Contre-Regards

par Michel SANTO

Chronique du Comté de Narbonne.

      

Dimanche 18 novembre de l’an 2012

Mon oncle,

Mon ami le sieur de la Lumière, qui préside, comme tu le sais, aux destinées du très flamboyant, mais hélas si peu lu – deux lecteurs seulement, lui même et sa femme – « Courrier de Cucugnan », est de retour parmi nous. Enfin !  plus précisément dans ses chères Corbières ; qu’il ne quitte  jamais… Mais pouvait-il, invité au château par François de Gouda pour assister à sa grand messe gazetière, lui faire l’affront d’une aussi cruelle et ostentatoire absence ? Au risque de fielleux commentaires de  confrères parisiens accrédités auprès de la Cour, m’assurait-il. A la vérité, mon oncle, cet innocent et pitoyable aveu de vanité, qu’il me fit pourtant le plus sérieusement du monde, n’est pour rien dans sa surprenante décision d’entreprendre ce long et douloureux voyage. Elle tient seulement, et tout entière, dans cette missive du sieur Grabas – il officie au cabinet du seigneur des Terres d’Aude- qui opportunément lui rappelait les subsides alloués par le « parti » rosien à sa bucolique, mais insuffisamment servile était-il précisé, publication. Car c’est ainsi que la liberté d’informer, dans nos provinces, est généralement financée, mon oncle ! Dans cette Aude, belle et pauvre , si nos seigneurs décidaient de retirer leurs placards publicitaires des gazettes locales, elles finiraient par tomber, comme ici, dans les charrettes de l’éminent Cocolin, désormais poubellier en chef du Comté. A cela, tu le sais bien, s’ajoutent des liens et des pressions psychologiques à la trame occulte et infinie autrement plus efficaces. Ainsi le fils de la Lumière, notoirement affligé d’une profonde et incurable bêtise, est-il censé s’occuper de culture, depuis peu,  auprès du petit Comte de Carcassonne ! Souviens toi aussi de ces généreuses et très intéressées invitations acceptées par le vertueux Patrick de la Natte, alors au « Tirelire », pour accompagner le sieur Labatout dans son pompeux séjour au royaume de Tolède et  feu le roi de Septimanie dans celui inutile et fort munificent en terres américaines ! Que d’articles aussi plats qu’ élogieux s’ensuivirent ! Et quel bel office désormais au Comté à veiller sur les écrits de ses anciens associés gazetiers. Mais c’était sans compter sur l’esprit de résistance de son remplaçant au « Tirelire » narbonnais, le sieur Manuel Decuel, aussi discret qu’entêté à ne point se laisser berner. On ne froisse pas impunément la dignité d’un nouvelliste en le mettant ainsi grossièrement sous tutelle, mon oncle ! Mais je m’égare ! Je te disais donc que la Lumière était revenu de la Cour et qu’il en rapportait ce que je pressentais dans ma dernière chronique. Comme sa manche de chemise et sa cravate, la politique économique et  financière de Normal le premier tirent à présent sur sa droite. Dupin et Fressoz , bons journalistes, en disent l’essentiel, et te conseille vivement leur lecture. Quant à la scène politique comtale, je ne t’ étonnerai pas en ne t’en disant rien pour le moment. Labatout dort d’un sommeil bébélien pendant que son opposition s’écharpe dans la plus grande confusion animalière. Le sieur Granel en vient même à proposer qu’une chèvre et une seule conduise sa liste au prochain renouvellement comtal. Ce qui n’est pas très flatteur pour le pauvre bougre qui sera désigné et encore moins pour ce noble animal qui n’en demandait pas tant. Que d’ânes , mon oncle ! Que d’ânes ! De la tour Aycelin je les entends parfois braire , et ils n’ont pas de pires insultes que de s’appeler hommes ! C’est dire…

Je te souhaite de bons jours, cher parent. Il est l’heure du repos et m’en vais méditer sous les volutes d’un excellent havane que m’offrit tantôt notre ami de la Brindille. Je ne goûte cet exotique cigare, il le sait, qu’en solitaire. Comme Jean Jacques ses promenades… Bien à toi!

 

 

Un coteau vert, que le couchant jaunit…

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Ciel gris! Pluie. Fine… Et ce souvenir de Charlène, ma petite fille déjà grande (mais pourquoi donc aujourd’hui précisément ?) A sept ans peut-être! et s’efforçant de me réciter ce poème:    

Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

Un air très vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets.

 

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit :

C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit,

 

Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

 

Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que, dans une autre existence peut-être,

J’ai déjà vue… — et dont je me souviens !

 

 

 

 

Combattre!

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A propos des sondages, qui pleuvent en ce moment pour ne pas dire toujours, Bourdieu disait qu’ils représentaient : « Le savoir des apparences et les apparences du savoir ». Il ajoutait, pour légitimer son combat et son savoir, que la sociologie était un «  instrument d’auto-défense contre la domination symbolique et ses producteurs : journalistes, enseignants etc… ».

Sur ce dernier point, si je me sens au combien solidaire de son combat, sans contester l’intérêt de l’approche sociologique, j’aurais plutôt tendance à pencher pour la philosophie. Comme Socrate ( hum ! ), j ’interroge, mais ne prend jamais pour argent comptant ce qu’on me répond…

Chronique du Comté de Narbonne.

Unknown  

Mercredi 13 novembre de l’an 2012

Le royaume vit une étrange situation, mon oncle ! Le Roi et son premier ministre se sont dissous dans l’opinion. Aux yeux des Français, ils semblent ne plus exister. Le nantais couaque pendant que ses ministres piaffent, et le premier des hollandais ne sait plus à quel saint se vouer. Ses amis à contrario le disent affuté et réactif aux difficultés du pays. Qui au demeurant sont les mêmes qu’hier et qui  l’obligent à remiser ses promesses ; tout en jurant devant, mais devant qui, mon oncle !? de ne rien céder à ses engagements du passé. Et cela dit sur ce ton bon enfant, rond et mouillé, où percent des lueurs d’ironie teintées de roses et d’agressives pensées. Il est vrai cependant que le mariage pour tous est programmé ! Car il faut bien le reconnaître, notre Roi à du talent, mon oncle ! Et puis, il est si gentil au dire des gazetiers. Cynique bien sur, mais si gentil ! Il est d’ailleurs des signes qui ne trompent pas : sa cravate éternellement de travers et sa manche de chemise, la droite, toujours trop longue n’expriment-ils pas cette naturelle et atavique bonhomie de celui qui jadis présidait en terres corréziennes ? Cet après midi, on me dit qu’il réunit 300 ou 400 nouvellistes au château. Mon ami, le rédacteur en chef du « Courrier de Cucugnan », qui tire à deux exemplaires, a lui aussi été invité. C’est dire l’importance que le Roi accorde à cette grande fête gazetière ! Il va fixer un cap pour les uns, baratiner pour les autres ; et comme à l’accoutumée les avis seront partagés. Mais je ne sais pour quelles raisons, mon oncle, mon intuition me dit que cette orgie de communication ne changera rien au climat de doute et de suspicion régnant sur nos concitoyens. Trop de déni du réel ne peux en si peu de temps être rattrapé. Comment expliquer au peuple rosien qu’il lui faudra accepter de payer pour la compétitivité de nos fabriques, ce qui jusqu’à hier était tout simplement nié ? Enfin ! attendons les jours qui viennent, nos gazetiers nous expliqueront ce qu’il convient d’en penser. Voilà pourquoi, je ne les lis point, mon oncle ! Un célèbre bouffon prétendait que les nouvellistes ne croyaient pas les mensonges des hommes politiques, mais qu’ils les répétaient, ce qui était pire ! Il en est quand même de sérieux et demain sera l’occasion d’en apprécier le nombre.

Je t’embrasse…