Moment de détente et de plaisir à « La cave à vin et à manger » de Lionel Giraud.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
En ce jour d’Épiphanie, nous avons déjeuné à la « Cave à vin et à manger » de la Maison Saint-Crescent. C’était un jour d’anniversaire (je ne dirai pas lequel !). Il faisait un beau soleil et le ciel était bleu ; et froid. La grande salle de cette aimable « demeure », toute en lignes droites, était dans une lumière douce et apaisante ; et l’esthétique générale de cet espace, jusqu’aux tables et couverts, en parfaite harmonie de rythme et de couleurs.

Un moment de vie alentour du marché de Noël…

         
Je passe tous les matins devant le même café. À l’intérieur, j’y vois toujours la même table d’hommes âgés. Toujours assis à la même place, ils portent toujours les mêmes vêtements. Leurs visages cireux et leurs gestes lents sont comme figés dans le temps. Devant eux, des verres à pied de vin blanc – ils portent leurs empreintes. Un serveur est accoudé sur son zinc. Ses bras sont croisés, son dos vouté ; ses épaules en avant portent une lourde tête largement dégarnie. Son regard fixe est humide et lointain. Des volutes de fumée montent de ses doigts. Un ventilateur fatigué brasse l’air confiné de la salle. Sur le trottoir, un habitué du lieu est penché au ras d’une petite table ronde sur laquelle reposent deux baguettes de pain et une tasse de café. Il lit le « Canard enchaîné ». On échange quelques mots sur la santé, l’âge, les petits enfants ; ces générations qui ne lisent plus, ni ne votent. Qui nous échappent. On entend l’animateur du marché de Noël installé sur la promenade des Barques, vanter de sa voix de baryton les liqueurs à la truffe d’un jeune marchand. Il s’étonne. Nous aussi. Perplexes. Il est midi. Le ciel est d’un beau bleu – dur. La lumière est coupante. Il fait froid. Il est temps de rentrer. Un hautparleur perché sur un platane diffuse un air nostalgique, hors de saison : « … ce soir on danse… »

C’est l’heure du goûter, ils sont comme des enfants…

 
 
 
 
 
 
 
 
Dans l’entrée il attend
que je lui donne mon pass.
Il porte l’habit blanc
des soignants de la place
 
Son visage est de glace
et ses gestes sont las
pour me donner sa grâce
d’enfin franchir ce sas.
 
Dans le couloir, pas une âme
pas un bruit ; des néons
seuls font leurs gammes.
Une porte est au fond.
 
Verrouillées et codée
elle s’ouvre lourdement
après plusieurs essais,
sur une salle de patients.
 
Un homme et des femmes
âgés, assis, muets
souffrent en silence
sans désirs ni souhaits.
 
C’est l’heure du goûter.
Ils sont comme des enfants,
avides, animés.
Leurs yeux battent le vent.
 
Que c’est long d’être ainsi
sans soleil et sans ciel ;
d’être vivant sans envies
sans amours, sans éveils.
 
La soignante sourit ;
et nous nous comprenons.
Elle s’appelle Marie.
On dirait un papillon.
 
N’ayez donc pas de peine,
Allez donc ! me dit-elle
dans ses yeux de berbère.
Je suis-là et je veille…
 
 
 
 

Dans les rues de Narbonne, une fin d’après-midi de dimanche, fin novembre…

   
   

Dimanche, 16h. Vent froid et violent. Les rues sont désertes, ou presque. Je marche pour marcher. À l’aveugle. Sans but. Pour le plaisir ! Physique : le visage dont la peau s’étire. Psychologique : les idées dont les lignes se tendent.

« Jusqu’alors, je n’avais jamais regardé avec autant d’attention ses mains. »

 

Jusqu’alors, je n’avais jamais regardé ses mains avec autant d’attention. Non sans raison, d’ailleurs ! Enfant et jeune adolescent, je les redoutais plutôt. Vives, elles l’étaient ; et agiles pareillement pour tirer une oreille, y glisser prestement son petit doigt humide les « jours de sortie » ou pour placer sèchement une barrette sur un « épi » de cheveux particulièrement rebelle. Je craignais trop souvent qu’elles n’enflamment aussi mes joues ; et ne garde aujourd’hui aucun souvenir de leur caressante douceur. Les tenir dans les miennes, comme hier, abandonnées mais confiantes, était en ce temps-là du reste inconcevable. Hier donc, elles étaient dans ce moment où la chair palpite au seul diapason des émotions, d’une extraordinaire légèreté. Sous leur peau d’une blancheur opaline, de larges veines bleues en gonflaient la surface d’une finesse semblable à celle du papier de soie. Je lui faisais remarquer qu’aucune, ou si peu, tache brune ne les enlaidissait, que ses doigts n’étaient pas marqués par de vilaines cicatrices, que ses mains avaient de celles d’un enfant le velouté. Je ne saurais dire combien le temps a passé ainsi, mais je sais que peu de mots furent échangés : regards et caresses suffisaient. Il arrive un âge en effet où rien n’importe plus que le témoignage des sens, où la vie s’éprend de la chaleur de mains confondues dans un îlot d’indicible tendresse. Le temps de le comprendre, il est hélas ! souvent trop tard…

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