Hier, ma ville était grise et mouillée. Il pleuvait ! Un incessant lamento couvrait tout l’espace. Les façades gorgées d’eau présentaient d’étranges figures ; de rares passants semblaient glisser sur des trottoirs rendus à l’état liquide, tandis que des corneilles disputaient aux pigeons un carré de verdure imbibé d’eau, pareil à une éponge. Le temps s’étirait mollement ; le jour semblait la nuit, et je n’avais nulle envie d’en briser la ligne, ne serait-ce qu’une heure durant.
15h 15 ! Sur la ville, d’épais nuages bas poussés par un fort vent de mer, filent vers l’intérieur des terres. Par moments, des trouées de lumière donnent à voir un peu de ciel bleu. Le soleil s’y glisse et colore des façades aux volets tristes. Tout semble las et respire l’ennuie.
Il est 10h 45 ! Lavé, rasé, habillé et chaussé, je déplis mon attestation de déplacement dérogatoire, coche la deuxième case, la date, la signe ; prends la porte et descends l’escalier pour aller faire mes « achats de première nécessité ». Aux Halles, là tout près. La rue en bas est déserte, et le ciel très bleu. Un vent marin, un brin frisquet, pousse une canette de bière.
28 mars, il est 8h 19, précisément. Sur ma terrasse ! Une tasse de café aux lèvres, je laisse mon regard aller au dessus de toits encore sombres ; et se perdre dans un ciel toujours aussi triste. L’animent des goélands au vol lourd ; ils tournoient lentement, pareils à des vautours. Plus bas, dans la rue, déserte, un homme seul, âgé, couvert d’une épaisse parka rouge, tire un léger chariot vert. Au loin, en remontant façades et faîtages, la Clape et son front bas, ondulé ; jusqu’à ce que, à la dérive sur les murs et les toits de la ville, j’aperçoive, enfin, évidents et sensibles, les espiègles battement d’ailes d’une hirondelle ; solitaire et joyeuse…
J’ai croisé Carole, ce matin aux Halles. Je venais d’y entrer, elle en sortait. Masquée et gantée, elle allongeait ses pas, je retenais les miens. Ce sont ses gestes, ses cheveux et ses yeux qui m’ont permis de la reconnaître. Il m’a semblé voir ses lèvres prononcer mon prénom sous son voile de tissu vert plaqué sur le bas de son visage, aussi.
Picasso Pablo (dit), Ruiz Picasso Pablo (1881-1973). Paris, musée national Picasso – Paris. MP72. Partager :ImprimerE-mailTweetThreadsJ’aime ça :J’aime chargement… […]