Toutes les belles qualités sans affectation…

 

 

L’actualité et les rotomontades de celles et ceux qui président ou prétendent présider un jour aux destinés du pays, m’amène à leur conseiller de lire et méditer cette petite leçon du grand Baltasar Gracian:

 

« Un héros doit rassembler en lui, autant qu’il est possible, toutes les vertus,

toutes les perfections, toutes les belles qualités, mais il n’en doit affecter aucune.

L’affectation est positivement le contraste de la grandeur, parce qu’il y a toujours de la petitesse d’esprit dans celle-là, au lieu que, dans l’autre, il y a toujours de l’élévation, toute naturelle, ét toute simple qu’elle est. L’affectation est une sorte de louange muette qu’on se donne, mais que les gens d’esprit entendent comme si on leur faisait tout haut son propre panégyrique; et se louer soi-même, c’est le moyen de n’être guère loué des autres.

La vertu doit être en nous, et la louange doit venir d’autrui, lors même que le sujet en est le plus juste et le plus connu. Aussi c’est une punition assez ordinaire et bien méritée, que celui qui paraît fort content de soi jouisse seul de son contentement, sans que personne le lui dispute ou l’en félicite.

L’estime est un sentiment libre, et dont l’homme est si jaloux d’être toujours le maître que nul artifice, nulle autorité ne saurait l’obtenir de lui, lorsqu’il ne juge pas à propos de l’accorder. Mais il épargne d’ailleurs la faiblesse et la honte de la mendier son estime: sans qu’on y pense il ne manque pas plus de la donner libéralement au mérite, que de la refuser opiniâtrement à la vaine montre qu’on lui en ferait. C’est même assez de se relâcher un peu de sa modestie, et de marquer quelque estime de soi, pour que les autres retirent la leur, ou pour leur imposer silence sur les avantages les mieux fondés. Les gens de cour, esprits raffinés et censeurs impitoyables, portent les choses bien plus loin contre l’affectation.

Toute perfection qui se présente trop n’est, selon eux, que grimace; elle n’est que le fantôme et le masque d’une vertu feinte, qui leur donne la comédie. Jugement, à mon avis, trop rigoureux, surtout pour des hommes qui font presque toujours personnage, et qu’on ne voit guère dans un état naturel.

Quoi qu’il en soit, de tous les genres d’affectation qui sont en quelque manière infinis, celui que je crois le plus incurable, c’est d’affecter la sagesse: car le mal est dans le remède même, vu qu’il attaque la raison, qui devrait et qui pourrait seul le guérir, s’il était ailleurs. Mais puisque c’est une faiblesse dans l’esprit d’affecter les belles qualités, quelle folie, quelle extravagance n’est-ce point d’affecter des imperfections, des défauts, des vices que l’on n’a pas? Au reste, bien que l’affectation soit si commune, quelques-uns néanmoins en connaissent assez le faible et le ridicule pour s’appliquer à l’éviter; mais comme si ce défaut nous était naturel et inséparable de l’humanité, ils donnent d’ordinaire dans l’écueil qu’ils fuient, en affectant de n’affecter pas. Tibère affecta de n’être point dissimulé; et ses soins même à se cacher décelaient son génie et son caractère, tout politique qu’il était. De même que la dernière perfection de l’art est de le couvrir, aussi, le dernier degré de l’artifice est de le soustraire à nos yeux par un artifice encore plus fin et plus subtil. Et c’est ce qui ne pouvait guère arriver, dans une cour aussi soupçonneuse et aussi éclairée que celle de Tibère, dont la conduite était une leçon éternelle de dissimulation.

Reprenons. Un héros doit réunir en lui toutes les belles qualités mais sans en affecter aucune. Alors on est à double titre un héros; on l’est par le mérite le plus complet, et par l’estime générale des hommes; on l’est en effet, et l’on est universellement reconnu comme tel.

L’affectation au contraire, quelque légère qu’elle soit, mêle toujours un défaut au mérite, et ce mélange en produit un rabais dans l’idée des hommes. De plus, un grand homme eut-il jamais besoin d’un secours étranger à son mérite, pour s’attirer des égards qui lui sont dus? Je ne sais quel air de simplicité noble et d’oubli de sa grandeur avertit assez pour lui l’attention publique: avoir de la sorte les yeux fermés sur ce qu’il est, pour ainsi parler, c’est l’infaillible moyen de les ouvrir à tout le monde. J’appelle cette conduite une espèce de prodige dans l’état de l’héroïsme et de la grandeur; et s’il en est une autre qui convienne davantage, j’avoue qu’elle m’est inconnue. »

 

Extrait du  » Le Héros  » : éditions Champ libre ( épuisé ) . Voir aussi Wikio source Chapitre XVI

Qui fait l’ange fait la bête.

 

 

 

Puisque nous sommes dans un véritable champ de mines idéologiques, commençons donc par déblayer « le terrain » afin de n’être pas tiré à son tour par quelques snippers de la bien-pensance, de gauche ou de droite. En dégageant tout d’abord la proposition de loi d’Eric Ciotti sur la responsabilité pénale des parents techniquement et socialement absurde. A laquelle nous joindrons les déclarations d’ Hortefeux sur l’extension de la déchéance de la nationalité aux personnes étrangères l’ayant acquise depuis peu pour cause de polygamie et d’excision, tout aussi idiotes et dangereusement ambigües parce que juridiquement impossibles. Précisons aussi que la mise à sac de la gendarmerie dans le Loir et Cher aurait pu être réprimée comme il convenait sans faire porter, de fait, sur l’ensemble d’une communauté une responsabilité qui n’était pas la sienne. Et pour finir, indignons nous des provocations habituelles de Christian Estrosi qui semble avoir atteint son seuil d’incompétence, pour enfin en venir à ce qui me semble le plus lamentable dans le climat politique présent. Je veux parler de cette dérive hystérique de la classe politico-médiatique qui, non content de caricaturer, dégrade, insulte et démonise au point de comparer la République, au mieux à un Etat-voyou, au pire à un Etat-fasciste. La conséquence de cette surenchère et de cet emballement étant de renforcer dans « l’opinion » l’idée que, pour utiliser un langage cohnbenditien, « on se fout de sa gueule ». Car, pour en revenir à Grenoble et au discours de N. Sarkozy à l’origine de cet affolement des esprits, la déchéance de nationalité souhaitée par le Président à cette occasion ne pouvait concerner que le cas de Français qui ont acquis la nationalité par mariage qui auraient tué ou blessé un policier, un gendarme ou un autre dépositaire de l’autorité publique, et qui possède également une autre nationalité. Une situation exceptionnelle, comme le sont toutes celles déjà prévues par la loi actuelle (terrorisme, espionnage…). Il suffisait donc, tranquillement, de le dire pour éteindre les passions et ramener le coup de menton donné par le Président, dans un contexte dramatique il est vrai, à sa juste mesure. C’est malheureusement l’inverse qui a prévalu, et nos médias et certains leaders de gauche et de droite,  se sont délibérément et complaisamment enfermés dans un cycle de violences symboliques qui, paradoxalement,  ne fait que renforcer un sentiment d’insécurité et d’impunité déjà bien profond et bien réel dans l’opinion. Qui fait l’ange fait la bête !

Lecture d’Anatole France (3) :  » Des Trublions qui nasquirent en la Republicque « 

 

 

 

J’arrive aux termes de ma lecture « d’Histoire contemporaine ». Monsieur Bergeret est à Paris. Muté à la Sorbonne. Il vient d’emménager avec sa sœur, sa fille et son chien Riquet. Et ce jour là, il reçoit  dans son cabinet de travail, M. Goubin, son élève préféré. Voici ce qu’on peut lire,pages 638 et 639 de mon édition de 1948,  

 

« — J’ai découvert, aujourd’hui, dit-il, dans la bibliothèque d’un ami, un petit livre rare et peut-être unique…C’est un petit in-douze, intitulé : Les charactères et pourtraictures tracés d’après les modelles anticques. J’ai pris plaisir à lire son ouvrage, et j’en ai copié un chapitre fort curieux. Voulez-vous l’entendre ?

 

— Bien volontiers, répondit M. Goubin. M. Bergeret prit un papier sur sa table et lut ce titre :

 

Des Trublions qui nasquirent en la Republicque.

 

… Et, comme est véritable que de tout temps les fols, plus nombreux que les saiges, marchent au bruit des vaines cymbales, les gens de petit sçavoir et entendement (de ceulx-là il s’en treuve beaucoup tant par-mi  les pauvres que par-mi les riches) feirent lors compagnie aux Trublions et avec eux trublionnèrent. Et ce fust un tintamarre horrifique dans la cité, tant que la saige pucelle Minerve assise en son temple, pour n’être point tympanisée par tels traineurs de casseroles et papegays en fureur, se bouscha les aureilles avecque la cire que luy avoient apportée en offrande ses bien amées abeilles de l’Hymette, donnant ainsi à entendre à ses fidelles, doctes hommes, philosophes et bons législateurs de la cité, que estoit peine perdue d’entrer en sçavante dispute et docte combat d’esprits avec ces Trublions trublionnans et tintinnabulans. Et aulcuns dans l’Estat, non des moindres, abasourdis de ce garbouil, cuidoient que ces fols fussent au point de bouleverser la republicque et mettre la noble et insigne cité cul par-dessus teste, ce qui eust été bien lamentable aventure. Mais un jour vint que les Trublions crevèrent pour ce qu’ils estoient pleins de vent. »  

 

M. Bergeret posa le feuillet sur sa table. Il avait terminé sa lecture.

 

— Ces vieux livres, dit-il, amusent et divertissent l’esprit. Ils nous font oublier le temps présent.

 

    En effet, dit M. Goubin. »

 

En effet, me disais-je, ils donnent de la couleur au temps présent…

 

Tout meurt,même la corrida…

 

 

 

 

 

Les députés du parlement régional de Catalogne (nord-est de l’Espagne) ont approuvé le 28 juillet l’interdiction des corridas. Que des considérations politiques tenant à la volonté des catalans espagnols de se différencier, dans tous les domaines, de Madrid et de l’Espagne, en soient à l’origine est incontestable. Mais, refuser d’y voir aussi la prise en compte de valeurs plus sensibles à la protection de toutes les espèces animales et aux rejets de toute forme de violences « gratuites » à leur égard, c’est se voiler la face sur un mouvement éthique et sociétal qui se répand partout, notamment en Europe. Je le pense et l’écrit d’autant plus aisément que, conscient de la contradiction entre la dimension morale et « esthétique » dans laquelle j’ai vécu ma passion pour la taureaumachie pendant de nombreuses années, je n’ai jamais cessé de le dire à mes amis, comme moi, aficionados ou directeurs d’arènes. Car plus le temps ira, plus la corrida avec picadors et mise à mort, apparaîtra aux nouvelles générations comme un spectacle archaïque, désuet et gratuitement cruel. Reste la question de savoir si, sans ces deux moments de la pique et de la mise à mort, la corrida peut survivre à ces évolutions. Je ne le crois pas, sauf à « produire » un nouveau type de « toros », qui n’aurait plus rien de « bravos », pour un divertissement de genre « estival ». Ne nous resterait alors que le souvenir d’une véronique de Curro Romero dans les arènes de Séville ou la dernière et magistrale prestation de José Tomas à la « Monumental » de Barcelone

Lecture d’Anatole France (2).Une rencontre!

  Une rencontre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toujours dans la lecture d’Anatole France et de son Histoire universelle, page 343 et suivantes, dans ma version papier: extrait ( que l’on peut lire aussi, pages 316 et suivantes dans l’édition numérisée, chez Gallica ) :

 

 « — Monsieur Bergeret, dit l’archiviste, voulez-vous écouter un bon conseil ? Vous êtes républicain ; ne tirez pas sur vos amis. Si nous n’y prenons garde, nous retomberons sous le gouvernement des curés. La réaction fait des progrès effrayants. Les blancs sont toujours les blancs ; les bleus sont toujours les bleus, comme disait Napoléon. Vous êtes un bleu, monsieur Bergeret. Le parti clérical ne vous pardonne pas d’avoir appelé Jeanne d’Arc une mascotte. (Moi-même j’ai grand’peine à vous en excuser, car Jeanne d’Arc et Danton sont mes deux idoles.) Vous êtes libre-penseur. Défendez avec nous la société civile ! Unissons-nous ! La concentration nous donnera seule la force de vaincre. Il y a un intérêt supérieur à combattre le cléricalisme.

— Je vois surtout à cela un intérêt de parti, répondit M. Bergeret. Et, s’il me fallait mettre d’un parti, c’est dans le vôtre forcément que je me rangerais, puisque c’est le seul que je pourrais servir sans trop d’hypocrisie. Mais, par bonheur, je n’en suis pas réduit à cette extrémité, et ne suis nullement tenté de me rogner l’esprit pour entrer dans un compartiment politique. À vrai dire, je demeure indifférent à vos disputes, parce que j’en sens l’inanité. Ce qui vous distingue des cléricaux est assez peu de chose au fond. Ils vous succéderaient au pouvoir que la condition des personnes n’en serait pas changée. Et c’est la condition des personnes qui seule importe dans l’État. Les opinions ne sont que des jeux de mots. Vous n’êtes séparés des cléricaux que par des opinions. Vous n’avez pas une morale à opposer à leur morale, pour cette raison qu’il ne coexiste point en France d’un côté une morale religieuse et de l’autre côté une morale civile. Ceux qui voient les choses de la sorte sont trompés par les apparences. Je vais vous le faire entendre en peu de mots. »

 

Remplacez donc  curés et cléricalisme par droite (s) et libéralisme, et complétez le tout par cette remarque de Milan Kundera dans « Une rencontre » :

 

« Dans notre temps, on a appris à soumettre l’amitié à ce qu’on appelle les convictions. Et même avec la fierté d’une rectitude morale. Il faut en effet une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, nécessairement imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très-bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. Contrairement à la puérile fidélité à une conviction, la fidélité à un ami est une vertu, peut-être la seule, la dernière. »

 

Que rajouter ?

 

 

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