Des chats et des hommes !…

    Sa. 6..6.2022

Quand j’ai été interpellé par cette dame d’un âge moyen fraîchement permanentée et bourgeoisement mise dans ce hall d’entrée d’un magasin alimentaire, j’ai tout d’abord cru que j’avais à faire à une intermittente du spectacle s’apprêtant à m’exposer les principes philosophiques et politiques de ce que je pensais être, à la vue de ces panneaux explicatifs, une performance artistique et militante d’un genre comique jusqu’ici et à moi inconnu. Aussi, grande fut ma surprise quand j’appris de sa voix aux modulations stridentes, quasi féline, qu’il s’agissait en réalité d’une action « citoyenne » pour venir en aide et porter secours au peuple des chats et chattes errants d’Occitanie ; « peuple » victime, selon elle, d’un véritable génocide mené dans l’indifférence générale de gens comme moi sans doute, avides de consommation et malheureusement inconscients de l’appauvrissement général de notre planète en général et de « notre » biodiversité en particulier. J’exagère à peine ! Pressé cependant de commencer mes courses, elle m’a hélas suivi, collée à mon charriot, tout en continuant à déclamer son évangile animaliste jusqu’à ce qu’elle finisse enfin par me lâcher devant le portillon donnant accès au rayon fruits et légumes du dit magasin. J’ai alors senti sur ma nuque tout le poids d’un regard chargé d’un vague mais puissant sentiment d’incompréhension, pour ne pas dire de colère. J’en tremble encore !

     

Quand je la quitte, mon corps souffre !

 
 
 
 
 
 
 
 
Jeudi 19 mai !
 

Elle est toujours assise sur la même chaise. Toujours correctement vêtue. Comme « avant ». Ses mains jointes reposent sur ses cuisses serrées. Légèrement penchée, le regard vague, toute enclose dans son corps. Un corps si léger, si fragile. « Ah ! Voilà mon fils. » Ces mots seuls, elle les prononce d’un trait.

Quelques mots sur une carte postale du 28 juillet 1907, mais que d’histoires…

     
Cette vieille carte postale a été écrite le 28 juillet à la gare de Narbonne par un nommé Armand. Il disposait d’une heure avant de prendre l’express de Toulouse. Il devait se rendre à Foix. Il faisait « beau temps », précise-t-il à ses « chers parents ». Son écriture est précise et soignée. Notamment, l’adresse du destinataire, remarquablement calligraphiée. Surtout les majuscules F et P. Magnifiques ! Dans ses courbes, ses pleins et ses déliés, sans doute Armand tenait-il à montrer aussi à ses « proches » son profond respect et la noblesse de ses sentiments.
Cela fait bien longtemps que cette carte postale me sert de marque page et passe ainsi d’un livre à l’autre. Comme pour cet « anonyme » qui l’avait insérée dans ce « pavé » des éditions « Bouquins » rassemblant les grands romans de Graham Greene ; livre que j’ai trouvé au pied d’une poubelle publique et qui figure désormais en bonne place dans ma bibliothèque.
Je me suis toujours demandé ce qui, ce jour-là, dans cette gare de Narbonne, avait traversé l’esprit d’Armand après qu’il eut posté cette carte. Se remémorait-il les évènements dramatiques survenus dans cette ville un mois plus tôt : la troupe tirant sur des viticulteurs et faisant quatre morts dont une jeune fille de vingt ans, Julie Bourrel ? Et quel âge avait-il et qu’allait-il faire à Foix, le 28 juillet 1907 ? (Une semaine plus tard, le croiseur cuirassé « Gloire », bombardait la ville de Casablanca…)
Cent quinze ans me séparent d’Armand. Je ne connais rien de lui que cette modeste carte postale. Quelques mots assez banals finalement. Quand je l’ai retirée d’entre les pages de la « Puissance et la Gloire », précisément, j’aurais pu m’en débarrasser. Mais voilà, quelques traits de plume m’ont retenu. Ceux, indiscutables, j’aime à le croire, d’un jeune homme au caractère vif, à l’éducation sûre et au style affuté. Depuis, quand je l’ai sous les yeux, je me raconte, au milieu de la grande, la sienne et la mienne aussi, de petites histoires.
 
 
 
 
 
 

Je ne connaissais pas Sandra Hurtado Ros, jusqu’à ce que je la vois et l’entende chanter Miguel Hernandez, notamment !

 
 
 
 
 
Je ne connaissais pas Sandra Hurtado Ros, jusqu’à ce que je la vois et l’entende chanter au piano samedi dernier dans la salle des Synodes de l’Hôtel de Ville de Narbonne. Toute de noir vêtue, longue et fine, elle a magnifiquement interprété de sa belle voix de soprano des textes en occitan de Max Rouquette et Gérard Zuchetto, ainsi que des poèmes de Miguel Hernandez et Antonio Machado. Le petit orchestre qui l’accompagnait était dirigé avec beaucoup de sensibilité par Bertand Bayle. Il s’en dégageait une grande harmonie musicale et affective. La voix puissante, charnelle et sensible de Sandra Hurtado Ros quant à elle magnifiait la beauté des textes qui nous étaient si généreusement offerts. Je dois dire que j’ai été particulièrement touché par deux des poèmes de Miguel Hernandez (No quiso ser ; En el fundo del hombre). Un poète très peu connu du public français, mais qui, ici, dans cette ville et les villages environnants n’est pas sans éveiller quelques échos dans de nombreuses familles, comme la mienne. Car Miguel Hernandez est né en effet Orihuela et a vécu quelque temps à Cox, le village tout proche de mon grand-père paternel. Je disais que je ne connaissais pas Sandra avant qu’elle ne nous donne ce récital, mais je dois quand même préciser ici que je connais un peu ses parents et sa mère surtout. Je sais aussi que dans cette famille oncle et frères ont été ou sont musiciens. Alors Sandra, merci ! Merci pour avoir réservé dans votre concert un petit moment de l’histoire de familles venues de ce « coin » d’Espagne entre Elche et Alicante, tout un quartier de Narbonne où elles vécurent dans la pauvreté et la poésie simple de Miguel Hernandez, ce poète chevrier ardent et généreux au destin tragique qui parle encore et toujours au cœur de chacun.
 
 
Tristes guerres
si l’amour n’en est l’enjeu.
Tristes. Tristes.
 
Tristes armes
si les mots ne sont de feu
Tristes. Tristes.
 
Tristes hommes
si d’amour ils ne meurent.
Tristes. Tristes.
 
Miguel Hernandez.
 
 
 
 
 
 
 

Cox. Statue de Miguel Hernandez de sa femme et son fils.

 
 

Les photos les plus floues sont parfois les plus nettes…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cette photo scannée en 2013, je l’ai sortie du tiroir de mon bureau en début de semaine dernière. Elle y dormait depuis plusieurs années au milieu de carnets, de crayons et de stylos. Je ne sais plus qui me l’a donnée. Ni quand ! Au verso, la marque du support « Fujifilm/ Fujicolor/ ArchivePaper » indique toutefois que ce « tirage » est la marque d’un professionnel. En haut, dans le coin gauche : « 1946 » écrit à l’encre bleue avec une pointe fine de stylo-bille. Le « 6 » est décalée sur la droite. Je reconnais le tremblé de ma mère. L’image, elle, est très floue. Et celui ou celle qui l’a prise n’a pas cadré le couple qu’il visait. À l’arrière-plan et sur la moitié droite de la photo, un conifère et des platanes dénudés qui mangent tout « l’espace ». En bas, à gauche, une tâche blanche mord sur la jambe droite d’un jeune soldat. Il est en permission. Grand, mince, et sans doute gêné par le soleil, il semble froncer les sourcils. Il porte des gants. Il doit faire froid ! La jeune femme à son bras est vêtue d’un manteau serré à la taille. Elle est coiffée à la mode de son temps. Elle regarde le « photographe » droit dans les yeux. Elle a fière allure. On croit deviner un sourire. La scène se passe probablement sur la promenade des Barques, à Narbonne ; et certainement en mai 1946. Ils habitent chez leurs parents. Ce jeune homme, en effet, a été libéré par anticipation le 14 mai 1946 pour se marier avec cette jeune femme, le 12 juin de cette même année. En septembre, elle aurait 19 ans et lui 21. Quelques mois plus tard, je venais au monde.
J’ai souvent scruté cette photo depuis qu’elle est posée sur une petite pile de livres, sur mon bureau. La tenue militaire de mon père surtout m’intriguait. Je ne comprenais pas sa raison. Il fallait que je sache. J’ai fouillé dans ses papiers entassés, sans ordre, dans une vieille valise. Ce que je n’avais jamais fait depuis sa mort. J’ai consulté aussi des archives départementales, pour finalement apprendre que, jeune résistant dans les FFI, il avait été intégré, en février 1944, avec ses camarades de combat, dans l’armée régulière comme engagé volontaire à l’âge de 19 ans. Un an plus tôt, en décembre 1943, c’est ma mère qui avait vu son père, encadré par des miliciens, prendre le train pour Compiègne et Buchenwald. Ces deux-là étaient faits pour se trouver. Rien d’étonnant à les voir ainsi bras dessus, bras dessous, un mois de mai 1946, sur la promenade des Barques. Mais pourquoi donc ne nous ont-ils jamais rien dit de ce temps de leur jeunesse ? Rien ! Ou si peu et si tard…
Il faut toujours s’arrêter sur certaines images. Les plus floues sont parfois les plus nettes. Je regarde à présent la photo que je viens de prendre pour illustrer ce billet. Celle de mes parents figure sur la page de couverture de « W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec ». Et sur le côté gauche, « la fleur du temps », de Claude Roy… Tout est en ordre !