Chronique : La vie et rien d’autre…

 
 
 
 
 
J’étais debout devant la grande fenêtre du salon et buvais mon premier café face à des immeubles aux toits et aux façades gorgées d’eau. Le ciel – tourmenté –, les nuages – bas–, les rues – désertes –, et les arbres – nus –, tout était d’un gris lourd et sombre. Les jours précédents, un vent « marin » redoutable et de fortes pluies avaient occasionné d’importants dégâts dans la région, surtout sur le littoral et l’arrière-pays. La ville aussi en portait quelques traces. J’avais pu le constater la veille où profitant d’une accalmie en fin d’après-midi, j’étais sorti « faire des kilomètres », sans rencontrer personne, ou presque, à l’exception, sans en être toutefois certain, de deux femmes aux physiques indéfinissables camouflées sous d’amples et informes vêtements de pluie. Elles portaient des masques sanitaires et des chapeaux noirs en coton huilé et promenaient à petits pas leurs petits chiens qui, contrairement à leurs maîtresses, avaient l’allure et la truffe joyeuses. Un trait de caractère propre à l’espèce canine contrairement à la nôtre qui fait si souvent « la gueule », pensais-je. La nature est vraiment mal faite ! Cela dit, car plus discrets, plus reposants et moins encombrants, je préfère les chats. Mais je m’égare ! Du reste, je n’ai pas d’animal de compagnie… Je disais donc, pour revenir à mon propos introductif, que cette journée de lundi s’annonçait grise, sombre, humide et pesante. Aussi, rien ne me pressant, je retardai la sortie de cet état quasi somnambulique qui suit en général une nuit courte et un lever tôt et laissai mes pensées suivre le cours du chuintement de la vapeur s’échappant du filtre de la cafetière plutôt que celui des fils d’actualités sur les chaînes de « télé », les radios et autres réseaux sociaux. Je ne supporte plus les images, les mots et commentaires, toujours les mêmes, de « nos correspondants de presse en direct de Kiev ou d’Odessa » ou les analyses « de nos experts militaires » en tout genre ou bien encore les opinions péremptoires de politologues et de stratèges facebookiens surexcités, notamment. Et puis à quoi bon en débattre ? J’ai, pour ce qui me concerne, écouté et lu, réfléchi. Mon opinion sur cette guerre est désormais faite. Je l’ai fait aussi, à l’occasion, connaître, comme j’ai fait aussi mon choix, lui définitif, pour l’élection présidentielle…
Bien plus tard, dans la matinée, il devait être 11 heures, je suis tombé sur Isabelle dans le couloir du rez-de-chaussée de mon petit immeuble. Elle venait de l’Hôpital où sa mère Yvonne était hospitalisée et rejoignait l’appartement de celle-ci, situé juste au-dessous du nôtre. Yvonne était morte « cette nuit », apaisée, m’annonça-t-elle d’une faible voix. Cela faisait des mois que nous ne la voyions plus. Nous savions cependant, par ses enfants, l’évolution de sa « maladie ». C’était une femme forte qui s’intéressait aux arts et aux livres. Elle avait dirigé un collège de la ville, connaissait beaucoup de monde et me brossait parfois, avec bienveillance et un brin d’ironie, le portrait de certains « notables » qu’elle avait eu comme élèves. Cet hiver, je n’ai pas pu déposer sur le bahut ornant son palier, comme je le faisais souvent les années passées, un bol de soupe chaude. Un bouquet de fleurs aussi pour son anniversaire. C’était le 6 mars, elle venait d’entrer dans sa quatre-vingt-quatorzième année…
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

La tache !

   

Ce matin, c’est sur une placette déserte, bien nettoyée et très ensoleillée que j’ai grand ouvert les volets. Seul un petit paquet de papier humide et souillé, grisâtre, gâtait l’ensemble. Une « tache » bien accrochée au sol, qui résistait aux rafales d’un violent vent du « Nord » ; des rafales dont le bruit étouffait tous les autres, du plus proche au plus lointain environnement. Le ciel était aussi d’un beau bleu, sans nuages. Au sud cependant, dense et en grand nombre, ils filaient à toute allure vers la mer. Je jetai un dernier coup d’œil sur cette première image matinale quand mon attention fut attirée sur ma « droite » par deux hommes couverts de la tête aux pieds du même vêtement de travail fluo. Ils poussaient le même conteneur vert sur roulettes et se dirigeaient de l’autre côté de la place, en direction du centre-ville. Une pelle et un balai étaient rangés à l’horizontale sur leurs poubelles mobiles. Ils marchaient « au pas » et semblaient parfaitement synchronisés. Une impression que renforçait leur tenue de service sous l’épaisseur de laquelle était dissimulée leur identité physique. Ils allaient nonchalamment et devisaient comme deux amis, du moins je le pensais, de tout et de rien. La scène prenait alors à mes yeux un caractère quasi cinématographique et je me demandais si ce duo pédestre ne répondait pas, par miracle, à mon désir de voir disparaître dans l’instant cette inesthétique « tâche ». Sans elle, en effet, j’aurais pu rectifier ma première impression pour n’en garder qu’un souvenir heureux, idéal. Je me disais aussi que située sur leur trajectoire, ils ne pouvaient pas la « manquer ». Je me trompais, hélas ! Arrivés à sa hauteur, ils ont poursuivi leur chemin, tandis que la « tache », elle, demeurait et grossissait au rythme de leur éloignement. Quand je ne les vis plus, elle occupait tout l’espace.

     

Moment de détente et de plaisir à « La cave à vin et à manger » de Lionel Giraud.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
En ce jour d’Épiphanie, nous avons déjeuné à la « Cave à vin et à manger » de la Maison Saint-Crescent. C’était un jour d’anniversaire (je ne dirai pas lequel !). Il faisait un beau soleil et le ciel était bleu ; et froid. La grande salle de cette aimable « demeure », toute en lignes droites, était dans une lumière douce et apaisante ; et l’esthétique générale de cet espace, jusqu’aux tables et couverts, en parfaite harmonie de rythme et de couleurs.

Un moment de vie alentour du marché de Noël…

         
Je passe tous les matins devant le même café. À l’intérieur, j’y vois toujours la même table d’hommes âgés. Toujours assis à la même place, ils portent toujours les mêmes vêtements. Leurs visages cireux et leurs gestes lents sont comme figés dans le temps. Devant eux, des verres à pied de vin blanc – ils portent leurs empreintes. Un serveur est accoudé sur son zinc. Ses bras sont croisés, son dos vouté ; ses épaules en avant portent une lourde tête largement dégarnie. Son regard fixe est humide et lointain. Des volutes de fumée montent de ses doigts. Un ventilateur fatigué brasse l’air confiné de la salle. Sur le trottoir, un habitué du lieu est penché au ras d’une petite table ronde sur laquelle reposent deux baguettes de pain et une tasse de café. Il lit le « Canard enchaîné ». On échange quelques mots sur la santé, l’âge, les petits enfants ; ces générations qui ne lisent plus, ni ne votent. Qui nous échappent. On entend l’animateur du marché de Noël installé sur la promenade des Barques, vanter de sa voix de baryton les liqueurs à la truffe d’un jeune marchand. Il s’étonne. Nous aussi. Perplexes. Il est midi. Le ciel est d’un beau bleu – dur. La lumière est coupante. Il fait froid. Il est temps de rentrer. Un hautparleur perché sur un platane diffuse un air nostalgique, hors de saison : « … ce soir on danse… »

C’est l’heure du goûter, ils sont comme des enfants…

 
 
 
 
 
 
 
 
Dans l’entrée il attend
que je lui donne mon pass.
Il porte l’habit blanc
des soignants de la place
 
Son visage est de glace
et ses gestes sont las
pour me donner sa grâce
d’enfin franchir ce sas.
 
Dans le couloir, pas une âme
pas un bruit ; des néons
seuls font leurs gammes.
Une porte est au fond.
 
Verrouillées et codée
elle s’ouvre lourdement
après plusieurs essais,
sur une salle de patients.
 
Un homme et des femmes
âgés, assis, muets
souffrent en silence
sans désirs ni souhaits.
 
C’est l’heure du goûter.
Ils sont comme des enfants,
avides, animés.
Leurs yeux battent le vent.
 
Que c’est long d’être ainsi
sans soleil et sans ciel ;
d’être vivant sans envies
sans amours, sans éveils.
 
La soignante sourit ;
et nous nous comprenons.
Elle s’appelle Marie.
On dirait un papillon.
 
N’ayez donc pas de peine,
Allez donc ! me dit-elle
dans ses yeux de berbère.
Je suis-là et je veille…