Avec des petits trucs pour vivre et des petits trucs pour gagner sa vie, on va au jour le jour. Si on se trouve devant une obligation de grandeur, on biaise, on l’évite, on s’écarte par la tangente. Si on souffre trop, on fait un discours, ou on écoute un discours; car on est peut-être capable d’inventer le truc du téléphone, de la T.S.F. et de l’avion, mais on n’est pas capable de trouver des raisons individuelles de grandeur.
Ce matin, petite investigation sur ce rayon-là de ma bibliothèque:
En tire ceci:
L’ouvre au hasard, et lis ce texte de Pierre Sansot:
Ces images de cet univers des jardins ouvriers sont de Julie Ganzin. Elles nous montrent que le plus triste et le plus prévisible ne sont pas toujours sûrs, qu’il existe en certains hommes ordinaires la capacité d’inventer autre chose, de réordonner à partir de peu ( ce sont , en effet, des « gens de peu » ). Et me revient l’image de Pierre Sansot, sur la plage des Chalets, l’été, à Gruissan, sur le coup des 18 heures. Il y faisait l’aller-retour. Sa queue de cheval battant le haut de son dos. Il portait à la main gauche un sac en plastique d’un bleu indéfini. Ses chaussures, à l’intérieur, peut-être! Son caleçon de bain et son tricot n’étaient pas non plus de la première fraîcheur. Il marchait, indifférent aux regards…
Il tirait parti, lui aussi, de ce qu’il avait sous la main.
Extrait de: Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de, 1675-1755. « Pages choisies des Mémoires du duc de Saint-Simon. » Mon eBook pages 15,16,17.
L’illusion était parfaite ; nous apercevions un monde sublime et pur. Dans les galeries de Versailles près des ifs taillés, sous les charmilles géométriques, nous regardions passer le roi, serein et régulier comme le soleil son emblème. En lui, chez lui, autour de lui, tout était noble. Les choses basses et excessives avaient disparu de la vie humaine. Les passions s’étaient contenues sous la discipline du devoir. Jusque dans les moments extrêmes, la nature désespérée subissait l’empire de la raison et des convenances. Quand le roi, quand Monsieur serraient Madame^ mourante de si tendres et de si vains embrassements, nul cri aigu, nul sanglot rauque ne venait rompre la belle harmonie de cette douleur suprême; les yeux un peu rougis, avec des plaintes modérées et des gestes décents, ils pleuraient, pendant que les courtisans, « autour d’eux rangés, » imitaient par leurs attitudes choisies les meilleures peintures de Lebrun. Quand on expirait, c’était sur une phrase limée, en style d’académie ; si l’on était grand homme, on appelait ses proches et on leur disait :
Jeudi 28 mai, France 5 diffusait la dernière émission de la saison de La grande librairie. À cette occasion, François Busnel proposait une spéciale « Bibliothèque idéale » pour cet été depuis la librairie « Le trouve tout du livre » au Somail, dans l’Aude, au bord du Canal du Midi, à quelques petits kilomètres de Narbonne. Un site superbe, et une bibliothèque somptueuse. Je m’y rends souvent. On y trouve des livres rares, mais aussi des BD et les nouveautés littéraires du moment. La profondeur du lieu, ses odeurs de vieux bois et de papier, son calme et sa sérénité font de cette librairie hors du commun et du temps, un des derniers refuges où s’isoler à l’abri du vulgaire, de la mode et des marchands de papier… Quant à l’accueil, toujours agréable et courtois, il ajoute à ce temple des lettres un discret mais puissant sentiment de bien-être. Celui qui vous enveloppe au moment de pénétrer dans ce monde où les morts et les vivants s’offrent à vous par la grâce de leurs seuls esprits.
L’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir, inné et indomptable, de juger avant de comprendre. Sur ce désir sont fondées les religions et les idéologies. Elles ne peuvent se concilier avec le roman que si elles traduisent son langage de relativité et d’ambiguïté dans leur discours apodictique et dogmatique. Elles exigent que quelqu’un ait raison ; ou Anna Karénine est victime d’un despote borné, ou Karénine est victime d’une femme immorale ; ou bien K., innocent, est écrasé par le tribunal injuste, ou bien derrière le tribunal se cache la justice divine et K. est coupable.
Dans ce « ou bien-ou bien » est contenue l’incapacité de supporter la relativité essentielle des choses humaines, l’incapacité de regarder en face l’absence du Juge suprême. À cause de cette incapacité, la sagesse du roman (la sagesse de l’incertitude) est difficile à accepter et à comprendre.
Extrait de: Milan Kundera. « L’art du roman. » Mon livre numérique. Epub page 12 et 13
Et ceci encore page 25 et 26
Le roman (comme toute la culture) se trouve de plus en plus dans les mains des médias ; ceux-ci, étant agents de l’unification de l’histoire planétaire, amplifient et canalisent le processus de réduction ; ils distribuent dans le monde entier les mêmes simplifications et clichés susceptibles d’être acceptés par le plus grand nombre, par tous, par l’humanité entière. Et il importe peu que dans leurs différents organes les différents intérêts politiques se manifestent. Derrière cette différence de surface règne un esprit commun. Il suffit de feuilleter les hebdomadaires politiques américains ou européens, ceux de la gauche comme ceux de la droite, du Time au Spiegel ; ils possèdent tous la même vision de la vie qui se reflète dans le même ordre selon lequel leur sommaire est composé, dans les mêmes rubriques, les mêmes formes journalistiques, dans le même vocabulaire et le même style, dans les mêmes goûts artistiques et dans la même hiérarchie de ce qu’ils trouvent important et de ce qu’ils trouvent insignifiant. Cet esprit commun des mass média dissimulé derrière leur diversité politique, c’est l’esprit de notre temps. Cet esprit me semble contraire à l’esprit du roman. »