Le ciel comme dette.

Ma 24.6.2025

De ma « pile » numérique, j’ai sorti ce court roman autobiographique de Jacques Chessex : L’Économie du ciel. Grasset. 2003.

Le roman est court. Trente petites pages. Mais ce n’est pas un roman. C’est un règlement de comptes. Une lettre à celui qui n’a jamais répondu. Une voix qui cogne contre le vide.

C’est un texte bref, tendu comme une corde, et pourtant il contient tout : l’amour, la honte, la violence muette des liens familiaux.

Jacques Chessex écrit comme on saigne. Lentement, avec cette sorte de calme qui ne masque rien.

Il parle de son père. Pas comme on parle d’un mort, mais comme on parle d’une tache dans la mémoire. Le père s’est tiré une balle dans la tête. Cela se passe un matin de mars, entre deux séances de cours. Il enseignait le grec. Il avait de la raideur dans la colonne et du feu dans la bouche. Et puis un jour, il n’a plus parlé.

Alors, Chessex écrit. Il ne cherche pas à comprendre. Il n’analyse pas. Il dit. Il laisse les phrases ouvertes comme des plaies. On sent les montagnes autour, le ciel bas, les silences épais des dimanches suisses. Il y a dans cette économie-là plus de violence que dans cent confessions.

Il y a aussi cette honte, sourde, de l’héritage. Du nom. Du regard du père. Le fils le hait et le vénère. Il marche dans ses traces et veut s’en arracher. Mais le sol est gelé. Alors il creuse dans l’air.

Chessex ne cherche pas à nous émouvoir. Il aligne les faits, les souvenirs. Ils coupent net. Le style est sec. Nerveux. Aucune graisse. On est dans l’économie, celle du ciel peut-être, mais surtout celle de la douleur.

Il y a des livres qui tombent dans la vie comme une pierre dans l’eau. Ils ne font pas de bruit, mais tout remue après. L’Économie du ciel, de Jacques Chessex, est de ceux-là.

« Une autre fois je rencontre Trischi sur le petit aéroport de la Blécherette, au-dessus de L., où l’un de mes amis dans la dèche est devenu observateur des oiseaux. Je vais l’y retrouver souvent : vers ma quarantième année, j’ai commencé à me passionner à mon tour pour les oiseaux, peut-être pour me désintéresser des choses basses. Dans l’air, les ailes, l’affairement des volatiles, il y a l’indifférence à nos états toujours souffrants et coupables. Dans le vol il y a l’oubli possible, de nos poids, de nos ressassements. ».

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