Chronique du Comté de Narbonne.

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Mercredi 2 mai de l’an 2012

Mon très cher oncle !

Qu’elle ne fut pas ma surprise, ce matin, à cette heure exquise du petit déjeuner, en ouvrant le paquet de courrier obligeamment déposé par mon aimable et fidèle Hector sur l’habituelle desserte, comme à l’accoutumée, d’y trouver deux lettres vulgairement anonymes. Courtes, mal écrites et truffées de fautes en tous genres, comme un chien peut l’être de grandes taches noires, leurs auteurs, du parti de la rose, se lâchent au motif que, jadis, je conseillai le duc de Lemonyais ; un office, à leurs dires, dont j’aurais tiré d’illicites profits.Tiens donc !? Et puis quoi encore ? 

Je ne te rapporterai pas cette sorte de comportement, mon oncle, s’il n’y avait, en la circonstance, matière à en tirer quelques enseignements; en ce Comté, comme en d’autres assurément de couleurs différentes.

Dans une de mes dernières chroniques où je disais de Dino et Shirley qu’à se lancer dans un assaut contre le sieur Lemaillet  au motif que, de son temps, le Comté étouffait sous le clientélisme, le copinage et les prébendes, ils risquaient de se voir rappeler l’origine de leurs présentes charges.

Chronique du Comté de Narbonne.

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Vendredi 27 avril de l’an 2012

Oui, mon oncle, je l’ai enfin aperçu ton ami de la Natte – l’est-il encore ? C’était un matin triste, ils ne le sont pas toujours, de la semaine passée ; il était tôt, environ 8 heures, et je buvais distraitement, devant ma fenêtre, un café forcément noir, l’esprit brumeux et troublé, comme le ciel et les rues ce jour là l’étaient, quand sa silhouette s’inscrivit dans la pâle lueur d’un piteux lampadaire. Il marchait à longues enjambées, le dos vouté ; dans sa main gauche, une lourde sacoche courbait sa course, comme si sa volonté pliait sous le poids de son nouvel office ; des papiers froissés tournoyaient aussi, dans son sillage… Images fugaces d’un étrange destin qui, en ce triste matin d’avril, l’amenait au Château, vous qui le connûtes, mon oncle, son bloc-notes en bandoulière, pourfendant son précédent occupant et chassant ses mensonges. 

Images qui me font penser, pourquoi? je ne le sais! à cette engeance gazetière qui voit le monde à sa façon sans qu’on puisse le lui dire ; arrogante, insolente de surcroît envers ceux qui le voient autrement, qui osent encore croire en des idées qu’elle récuse. Naguère, t’en souviens tu ? du royaume de France, en parler était indigne ; aujourd’hui, c’est immigration et sécurité qu’ils faudraient taire. Mots infâmes dans leurs bouches, j’en pourrais citer d’autres, d’où sortent en chapelet, à leur place : République, protection, diversité : évidemment bienheureuse ! Entends moi bien, mon oncle, de ces derniers mots, j’en fais moi même l’éloge ; mais, il faut en convenir, ainsi manipulés la réalité qu’ils recouvrent se vide de tout sens . Faut-il donc continuer de la sorte : nourrir de peurs et de fantasmes des millions de personnes ; les laisser en des mains aux feintes et perverses intentions ? Ce peuple là vit, c’est Laurent Bouvet qui l’écrit, un éminent professeur, il faut l’entendre, dans l’insécurité culturelle ; et nous prédit, à terme, une recomposition générale du paysage politique françois. Il faut le lire, mon oncle, tant sa pensée, sans tabous,nous enseigne.

Que dire, enfin, de ces sorciers de la bien-pensance qui, aujourd’hui, lui font de basses avances ? Dans ce Comté, comme dans le reste du Royaume, l’élection du futur roi, il est vrai, en dépend. Ainsi pouvait-on lire sous la plume de Bonoeil et Malmont, nos Dino et Shirley du  Comté, et du parti de la rose, cette admirable et hypocrite prose : « il faut savoir entendre ce vote…on doit rendre notre message plus audible…il ne faut pas diaboliser la totalité de ces électeurs… ». Une posture qu’on récuse au parti opposé, qui affiche la même !  A propos d’ouïe, de vérité et de mensonge, mon oncle, me vient cette réflexion, je tairai son auteur : tu le lis si souvent ! : « La vie se passe presque toute à s’informer. Ce que nous voyons est le moins essentiel. Nous vivons sur la foi d’autrui. L’ouïe est la seconde porte de la vérité, et la première du mensonge… Sers-toi de ta réflexion à discerner les pièces fausses ou légères d’avec les bonnes. ». 

En ces temps où le pire, dans nos innocentes oreilles, est encore à entendre, mon oncle, ces paroles de celui qui, jadis, instruisait les rois dans cet art de régner sur leurs peuples, ont gardé leur intelligente fraîcheur. De fraîcheur et de lumière, ce mois d’avril en manque, hélas !, cruellement : vent violent et lourds nuages noirs traversent en tout sens le Comté. Vivement le mois de mai, mon oncle, même s’il est dit, avec juste raison, qu’il n’est beau que chez les poètes; nos amis!

Je t’embrasse !

Chronique du Comté de Narbonne.

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Lundi 23 avril de l’an 2012

Les premiers martinets sont arrivés, mon oncle ! Ce matin, en solitaires, comme les premières hirondelles le 11 avril dernier. Le temps de se rassembler dans les tours et les clochers de Saint Just et Saint Paul pour reprendre des forces, ils se projetteront dès demain, en masse compacte et bruyante, matin et soir, dans le ciel de Narbonne. Un spectacle qui me ravit ; surtout au soleil couchant, sur ma terrasse surplombant les toits cuivrés de la ville ; un bon et suave cigare aux lèvres avec le ciel  et ses nuages comme seuls confidents. Quelle paix, quel silence, mon oncle, à goûter ces senteurs exotiques en  toute fantaisie, loin, si loin des bruits artificieux de la cité ! 

Samedi, c’est à un autre genre de spectacle que je me suis rendu. C’était en fin d’après midi, en un lieu nommé le «  pré de l’avenir » où se jouent toutes sortes de jeux dans lesquels le hasard, l’autre nom du destin, se plaît à confondre le nécessaire et l’imprévu, que se donnait à voir un sport venu d’outre manche. Deux groupes de quinze individus s’y affrontaient pour la possession d’une balle à la forme curieusement ovoïde et aux trajectoires véritablement insensées ; ils portaient d’impudiques culottes et de drôles de chaussures cramponnées ; couraient, sautaient, poussaient et tapaient dans cette pelote de cuir pour pouvoir l’aplatir dans  chacun des deux camps. Il y avait grande foule autour de ce grand rectangle vert, mon oncle : l’équipe du Comté de Narbonne, composée de mercenaires venues de tous les continents, s’opposait à celle du Comté de Bourgoin, pareillement cosmopolite. Une vraie macédoine aussi diverse que Jérusalem au moment de la Pentecôte, mon oncle ! L’enjeu était d’importance, car il fallait éviter l’humiliation et le scandale d’une relégation ; et conjurer la colère et l’indignation des habitants du Comté. Ce qui fut fait ! A la toute dernière minute… La foule enivrée hurlait sa joie, brandissait des drapeaux et soufflait dans des cornes. Si tu avais vu la trogne de ces gens, mon oncle ! Enfin, pas toutes, Dieu merci ; mais que dire de celles de l’employé hébété, ratatiné, du monsieur frêle qui a eu longtemps la colique et de la petite vache bouffie aux joues débordantes, qui étaient rangées devant moi ; muets la plupart du temps, à la limite de l’hébétude, ils bondissaient comme lapins en rut et braillaient à tout vent injures et railleries. 

Le Comte de Labatout et ses conseillers était aussi de la partie, si je puis dire ; comme le duc de Lemonyais, le Prince de Gruissan, le sieur Fraise et nombre de ses amis du club des fumeurs de havanes ; nombreux aussi étaient les boutiquiers, artisans, magistrats ; certains de cette société étaient même accompagnés de leurs dames, pour en rehausser le ton. Là, point de cris, mon oncle ! des regards, des signes, des mimiques et des chuchotements suffisent à nouer des alliances, défaire des réputations, supputer défaites et trahisons. Tout y fait sens, en effet: la courbure des dos, les atours d’une amie, d’une épouse. 

Comme au théâtre, mon oncle, le spectacle n’était pas seulement sur la scène, dans le pré, ce samedi dernier. Comme il ne l’était pas non plus dimanche dans ces étranges lucarnes où valsaient promesses et changements sur des airs de fraternité. Je ne t’en conterai donc pas davantage, tant il est vrai que le monde lui même est une scène de théâtre ; et la vie un jeu qu’il convient d’apprendre pour en supporter les souffrances et en vivre les plaisirs.

Je t’embrasse 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Samedi 14 avril de l’an 2012.

Merci, mon oncle, pour ton habituelle lettre arrivée par diligence ce 9 avril matin. Comme chaque année, trois points au centre de la page ; et ces mots : « Bonne chance ! ». Comme chaque année aussi, à la même date, j’attends le retour des hirondelles. Elles sont arrivées le 11, virevoltant dans une lumière de fin d’après midi.Dans quelques jours, suivront les martinets noirs en compactes et bruyantes escadrilles.En attendant, mon oncle, de lourds et tonnants coups d’escopettes animent la vie du Comté. Il ne t’a pas échappé que nous sommes en pleine bataille pour la succession de sa majesté Nicolas, dans un royaume en faillite que le peuple feint d’ignorer. Demain sera donc une épreuve, que ne connaîtront pas nos élites, à l’abri de leurs titres, dans leurs châteaux, entourés de leurs cours…Une constante de l’histoire, n’est ce pas, mon oncle ? Enfin ! laissons les innocents à leurs niaiseries intéressées.C’est donc madame Richita Gati, l’ancienne Garde des Sceaux de notre Roi Nicolas, qui est venue porter la bonne parole dans le Comté. Tout, chez elle, semble couvrir son passé : son arrogance et ses goûts de luxe ostentatoirement affichés, notamment. De sang oriental, elle en a le port de tête, la noire et brillante chevelure, les yeux sombres et profonds où brille, étrangement, une vive et froide lumière, signe d’une inflexible ambition. Petite, serrée dans des habits simples mais coûteux, de hauts et pittoresques souliers à talons rouges, mobiles emblèmes d’un tempérament de feu, la portent. Ce qu’elle fit : feu !, tout sourire, et denture affichée, sur le favori du Comte de Labatout, le prétendant au trône François de Gouda ; en n’oubliant pas de rappeler que le Comté, à l’époque où le duc de Lemonyais en administrait les affaires, avait bénéficié de ses douceurs et lui était redevable d’un moderne et fort beau tribunal. Eberlué, et les plumes en bataille, comme un Grand-Duc réveillé en plein jour, le comte de Labatout, avec le mol aplomb qui le caractérise, lui a répondu illico dans les gazettes locales : que nenni, que nenni ! C’est à la dame Zabet de Guichou, du parti de la rose, et à lui seul, tenait-il à préciser, comme à son habitude : modestement, que les Narbonnais devait ce magnifique palais de justice. Non mais !Je ne vais pas entrer dans les détails de cette polémique, aussi stupide qu’inutile, mon oncle, mais si je te rapporte cette anecdote, c’est qu’elle me paraît symptomatique du fonctionnement cérébral du Comte. Pour notre homme, en effet, tout le patrimoine du  Comté accumulé au fil des siècles , bâti ou pas depuis le début de l’histoire humaine, est à mettre à son actif ; les éventuels impairs, fautes ou sottises résultant de sa propre gestion des affaires publiques, au débit de ces opposants.Une conception bien singulière de l’histoire, n’est ce pas ? Pour un peu, si le ridicule ne tuait pas, le nombre de nos prestigieuses propriétés historiques le justifierait à revêtir chaque matin les habits d’un consul ou ceux d’un archevêque. Un de ses conseillers, de mes connaissances, dont je tairai le nom, y voit là, pour des raisons qui échappent encore à mon entendement, l’influence néfaste de Patrick de la Natte. Il faut donc nous attendre, mon oncle, dans le futur et à l’occasion d’un brusque accès de fièvre nostalgique, à l’inauguration des égouts romains, qui passent sous la rue Droite, et à la  consécration de la cathédrale Saint Just, qui jouxte le palais comtal. En ces temps là, il est vrai mon oncle, Narbonne était grande! Comme tu le vois, en pensant à ceci qui me vient sous la plume: « La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief », ton ami La Bruyère n’est guère lu dans nos châteaux. Point d’ombres ici, mon oncle! Mais d’aveuglantes lumières…Six heures viennent de sonner au clocher de Saint Paul : l’heure où les hirondelles prennent le vent et le ciel ; la porte-fenêtre de ma terrasse est ouverte : deux, trois viennent d’en traverser le champ ; une autre histoire commence; à ne savoir qu’en dire. Il est temps que je te quitte, mon oncle, pour te retrouver tantôt. Je t’embrasse !

 

 

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