La pluie à Rethel de Jean-Claude Pirotte.

Ma 13.5.2025

« Il n’y aura plus jamais d’été. J’imagine avoir lu déjà cette petite phrase quelque part. À moins que je l’aie écrite dans un autre temps d’une autre vie. J’avale un pinot blanc que je crois avoir vinifié de mes propres mains, tant son bouquet m’est devenu familier. Il n’y aura plus jamais de pinot blanc, en Alsace ni nulle part. Jamais d’automne. »

J’ai repris et terminé la lecture de « La pluie à Rethel », de Jean Claude Pirotte, avant hier soir. Son récit, a moitié lu, reposait – un an , deux peut-être ! – dans un coin de ma bibliothèque. Sans rien perdre de sa saveur. Bien au contraire. La pluie à Rethel est en effet un de ces récits qui se dégustent à petites gorgées et qui se bonifient avec le temps.

Difficile d’en parler aussi. Disons que La pluie à Rethel est un récit d’amour contrarié, sans cesse remis au lendemain. Le narrateur, appelons-le comme ça, passe une partie de son temps à écrire qu’il ne peut écrire son livre : « Bien que je me sois assigné pour tâche, la dernière, d’écrire ce récit : La Pluie à Rethel, je sais que jamais je n’y parviendrai. »

Jean Claude Pirotte écrit donc comme il peut, comme il pleure. C’est un homme attablé qui trace des phrases sur sa feuille. Il revisite son passé, les femmes qu’il a connu et qui se confondent. Des instantanés d’une vie sans fait saillant ; des mots simples comme le vent, le pluie, la mer, associés à l’inquiétude. Il ne se passe presque rien. On se perd dans les méandres de son récit ; on s’y perd avec volupté, ivre de beautés. Les beautés d’un style tendu entre désir de poésie et son refus :

« Avec les insomnies on peut faire des bouquets noirs de grandes fleurs friables et crissantes comme sable sous les dents. Avec les flaques de pluie sur le tarmac inégal, des miroirs écaillés et fuyants où les cloportes de la mémoire s’esquivent par les fêlures de la matière. Et, sur les murs mouillés de la cour, l’eau dessine les érosions futures et préfigure les ruines lentes qui s’accumulent en toi. Je dirai, je ne dirai rien, aucune différence. Va te faire foutre lyrisme ! Sur Rethel, il pleut toujours. »

Et ceci :

« La mesure du silence, c’est La Ruelle, qui est au Rijksmuseum d’Amsterdam. Le silence et le suspens de Delft. Surtout pas question de composer d’originales gloses. Je ne suis pas savant, moi, vieux bipède taré. Chacun connaît cette petite toile. Quiconque, semble-t-il, l’a regardée un jour, je dis bien regardée, demeure imprégné du sentiment confus d’une éternité satisfaisante. Encore que. Les personnages ont disparu (enfants, femme au baril, femme à la broderie), un voile de neige les a mis en fuite, les personnages n’ont jamais existé. Seule la neige : la lente, insinuante, implacable approche de la blancheur. Éternité satisfaisante : a-t-on idée d’user de mots pareils. Je ne rate jamais une pralinade. Écrire à coup sûr c’est du suicide, et je ne me rate jamais au mot à mot. »

« Chercher des images, patience de sourcier. Mais quelles images ? Quelle nappe d’eau fraîche découvrir sous les strates accumulées par l’indifférence universelle ? Je cherche des images, qui seraient mon musée d’Epinal à moi. »

PIROTTE, Jean-Claude. La pluie à Rethel . Kindle Edition. Préface de Pierre Drachline. Lecture de Pol Charles.

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Commentaires (1)

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    Sevcik

    |

    Mais pour quoi un autre été, pour quoi un autre hiver puisque tout est dit, que tout est accompli. Grâce à Pirotte tout n’était pas écrit : Autres arpents (2008)
    « Je n’ai pas d’autre pays que la fuite, pas d’autre patrie que la buée des soirs, je voyage à rebours dans mes pas d’enfant et j’écris pour oublier que j’écris. »
    Merci d’avoir mis en lumière cet excellent auteur au parcours atypique.

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