Chronique du Comté de Narbonne.
Dimanche 2 juin de l’an 2012,
Un vent de panique fait trembler tout ce que comptent les terres d’Aude en autorités royales régentées par le sieur Froussellet, mon oncle : une furieuse marée d’illuminés viendrait envahir nos contrées afin d’exorciser leur peur d’une fin du monde annoncée. Aussi, qu’elles soient à pied ou à chevaux montés, les maréchaussées sont amplement par monts et par vaux déployés afin de Bugarach en interdire l’accès. Dans ce hameau, de l’apocalyse Mayas, ce 21 décembre en effet, la rumeur publique et hallucinée prétend que, de la fin du monde, on serait protégée. Les gazettes s’enflamment à cette saugrenue et mystérieuse idée, comme les prix des tavernes, des pierres et eaux de cette minuscule localité. Au point que Frousselet, affolé, aux magistrats a demandé de l’aide et des procès. Pendant ces temps agités, à Bugarach, essayent de vivre une centaine de pauvres âmes et quelques chats errants, perdus, que troublent épisodiquement des escadres de squelettiques corbeaux aux ventres affamés. Les rues y sont désertes et les volets clos ; de vieux murs menacent de s’écrouler à l’ombre de son pic qui, non content de dominer les Corbières, servirait de refuge aux illuminés de tout poil fuyant les derniers feux du cataclysme planétaire enseigné. Nous sommes en plein délire collectif, mon oncle, et comme les mayas voyaient la Terre comme une forme plate et carrée, il n’est pas surprenant après tout que leurs adeptes aient élu cette terre où les habitants ont la tête tout aussi géométriquement formée, pour s’y réfugier. Déjà des marchands pour niais et sorciers, à Bugarach se seraient installés pour y vendre des bérets quadralangués. Peut-être y verrons nous aussi le sénateur Marteau conférencer sur l’imprévisible et monstrueux tsunami dont nos paisibles côtes seraient menacées. C’est son nouvel évangile ! Il court comtés et marquisats pour y prêcher devant des auditoires de rire pliés qui, de mémoire d’homme de Tautavel, n’ont, de méditerranée, vu que de petites et moutonnantes marées. Mais ici, tu le sais, on aime bien les mondes fantastiques et fantasmés. Pense donc à ses Cathares à toutes les sauces, si je puis dire, mêlées. Des châteaux, ils n’en firent point, et pourtant, ne leur sont-ils pas touristiquement attribués ? Mêmes nos plages, comme nos cochons, andouilles et poulets, sont catharisées ! Quel outrage à ses hommes et femmes, mon oncle, qui, pour se sustenter, devaient se contenter de légumes et de lait. Mais les gens de pouvoir font ainsi l’histoire à leur façon. Quant à la géographie ! Souviens toi de Labatout qui voulait, du Comté, « l’ouvrir sur la méditerranée » ! Ce qui, tu en conviendras, était d’une audace inouïe pour une cité dont le port jadis y rayonnait et dont on ne voit pas sur qu’elle autre mer elle pourrait d’aventure se risquer. Il se fait tard et le vent est fort violent ce soir, mon oncle ! De ma fenêtre, j’aperçois un passant, dos vouté, longeant à pas rapides les murs éclairés d’une faible et pisseuse lumière. Sa silhouette noire et fatiguée semble porter toute la fatigue du monde. Vers quel Bugarach se dirige-t-il ? Pour lui, la fin du monde a peut-être déjà eu lieu ; ou bien sa renaissance, que signale un sourire que d’ici je ne peux voir. Tout est une affaire de perspective, de subjectivité, de préjugés, n’est ce pas mon oncle ? La beauté au premier chef !
A toi pourtant qui me lira de bon matin, je te souhaite une bonne soirée…