J’ai toujours trouvé les fins et les débuts d’année un peu tristes.

       
 
Me.4.1.2023
 
Moments de vie.
 
J’ai toujours trouvé les fins et les débuts d’année un peu tristes. On sait ce qu’on quitte, à jamais perdu, et ce qui nous attend, souvent imprévisible. Imprévisible et gros de tous les possibles. En bien et en mal ; en joies et en peines. Fort heureusement d’ailleurs. Imagine-t-on un monde programmé et attendu, à ses effets sur chacun d’entre nous ? Un monde sans incertitude, sans tourments, sans angoisses. Je pensais à cela dans la salle d’attente du centre de biologie dans lequel j’étais ce matin. À l’exception du personnel, il n’y avait que des personnes âgées. Grises et mal vêtues, assises, elles regardaient leurs souliers. La fatigue ou la maladie marquait leurs visages. J’avais l’âge de certaines et pourtant j’étais beaucoup plus jeune en pensée. Et je restais debout. Et il faisait très beau, et je savais que j’irais marcher le long de la plage cet après-midi. Ainsi, je symbolisais ce moment et réduisais l’incertitude de mes analyses. Chacun d’entre nous vit ce genre d’expérience, me disais-je. La raison y a sa part, certes. Mais celle du caractère, du sentiment ou une certaine manière d’appréhender, de voir et de sentir le « monde », souvent la précède, l’enveloppe, la drape. Je me disais aussi, que cette dernière part, qui fonde la culture, ne me semble plus le souci du monde qui vient. Son type d’humain serait plutôt du genre programmé et prévisible.
Le vent du Nord s’est levé cette nuit. Avec lui, l’épaisse couche de nuages gris qui jusqu’ici couvrait nos têtes s’est dissipée. Il faisait plein soleil sur la plage. J’ai marché sans tourments ni angoisses. Le corps léger. Tout avait du sens autour de moi !
 
 
 
 

Romy est entrée dans la ronde de la vie…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.31.12.2022
 
 
Elle s’appelle Romy. Elle est déjà belle. Romy est notre arrière-petite-fille. Elle est entrée, à l’orée d’une nouvelle année, dans la ronde de la vie. Son petit frère Milo et son petit cousin Gianni lui tiendront bientôt la main. Nous les regarderons alors danser, chanter, le plus longtemps encore.
 
 
 
 

Moment de vie dans une petite et belle librairie de centre-ville.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Me.28.12.2022
 
Moment de vie dans une petite librairie.
 
Il était 11 h 30 quand je suis entré dans la petite librairie « Libellis », rue Droite. Une dame capuchonnée y tenait des propos vifs et hachés à la jeune femme qui enregistrait les six ou sept livres de poche de Robert Ludlum posés sur son « plateau de service ». De cette dame capuchonnée, je ne pouvais voir le visage. Et tout dans son apparence était vague et confus. Seule sa voix m’indiquait, peut-être à tort, son supposé genre. Pour tout le reste, un vêtement de pluie informe d’une couleur indéfinie la couvrait des épaules jusqu’aux genoux, veste que prolongeait jusqu’à des chaussures scratchs ouvertes sur des pieds nus, un pantalon de randonnée évasif, mollasson. Dans sa main gauche, un grand sac de course en plastique noir, disons plutôt noirâtre, bougeait au diapason de sa voix forte, saccadée, électrique. La jeune libraire, qu’elle tutoyait, restait cependant impassible sous l’avalanche des propos absurdes qui lui tombaient dessus. Elle lui disait « que la France, non ! le Français est psychologiquement malade… qu’elle ne sait pas où aller… que c’est partout pareil de toute façon… qu’on ne comprend plus rien… Y’a que les livres… et encore… que Robert Ludlum a tout dit, vu et prédit… qu’elle l’a d’ailleurs conseillé à son banquier… ». J’ai fini par perdre patience et l’ai exprimé par quelques soupirs suffisamment appuyés pour me faire entendre. « On s’impatiente derrière moi ? » Ce que j’ai immédiatement confirmé. Tout haut. Mais pour rien. Car d’autres commentaires ont encore fusé sur notamment le génie de Robert Ludlum. Qui m’exaspéraient. Jusqu’à ce qu’elle se décide à régler ses achats, pour s’avancer ensuite vers la sortie, marquer un temps d’arrêt sur le pas de la porte et en profiter pour me regarder gaillardement droit dans les yeux. Ses traits durs et l’extrême pâleur de son visage révélèrent alors un puissant sentiment de colère. À cet instant, j’étais pour elle l’incarnation de la France et du Français psychologiquement malade. Ignorant de surcroît les Lumières de Robert Ludlum. Et les siennes… Le temps d’une petite respiration, j’ai pu enfin commander le livre de Fleur Jaeggy : « Je suis le frère de XX. » Comme souvent, c’est deux, trois phrases lues au hasard d’un texte de critique littéraire que l’envie soudain me prend d’en connaître un peu plus sur l’auteur cité. Ce matin, sur le coup de 9 heures, j’étais tombé sur celles-ci, sur la page Facebook de Jean-Louis Kuffer :
« Il neigeait. On aurait dit depuis des années. Dans un village désolé du Brandebourg, un enfant crie avec un mégaphone un sermon de Noël ». Il n’en fallait pas plus pour que je me précipite vers la petite librairie « Libellis » de la rue Droite. À deux pas de chez moi. Il était 11 h 30 quand j’y suis entré…
 
 
 
 
 
 

Écrire est comme retenir et actualiser le temps. Comme une prière.

 
 
 
 
 
 
Ve.23.12.2022
 
Moments de vie.
 
Quand je me suis assis à la seule table de café inoccupée de la place, l’horloge de l’hôtel de ville sonnait cinq heures. Le temps s’étalait dans la douceur et les gens se déplaçaient à pas lents. Certains déboulaient des rues commerçantes les bras et les mains encombrés de sac en papier. La plupart portaient des habits sombres et se confondaient dans la nuit. Mais tous semblaient animés d’un même désir de paix et de sérénité. Comme une parenthèse ouverte dans une vie saturée de violence. Devant moi, était assise une très jeune fille. Elle portait une longue robe d’un coton bleu ciel. Petite et très mince, ses cheveux noirs tirés sur sa nuque, elle offrait à ma vue un visage d’une grande finesse. À cela s’ajoutaient un teint lumineux et des gestes gracieux. Comme celui de ses doigts passés délicatement dans les cheveux de son ami. Son sourire alors disait sa tendresse et son amour. Le hasard a fait que nous nous sommes retrouvés un plus tard devant la caisse du cafetier. Sous une lumière triste, son visage avait néanmoins l’éclat de la porcelaine. Elle était encore plus petite que je ne l’avais imaginé. Je la pensais très fragile. Quand elle fut partie, j’ai interrogé le jeune patron qui me rendait la monnaie :
« Avez-vous remarqué la beauté de ce visage qui vient de nous quitter, la pureté de son profil ?
– Ah bon ! Peut-être… Bonne soirée… »
Ainsi, quelques minutes avaient suffi pour qu’apparaissent en même temps dans la plénitude de leur mystère les visages du merveilleux et de l’absurde, songeai-je. Quelques minutes seulement, mais qui cependant continuent leur chemin dans le temps de la mémoire. Écrire, finalement, c’est retenir et actualiser le temps. Comme une prière.
 
 
 
 

Moments de vie : la vie soudain sembla renaître.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.17.12.2022
 
Moment de vie.
 
18126 A. C’est le code de la porte d’entrée de la salle commune. Il a été écrit au feutre noir au-dessus d’un boîtier sur le mur de droite. A demi effacé, on le distingue à peine. Je pousse la porte. Au plafond, des guirlandes et des boules de Noël ont été accrochées. J’aperçois un petit sapin qui clignote derrière la vitre du box des aides soignante. Sur le grand mur qui me fait face, un écran de télévision géant diffuse des images. Le son est coupé. Des résidents – c’est leur nom administratif –, sont assis sur des chaises fixées au sol. Devant eux, au milieu de la salle, cinq d’entre eux le sont aussi sur de grands fauteuils roulants. Tous semblent dans un état comateux, les corps brisés. Pas un mot, pas une plainte ne sort de leur bouche. Parfois, des cris en provenance d’une chambre éloignée se font entendre. J’aperçois ma mère. Elle regarde dans ma direction et je sais qu’aujourd’hui est un mauvais jour. Il faudra du temps pour qu’elle me reconnaisse. Elle me dit qu’elle ne se sait plus où elle est. Tendue, elle crispe ses mains. Pour ne pas crier. Mes caresses cependant l’apaisent. Le temps passe, lourd. Regarder la folie et la mort est terrible. Avant de la quitter, je demande à une jeune aide-soignante de la distraire. Elle lui prend la main et l’entraîne dans un couloir. Je les regarde un instant s’éloigner. Ma mère se retourne. Je lui adresse un petit signe de la main. Elle me répond « tu me téléphoneras quand tu seras rentré ? » J’étais redevenu son enfant. La vie soudain sembla renaître.
 
 
 

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