Quand, en un instant (20h30, hier), la nature et l’art soudainement se confondent, on tente, poussé par je ne sais quel instinct, de s’en saisir, en pensée, d’abord, puis, dans la circonstance, par l’usage imparfait d’un appareil photo. C’est alors, et dans le même mouvement, que me sont venues à l’esprit une succession de toiles de Piet Moget, vues, de son vivant, dans son hameau du Lac, près de Sigean, qu’à tort, disais-je un jour à l’ami Olivier Bot, on qualifiait dans certains milieux « d’abstraites ». Ce que je contestais ! Je prétendais au contraire que Piet était un grand peintre « figuratif ». On pourra certes me rétorquer que le cadrage de cette photo est un choix qui transforme ce moment « naturel » en un objet abstrait du réel, une image, mais il n’empêche… Reste toutefois cette question : si je ne connaissais pas l’œuvre de Piet Moget, aurais-je pu jouir aussi intensément de cet instant ? Mais n’est-ce pas le propre de l’art que de transfigurer le réel, de le sublimer et parfois de le comprendre d’une manière inédite et inattendue.
9 heures. L’heure n’est pas qu’une heure. (Petit déjeuner chez Bernard. Gruissan.)
« Le goût du café au lait matinal nous apporte cette vague espérance d’un beau temps qui jadis si souvent, pendant que nous le buvions dans un bol de porcelaine blanche, crémeuse et plissée qui semblait du lait durci, quand la journée était encore intacte et pleine, se mit à nous sourire dans la claire incertitude du petit jour. Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément – rapport que supprime une simple vision cinématographique, laquelle s’éloigne par là d’autant plus du vrai qu’elle prétend se borner à lui – rapport unique que l’écrivain doit retrouver pour en enchaîner à jamais dans sa phrase les deux termes différents. »
Anissa, sa grande sœur Emilie et leurs parents se sont arrêtés quelques instants devant ma cabane. Je n’avais pas vu cette petite famille proche, cela doit faire un an environ. Emilie approche 6 ans. Déjà ! Elle est toujours aussi douce et souriante. Ses cheveux blonds tombent en boucle et ses yeux sont comme ses gestes : délicats. Anissa, elle, est plus vive et piquante. De mouvements et d’esprit. Sa chevelure est brune, une mince touffe serrée l’orne sur le côté. Dans son regard brille en permanence un petit air malicieux. Comme souvent dans ces situations, j’adresse mes premiers mots aux enfants. Je veux dire ceux qui importent et que j’aurais aimé entendre à leur âge. Des mots certes banals, mais des mots qui caressent. Des mots simples et chauds ; des mots qui font grandir et aimer. J’ai aussi demandé à Anissa, quel était son âge à présent. Elle m’a montré alors, accompagnés d’un large et franc sourire, les quatre doigts de sa main droite. En précisant toutefois d’une voix claire et enjouée qu’elle aurait bientôt cinq ans et qu’elle n’était pas pressée d’en avoir six. Je lui ai dit qu’elle avait bien raison de prendre ainsi le temps de son âge ; et que je m’efforçais de prendre le mien aussi. Et de convenir ensuite et tous ensemble que l’heure était d’aller à la plage. Emilie et Anissa portaient le même maillot bleu. Un bleu que l’on peut voir sur les volets de maisons blanches. Elles se tenaient par la main. Patientes et pressées de jouer dans le sable et la mer.