…), pour pointer le caractère obsolète du » point de vue » géopolitique et stratégique occidental. Un contre-regard qui s’inspire des travaux de Nathan Freier.
Commençons par ceci : « Les plus vraisemblables chocs futurs seront non conventionnels. Ils ne viendront pas d’avances foudroyantes d’armées ennemies. Ils se manifesteront plutôt d’une manière très éloignée des conventions traditionnelles établies. La plupart seront non militaires par leur origine et leur caractère, et non pas, par définition, des événements classiques favorables à l’emploi conventionnel des moyens du Département de la défense. ”
Cette réflexion, publiée en 2008 par le Strategic Studies Institute (SSI) est celle d’un lieutenant colonel américain, Nathan Freier, professeur à l’US Army War College.Il ajoutait, de manière assez paradoxale, que ces menaces pouvaient être corrélées à un dessein hostile ou pas. La seconde proposition étant la moins comprise et donc la plus dangereuse » (!!!)
Illustration et pertinence de son analyse :
1° « dans le système international, certains Etats comptent plus que d’autres. Le fonctionnement stable d’un certain nombre de ces Etats est essentiellement important pour les Etats-Unis et leurs intérêts. La plupart d’entre eux représenteraient des dommages potentiels considérables s’ils venaient à succomber à une instabilité soudaine, catastrophique ou à se trouver en faillite. Ceci est vrai quelles que soient leurs dispositions préalables envers les Etats-Unis – amicales, bienveillantes ou neutres ”.
2°Leurs caractéristiques ? Soit qu’ils possèdent des armes de destruction massive, des ressources stratégiques et/ou une position géographique dominante, des populations proches des USA et susceptibles de migrer en masse, soit qu’ils puissent “ par une déstabilisation imprévue déclencher une instabilité contagieuse dans une région importante ” en étant “ des alliés clés ou des partenaires stratégiques ”.
Lire ces lignes aujourd’hui, à la lumière des révoltes imprévisibles qui ont fait tomber, en moins de deux mois, les deux régimes “amis” tunisien et égyptien, secouent le Yémen, la Jordanie, la Libye, Bahreïn, contaminent l’Iran et peut-être la Syrie, s’étendent en Afrique (Soudan, Djibouti (3), Algérie, Maroc) et inquiètent la Chine (4), est très éclairant. Pour les Etats-Unis mais aussi pour l’Europe, qui n’a pas de pensée stratégique unifiée sur les « menaces » potentielles qui pourrait l’affecter et qui n’a anticipé aucunement les événements actuels (rien n’était imaginable il y a moins de deux mois).
Qui en effet aurait pu imaginer un mouvement des populations civiles pour plus de liberté, pour une distribution des richesses plus équitable, moins de corruption, plus de possibilité de choix de leurs dirigeants. Bref, plus de démocratie…
Un mouvement dont l’ampleur n’est pas de nature à être dirigé ou contenu par une réponse militaire ou diplomatique unilatérale, même pas par une aide économique… Une “surprise géopolitique et stratégique” inouïe qui remet en cause les plans et les rôles de chacun des Etats, sans exclusion. Qui explique aussi l’embarras de Washington et de l’Europe. Une Europe sans voix…
Qu’en sera-t-il de la suite ? La seule chose que l’on puisse en dire est qu’on en sait rien, et constater que l’envie de libertés secoue comme jamais les dictatures qui les écrasent. Et c’est tant mieux ! Restera-t-elle pacifique ? Quels régimes pour les faire vivre ? L’histoire est ouverte et rien ne garantit qu’un mouvement nourrit par l’esprit de démocratie ne finisse par accoucher d’un Etat qui, sous de nouvelles formes, place les libertés en régime surveillé. Voire pire… L’histoire de notre siècle en porte de nombreux témoignages…