Contre-Regards

par Michel SANTO

Moments de vie : Un homme seul à sa fenêtre…

 
 
Lu.28.11.2022
 
Moments de vie.
 
C’est la pluie qui m’a réveillé. Je me suis levé. La pendule murale de la cuisine affichait cinq heures. J’ai mis en marche la cafetière et attendu que ma dose « passe », debout devant une fenêtre. Toujours la même. La pluie tombait d’une manière régulière. Ni trop forte, ni trop faible. Une perfection de pluie. Personne dans les rues. Il était encore trop tôt pour leur nettoyage. Des flaques de lumière jaunasses brillaient sur les trottoirs et des arbres encore verts, agités par « un petit vent du Nord », quelques feuilles tombaient, elles aussi. Une fenêtre s’est allumée dans l’immeuble voisin. Derrière je savais un homme seul. Il attend chaque matin son infirmière. J’imaginais ses gestes, ses déplacements. Peut-être était-il assis dans son fauteuil, plongé dans de vagues et brumeuses pensées. Le jour, nous échangeons quelques mots sans importance. Il est âgé et fatigué. Il marche d’un pas lourd et s’arrête souvent à la terrasse d’un café voisin. Je l’ai quitté pour aller dans le salon prendre un livre dans ma bibliothèque. C’est une habitude. Je lis deux ou trois pages, prises au hasard, tout en buvant ma première tasse de café. « La femme et l’enfant attendaient dans la gare en cul-de-sac de la petite ville. Après l’entrée du train en gare, le père, un vieil homme avec des lunettes, fit des signes derrière une fenêtre. Il y a bien des années, il avait été un écrivain qui avait eu du succès, maintenant il envoyait aux journaux des doubles de petites esquisses et de petites histoires. En descendant il n’arriva pas à ouvrir la porte du wagon et la femme l’ouvrit de l’extérieur et l’aida à descendre sur le quai. Ils se considérèrent l’un l’autre et finalement furent contents. » Je me suis arrêté un long moment sur ce passage où il est étonnamment question de fenêtre, d’un vieil homme avec des lunettes, d’écriture. J’y ajoute des images d’une arrivée en gare au petit matin ; il fait nuit ; il pleut. Une pluie régulière. Ni trop forte ni trop faible… Lisant et le relisant ce texte, j’ai vite retrouvé le climat sombre de ce roman et le style de son auteur * ; et aussi son art de donner aux petits faits et gestes de la vie quotidienne une dimension tragique, universelle. Le temps de prendre une deuxième tasse de café, j’ai fini par ranger mon livre – ranger est excessif ! Comme d’habitude. La pluie, elle, indifférente, toujours tombait devant ma fenêtre…
 
*Peter Handke : « la femme gauchère ». Folio : page 76
 Illustration : « La fenêtre de mon atelier », vers 1940-1954 de Josef SUDEK – Courtesy Jeu de Paume © Photo Eric Simon
 
 
 
 
 
 

Moments de vie : « La magie de Noël » !

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Sa.26.11.2022
 
La magie de Noël.
 
Un immense Père Noël en matière plastique a été installé avant-hier sur la place, à quelques mètres seulement de ma porte d’entrée. Immensément gros et bedonnant, il a le même air ahuri, stupide et las que ceux, animés, postés dans les halls des grands magasins, un enfant sur leurs cuisses, attendant d’être pris en photo par des parents tout excités. Il arrive parfois que certains de ces petits garçons ou petites filles, effrayés ou lucides, pleurent. Alors, on n’a qu’une envie : les consoler.
Ce matin, un touriste espagnol a grimpé sur l’immense Père Noël trônant sur ma place. Il s’est assis sur ses cuisses et a fait grossièrement le pitre. Ses amis l’ont encouragé de la voix, pendant qu’ils le filmaient avec leurs portables. Tous riaient. Grassement. Alors, je n’ai eu qu’une envie : partir !
 
 
 
 
 
 

Lettre à un ami sur la corrida.

 
 
 
Arènes de Béziers.
 
 
 
 
 
Ve.25.11.2022
 
Lettre à un ami.
 
Cher Paul !
 
Nous nous sommes souvent trouvés dans les mêmes arènes, et, déjà, je te soutenais que la corrida était une des dernières « traditions » dont nos enfants et petits enfants verraient un jour nécessairement la fin. Je ne vais pas développer ici tous les arguments (nous avons les mêmes), que nous pouvons opposer aux abolitionnistes. Ce serait inutile, tu en conviendras ! J’irai donc à l’essentiel. Et pour te dire, mais tu le sais aussi, que ce spectacle social et ritualisé de la mise à mort d’un animal sauvage (avec la « féria » qui lui est organiquement liée) est en totale opposition avec les « valeurs » de nos sociétés urbaines et métropolisées. Dans nos sociétés « modernes », en effet, la mort, qui fait peur et qu’on ne veut ni voir ni entendre, est rejetée à leurs périphéries : l’anonymat et le secret des hôpitaux et des maisons de retraites, pour les humains, des abattoirs, notamment, pour les animaux. En cela, évidemment, exiger l’abolition des corridas est d’une grande hypocrisie. Sauf à interdire en même temps toute forme d’abattage animalier pour la consommation humaine, ce qui, comme tu le sais, serait aussi « bon pour le climat », nous disent « Animalistes » et « Verts, surtout. Le certain, par contre, est que ce genre de spectacle, était commun et accepté dans des sociétés essentiellement rurales où la mise à mort quotidienne des animaux de fermes n’était point cachée et celle des proches humains socialement ritualisée au-delà de la seule famille. À l’évidence, il ne l’est aujourd’hui. (Les avancées scientifiques sur la « sensibilité » animale venant en outre à l’appui de cette demande sociale et culturelle). Nous sommes (hélas !) , mon cher Paul, les derniers amateurs d’une tradition (un substantif ambigu que je ne prise guère) d’un « vieux monde » qui, sous les coups d’insistantes injonctions politiques et culturelles, laisse petit à petit la place à celui dans lequel j’ai, je te l’avoue, beaucoup de mal à trouver la mienne.
 
Abrazos !
 
Michel.
 
 
 

l’Aténéo du Narbonnais expose Yvan Hurtado à La Poudrière…

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ma.22.11.2022
 
 
Le hasard m’a conduit à la Poudrière de Narbonne où l’Association « Aténéo du narbonnais » présente une exposition de photos d’Yvan Hurtado * : « Paysages, visages, pages d’Amérique du Sud ». Je ne connais pas Yvan Hurtado, mais ses « images » expriment beaucoup de sa personnalité. Des images d’une beauté plastique simple, tout en retenue, chaque visage, chaque attitude, site ou maison reflétant une réelle empathie dans son rapport aux autres et au monde. Yvan Hurtado a, en effet, le regard sensible, mais il sait aussi retenir ses émotions et leur donner une forme à l’opposé de la banalité ou du clinquant dont se parent trop de cimaises. On peut dire qu’il photographie en poète. Photos-poèmes avec lesquels, pour l’occasion, entrent en résonance les textes poétiques de son ami Philippe Lemoine.
 
Une image a particulièrement retenu mon attention : celle de la table de travail de Pablo Neruda, dans sa Casa Isla Negra, face à l’Océan. Elle est comme le symbole du travail et de la sensibilité d’Yvan Hurtado. Cette casa a été achetée par Pablo Neruda en 1938 à un vieux capitaine espagnol alors qu’il revenait d’Europe. En 1973, lorsqu’il meurt, la maison est expropriée alors qu’il l’avait cédée au Parti Communiste. Il a fallu attendre la fin de la dictature militaire pour que les restes de Neruda soient enterrés aux côtés de sa dernière femme, Matilde, dans le jardin d’Isla Negra, face à la mer.
 
 
 
 
La Casa Isla Negra.
 
 
 
* Du 17 au 30 novembre à la Poudrière de Narbonne.
 
 
Extrait d’un poème de Pablo Neruda : La poésie.
 
 

Et ce fut à cet âge… La poésie

vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où

elle surgit, de l’hiver ou du fleuve.

Je ne sais ni comment ni quand,

non, ce n’étaient pas des voix, ce n’étaient pas

des mots, ni le silence :

d’une rue elle me hélait,

des branches de la nuit,

soudain parmi les autres,

parmi des feux violents

ou dans le retour solitaire,

sans visage elle était là

et me touchait.

[…]  

 

Coupe du monde et droits humains ! Le Qatar serait pire que la Chine et la Russie ?

         



   

Je.17.11.2022

Dans la « Matinale du Monde », je lis tous les jours, depuis plusieurs semaines, des articles et des chroniques très critiques sur les conditions d’attribution et l’organisation de la Coupe du Monde de football au Qatar, voire des appels à son boycott. Et ce pour des raisons politiques : droits humains en général et ceux des femmes et des LGTBQ+ en particulier – il est vrai niés ou largement en dessous de nos standards occidentaux – ; écologiques : investissements colossaux et démesurés aux coûts climatiques élevés – même si l’émirat est moins responsable du passif environnemental de la compétition que le modèle de celle-ci – ; ou sanitaire et social : insuffisante prise en compte et en charge de la santé et du bien-être au travail sur les chantiers. Ce matin, lisant le dernier article en date sur mon écran, je me disais que je n’avais jamais lu de réactions aussi virulentes venant de toutes parts de l’échiquier politique et culturel quand de grands pays comme la Russie ou la Chine – comme chacun sait, extrêmement pointilleux sur les droits humains en général, la bonne santé climatique de notre planète et le bien-être au travail sur leurs chantiers – avaient été choisis pour organiser sur leur sol de tout aussi grands évènements sportifs (Coupe du Monde de Football, Jeux Olympiques…) Je me disais aussi que, devant ce traitement politique déséquilibré au détriment du seul Qatar, on pouvait comprendre la réaction de leurs autorités – et plus largement, celle des pays et des habitants de cette région du monde – qui ne peuvent pas ne pas voir dans le flot de critiques quotidiennes qui leur sont adressées par la voie des médias occidentaux, une discrimination arrogante aux relents douteux…

     

Articles récents