A l’heure où une polémique, aussi voulue que mince, fait écho à l’aimable création de Felice Varini sur les murs de Carcassonne, je vous invite à la découverte d’une proposition culturelle d’un tout autre ordre, je veux parler « d’EVASIONS l’art sans libertés », qui se tient au MIAM de Sète jusqu’au 23 septembre 2018.
Dans Libération, une personnalité du monde politique, culturel ou des médias, est quotidiennement invitée à raconter son « mai 1968 ». Catherine Millet, son tour venu, en expose le sien dans l’édition d’hier. Témoignage capital (j’ironise !) où l’on apprend que la revendication des étudiants de Nanterre du droit à faire l’amour « dans une chambre propre après 22 heures », exprimée le 21 mars 1967, était à l’origine du mouvement social qui a fait trembler De Gaulle et la République.
Quelques jours avant, le 17 avril, Patrick Rotman, sur France 2, expliquait, lui, plus sérieusement, que ces événements s’étaient déroulés dans un contexte marqué par l’offensive communiste du Têt au Vietnam, le dramatique assassinat de Martin Luther King à Memphis et le suicide de Jan Palach dans Prague occupée par les chars soviétiques, notamment.
En mai 1968, Paris et ses étudiants sur des barricades, n’étaient pas en effet le centre d’un monde dont les convulsions avaient pour raison celle de jeunes gens exigeant de « pouvoir faire l’amour dans une chambre propre après 22 heures »…
Samedi, rendez-vous à Montpellier avec Jean-Claude et Francine, « des amis de plus de quarante ans » , – de mes premières années professionnelles en région parisienne, précisément, et retrouvés depuis leur installation à Nîmes –, pour y déjeuner dans un restaurant où j’ai mes habitudes – récentes, cependant. Mais avant de les rejoindre, comme à chaque occasion qui m’amène, en fin de semaine, dans cette ville où j’ai vécu pendant près de 15 ans, je consacre un peu de mon temps à passer d’une table à l’autre de son Marché aux livres installé sur l’esplanade du Corum. D’autant que les premières feuilles d’un alignement de platanes, sous lesquels les derniers bouquinistes finissaient d’installer leurs présentoirs, se prêtaient, plus que d’autres jours plus sombres de l’hiver dernier, par la grâce d’un ciel parfaitement bleu, à la lecture attentive de quelques pages d’un livre repéré sur l’un d’entre eux. C’est ainsi que, dans un état de rêverie attentive, je lisais et relisais le final d’une nouvelle – Les Morts – de Joyce ; un final que Steiner raconte, dans l’ouvrage – Errata – que je tenais entre mes mains, avoir lu à haute voix puis commenté dans sa chambre à des camarades d’étude troublés par ses beautés rhétoriques, au point d’en silencieusement pleurer.
Quelques légers coups frappés contre la vitre le firent se tourner vers la fenêtre. Il s’était mis à neiger. Il regarda dans un demi-sommeil les flocons argentés ou sombres tomber obliquement contre les réverbères. L’heure était venue de se mettre en voyage pour l’Occident. Oui, les journaux avaient raison, la neige était générale en toute l’Irlande. Elle tombait sur la plaine centrale et sombre, sur les collines sans arbres, tombait mollement sur la tourbière d’Allen et plus loin, à l’occident, mollement tombait sur les vagues rebelles et sombres du Shannon. Elle tombait aussi dans tous les coins du cimetière isolé, sur la colline où Michel Furey gisait enseveli. Elle s’était amassée sur les croix tordues et les pierres tombales, sur les fers de lance de la petite grille, sur les broussailles dépouillées. Son âme s’évanouissait peu à peu comme il entendait la neige s’épandre faiblement sur tout l’univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts.
Je lisais et relisais donc ce texte, quand un amical « bonjour Michel Santo ! », inattendu en ce lieu, m’en fit sortir pour lever mes yeux sur le visage toujours aussi familier d’un de mes anciens collaborateurs perdu de vue depuis plus de 20 ans. Jacques Dartigue, puisqu’il s’agit de lui, se tenait là, devant moi, tout sourire, lui-même étonné de cette improbable et pourtant prévisible circonstance. Épris de littérature, sa trajectoire, en effet, devait fatalement un jour croiser la mienne et nous permettre ainsi de renouer le fil de nos discussions sur des bonheurs de lecture et des auteurs aimés, dont je prétendais alors, ce que je persiste encore à penser, qu’ils enrichissent un usage du temps strictement professionnel, convaincu, depuis la lumineuse découverte du Lucien Lewen de Stendhal, que cette littérature apportait plus de connaissances sur la nature humaine et les rapports sociaux en général que tous les livres de sociologie, notamment, longtemps considérés par « ma génération » d’intellectuels comme absolument indispensables à « tout honnête homme ». Jacques étant toutefois d’un tempérament rêveur et tourmenté, je l’avais, pour éviter qu’il ne se laisse envahir par sa passion littéraire, affecté à des travaux, disons plus méthodiques, qui l’ennuyaient sans doute profondément, mais qui lui permettaient de satisfaire ses besoins domestiques (il faut bien vivre !) ; travaux ingrats, certes, mais qu’il compensait par une participation éditoriale aux Cahier des Brisants, une petite maison d’édition de Mont de Marsan,qui publiait, à cette époque, des auteurs rares, dont Charles Juliet, ami de Jacques, qui, jadis, à l’occasion d’une de nos conversations entre deux portes ou dans mon bureau, me fit l’éloge des tout premiers livres de son journal – ceux d’un écrivain terriblement angoissé par les conditions précaires de sa vie et sa recherche d’une langue poétique propre à son être singulier – et devenu depuis une personnalité reconnue de la scène littéraire française…
Le temps passait malheureusement trop vite et nous nous sommes à nouveau quittés pour rejoindre nos amis, chacun de notre côté, tout en nous promettant cependant de reprendre ce bref échange de souvenirs un jour prochain ; un samedi, à Montpellier, évidemment !
Plus tard, je dirai à Jean-Claude et Francine, comment, par le hasard d’un livre de George Steiner feuilleté devant la table d’un bouquiniste, une part de mon passé s’est vivement présentée à mon visage…
Le ciel était bas et gris hier matin quand j’ai pris la route en direction de Rosas (j’ai du mal à l’écrire en catalan). Il était bleu et sans nuages quand j’y suis arrivé sur le coup de midi. Un temps et une heure à s’installer à la terrasse de « La Sirena ». Trois ans déjà que je ne m’étais pas assis à une de ses tables, face à la mer. Ce qui fut vite fait, impatient que j’étais d’y goûter ses magnifiques « tapas ».
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Mon choix (difficile !) : croquettes de morue et ail frit ; asperges grillées (parfaites : huile d’olive, oseille et gros sel) et petits calamars à la plancha (une merveille !). Pour terminer, tout simplement un sorbet (mais deux boules !) : citron et mandarine… Rien de très compliqué, mais quel plaisir ! Puis balade, détente et rêveries sur un banc du front de mer, la chaîne des Pyrénées et ses sommets enneigés d’un côté, le golfe de Rosas et ses vagues jouant avec le soleil de l’autre…
Loin de tout (enfin presque) ; et pourtant si près, dans l’espace… Une dernière image : celle d’un avion filant vers une destination exotique. Trop loin !
Je n’aurai pas la ridicule outrecuidance d’ajouter au beau discours du Président de la République d’autres mots que les siens quand il rendit ce matin l’hommage de la nation tout entière au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame ; un nom devenu désormais celui de « l’héroïsme français ».