Scène de la vie narbonnaise… (et d’ailleurs) : Cet homme va toujours ainsi…

   

Je ne le connais pas. Il doit avoir mon âge. Disons qu’il est dans un temps où les nuits sont courtes. Quand je le croise dans la rue, il siffle. Des airs joyeux. De sa composition ou arrangés à sa manière. Cet homme va toujours ainsi. Tout entier dans sa petite musique. Ce jour là, il s’est arrêté devant la vitrine où nous commentions l’éclat d’une perle. « Faites vous plaisir, la vie est si courte. » Puis très vite a repris son chemin et ses trilles. Anonyme messager du temps qui passe. Comme un souffle.

Des combats de pets sur les réseaux sociaux…

   

Nicolas Bouvier, dans « Les chemins de Halla San », note que « les trois divinité de l’île de Chedju (Corée du Sud) s’appellent Ko, Yang, et Puh. Puh, comme on le devine à l’oreille, est le dieu du pet… et l’ île la fille d’un pet marin : l’éruption originelle… Ce qui n’a rien de scabreux pour des Coréens : les traditions extrêmes orientales n’ont jamais humilié le corps et ses fonctions, en effet. Hokusaï, lui même, dans son « Encyclopédie » dessinée, représente non seulement d’hilarant concours de grimaces, mais aussi des concours de pets : les candidats sont fesses en l’air, concentrés, « leur prestation fusant comme autant d’étoiles. » Lisant ce passage du texte de Bouvier, je me disais, sans l’avoir lu avant, que c’était à ce genre de cannonade que me faisait souvent penser les commentaires et courtes publications publiés sur les réseaux sociaux. A la différence près toutefois qu’ils ne fusent pas comme des étoiles. Quant à leurs odeurs…

NB : Il suffit de lire Saint Simon et tant d’autres auteurs du XVIII siècle (Rousseau, Diderot…) pour mesurer à quel point l’univers d’alors, à la Cour, comme dans les salons, notamment, était étoilé de ces pets aujourd’hui proscrits en société ; au point de se demander d’ailleurs comment un Mozart pouvait se faire entendre… Je crois que c’est la jeune reine Victoria qui a mit fin à ces pétarades mondaines. Le silence a ensuite gagné toute l’Europe. Fort heureusement !

*Illustration tirée d’un rouleau illustré japonais datant de l’époque d’Edo ( 1603-1868 ). Université de Waseda

Scène de la vie narbonnaise dans une boulangerie-pâtisserie du centre-ville : « Bande de cons ! »

     

Lundi 11 novembre, il est 16h 45, j’entre dans la boulangerie-pâtisserie Maury située dans le centre-ville et me range dans la file d’attente. Devant moi, deux dames palabraient en castillan : l’une, plutôt forte, voulait impérativement un éclair au chocolat, l’autre, plutôt mince — qui tenait le porte-monnaie —, ergotait, hésitait, soupirait ; balayait l’étal empli de tartelettes aux fruits, flans, babas… en tous sens ; fouillait de ses yeux gourmands l’ensemble offert à sa tentation pâtissière. Revenue à son point de départ elle montre du doigt à la serveuse lassée, une banale brioche qu’elle avait originellement sous son nez ; ladite serveuse promptement l’encaisse, la face contrariée : la mienne, en signe de solidarité, et dans le même langage universel, l’était aussi. Pendant ce temps, à ma droite, un minuscule bonhomme dans d’amples et antiques vêtements noirs, sales, fanés et fripés, déposait sur le comptoir une pièce de 10 centimes et une clef afin de régler sa commande : un verre de jus d’orange ! Sur sa tête de moineau, une casquette XXL d’une couleur indéfinie reposait fort heureusement sur sa monture de lunettes, qui, elle-même, prenait appui miraculeusement sur un pif long et pointu en forme de promontoire. Sous son bras gauche, collé contre son flanc, une boîte d’emballage de pizza vide : on aurait dit qu’elle sortait d’une machine à broyer : concassée, la boîte ! La deuxième serveuse, impassible, le regardait sans un mot attendant la suite de son règlement, qui n’arrivait toujours pas, tandis que notre bonhomme fouillait méthodiquement dans toutes ses poches d’une profondeur ahurissante. Ses mains et ses bras y disparaissaient jusqu’aux épaules ! Des mies de pain, des bouts de papier, deux pièces d’un centime d’euros et une nouvelle clef finirent par en sortir pour compléter son premier acompte. Le quidam n’avait évidemment pas de quoi payer. Je réglais donc son achat, amusé, pendant que le bougre reprenait vivement sa menue monnaie et ses petites clefs, tout en m’adressant un aristocratique : « Je vous dois combien monsieur ? » Sur quoi il s’en est allé jusqu’à l’entrée de la boulangerie, s’est retourné, a toisé sa serveuse, ou la petite compagnie que nous composions — qui sait ? —, pour nous gratifier d’un sonore et vibrant : « bande de cons ! »

« Monsieur, vous êtes un gros con ! »

     

Ce matin, devant l’agence de la Société Générale, à quelques mètres de son entrée, un petit bonhomme, maigre et chétif, tenait en laisse un petit caniche aux poils roux, court sur pattes et à l’aspect souffreteux. Il le regardait, rêveur et attendri, pisser joyeusement sur le mur de la banque en question. La foule du jeudi matin — jour de marché — vaquait à ses occupations domestiques et balladeuses, indifférente, quant une dame en sortit vivement pour se précipiter vers le chien pisseur et son maître, la tête en avant, ses bras faisant de larges moulinets, pour les prendre violemment à parti : « Monsieur c’est dégueulasse ce que vous faites ! » L’autre, surpris par cette soudaine — et inattendue — interpellation, s’est aussitôt engouffré dans le hall de l’agence bancaire pour s’y planquer, tout en rouspétant et tirant de concert sur son chien paniqué, la patte arrière toujours relevée et toujours pissant, la furie hygiéniste à leurs trousses. Et là, coincé dans cette entrée et objet de l’attention de tous, ce monsieur s’est entendu dire, certainement pour la première fois de sa vie d’accompagnateur canin, un retentissant et définitif : « Monsieur, vous êtes un gros con ! ».

Je m’arrêterai désormais devant la tombe de Pierre Dumayet le sourire aux lèvres.

   

     

Chaque année, un jour de la même semaine du même mois de novembre, je m’arrête quelques instants devant la tombe du cimetière de Bages où, selon la formule consacrée que je n’aime guère, gisent Pierre Dumayet, sa femme et son fils. Elle est située à une dizaine de mètres du caveau devant lequel Simone dépose un petit vase de fleurs blanches — comme le faisait sa mère depuis toujours —,  en mémoire de sa petit soeur morte en bas âge et de celle qui les avait toute deux mises au monde. Longtemps j’eus malheureusement à déplorer l’état dans lequel je la trouvais — elle me semblait tristement abandonnée — , jusqu’à m’en plaindre, à l’occasion,  auprès de la maire du village qui, dépourvue de moyens légaux d’agir, ne pouvait hélas que m’entendre. Aujourd’hui, la voilà donc comme j’espérais qu’elle fut à jamais : simple, discrète, élégante,  comme l’était  ce grand homme de télévision et cet écrivain pudique et réservé, rencontré jadis,  par hasard, dans les rues de Narbonne. Il cherchait alors, un peu perdu, une pharmacie de garde, et me suis proposé de l’accompagner tout en ne lui cachant pas la joie que me procurait cette fortuite circonstance. Je ne sais évidemment pas à quelles mains l’on doit cette bienheureuse transformation tombale, mais le fait est que l’année prochaine, un jour de la même semaine du mois de novembre, je m’arrêterai désormais devant la sépulture de Pierre Dumayet le sourire aux lèvres.

*On lira avec profit, et plaisir, le beau dossier réalisé par les éditions Verdier (Lagrasse) en hommage à Pierre Dumayet (ici)

 

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