Contre-Regards

par Michel SANTO

Chronique du Comté de Narbonne.

 

 

 

 

Dimanche 29 juillet de l’an 2012,

 

Mon oncle !

Il paraît que la cérémonie d’ouverture des Olympiades de Londres fut belle, c’est mon voisin qui l’affirme pour l’avoir vue dans ses « étranges lucarnes ». Jusqu’à deux heures du matin, « je fus bombardé de magnifiques images », s’est-il réjoui entre deux lampées d’un vin rosé matinal, pendant que je regardais, d’un air distrait, une tasse de café à la main, de la terrasse de l’estaminet où nous avons les mêmes habitudes, les livreurs livrer et les touristes errer. Constatant assez vite que je ne partageais pas son enthousiasme inaugural aux semaines sportives qui vont enivrer les cohortes serrées de vacanciers allongés et huilés comme des harengs en caques sur nos côtes, je lui avouais, humblement, que, ce soir là, je dînais à la « Guinguette » en la sage compagnie de mon épouse. Je dois te dire que son étonnement,  mêlé d’un soupçon de colère, fut grand ; il le fut bien plus encore quand je lui précisai, benoîtement, que « je n’y avais pas pensé ». Aussi tentai je une diversion en attirant son attention sur la belle diagonale tracée sur la place du château par une de ces longues silhouettes féminines qu’on ne voit qu’en imagination quand la grâce et la beauté se confondent en de pareilles figures. Rien n’y fit, mon oncle ! Les premières médailles gagnées par les « chinois » occupaient seules ses pensées devenues totalement hermétiques au charme dégagé par cette créature de rêve. Sa longue robe noire sur sa peau couleur de miel, son allure de reine et ses cheveux au vent, il ne les voyait tout simplement pas ; où, plutôt, cette image était censurée par son néocortex intégralement dédié à l’enregistrement des performances, des résultats et des gains enregistrés par chacune des nations en compétition. Nous voilà bien loin de la beauté du corps humain que célébraient les Grecs en l’exhibant dans sa splendide nudité dans les palestres, gymnases et processions religieuses, mon oncle ! Une beauté qu’ils pouvaient contempler à loisir et qu’ils  parviendront à concevoir en une idée de la beauté supérieure même à celle que la nature offre aux regards. Pensant à tout cela, m’est revenue en mémoire cette réflexion de ce philosophe au style sans pareil, ce merveilleux prosateur qu’était Nietzsche : « C’est à coups de tonnerre et de feux d’artifice célestes qu’il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s’insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd’hui : c’était le frisson et le rire sacré de la beauté! ». Elle résume bien le problème de la beauté tel qu’il se pose aujourd’hui dans un monde où les spectacles se font de plus en plus bariolés et tapageurs pour toucher nos sens ; des sens saturés qui se défendent comme ils peuvent en s’anesthésiant. Gavés de sons et d’images que nous sommes, tout est à présent objet et sujet d’admiration ; et, conséquemment, rien ne l’est évidemment plus. Aussi n’ai je point été surpris de lire, dans nos gazettes accréditées auprès de la Cour, que notre bon roi François de Gouda avait défendu, samedi, le foie gras français, en butte à la guerre engagée dans le monde anglo-saxon par les lobbys anti-gavage ; et ce au nom du bien être animal. Saisissante concordance des temps et emblème inattendu du nôtre, mon oncle, auquel j’ajouterai les bêtises de Cambrai et les sottises de Valenciennes, sans oublier la délicieuse babelutte de Lille. Que je te dise aussi que le César d’opérette et les « romains », qui avaient envahi les rues et les trottoirs de Narbonne, sont enfin sortis de la ville et qu’à Montpellier des idolâtres « rosiens » accueillent et fêtent l’arrivée de la statue en pied et en bronze du camarade Mao. Un grand humaniste, comme tu le sais ! Bientôt c’est celle de Loulou Cacolin qui trônera sur la place de la Comédie ; et la postérité se signera devant le nom de cet empereur de la collecte des ordures ménagères, comme au nom de quelques autres véritables apôtres de l’utile…

Un coup de vent violent vient de rabattre bruyamment les volets de ma chambre, mon oncle ; des éclairs de chaleur déchirent un ciel sombre et lourd ; un gitan de mon voisinage lance une émouvante « saeta » et le souvenir d’un certain soir aux couleurs d’oranges, dans le quartier de Triana, s’invite dans le silence et la beauté d’un temps retrouvé. Celui aussi de te quitter…

Je t’embrasse, mon oncle !

 

 

 

 

 

 

 

 

Flaubert, for ever…

GustaveFlaubert 

 

 

Ce texte de Jacques Raynal, qui en publiera d’autres dans ce blog.

 

Finalement, tout nous ramène a Flaubert, il est un peu la plaque tournante de toute la littérature Française (la plus récente tout au moins), un passage obligé entre le romantisme finissant et le réalisme commençant, il tire un trait sur la littérature d’introspection et annonce toute la littérature moderne (dans ce qu’elle a de meilleur et de pire).

Et puis, puisque nous en étions aux mots, quel amoureux justement des mots ! Quel lutteur aussi pour leur faire rendre gorge, en tirer la substantifique moelle…

Après tant d’autres et inévitablement, il connaitra, lui aussi, les affres de l’impuissance, cette limitation aux portes du sublime, toujours entr’aperçu, toujours insaisissable, cette porte un instant entrebâillée sur l’indicible nous laissant a jamais avec la nostalgie de cet éphémère et fugace éblouissement, les paupières brulées par les lumières interdites…

«  La parole humaine est comme un chaudron fêlé ou nous battons des mélodies a faire danser les ours quand on voudrait attendrir les étoiles  »

Et puis encore…

« Je ne suis qu’un lézard littéraire qui se chauffe, dans sa bibliothèque au grand soleil de la beauté »

Flaubert…L’ermite de Croisset, ce misanthrope de génie, ce bougon splendide, cet Alceste mal embouché que nous aimons tant  qui eut sans doute souscrit au mot de Mallarmé…

« Tout n’existe sans doute que pour aboutir a un livre…Dieu a fait la vie, ses douleurs et ses joies pour qu’un écrivain puisse le raconter »

Et pourtant…qui ne le sait ? Rien n’est simple chez un homme…

Le Flaubert qui écrivait :

« Les honneurs déshonorent, les titres dégradent, la fonction abrutit »

Celui dont la dernière ligne de madame Bovary fut (a propos du détestable Homais, Pharisien de sous préfecture, archétype du notable provincial pontifiant et bien pensant)

« Il vient de recevoir la légion d’honneur »

Celui, aussi, qui si longtemps, n’eut pas de mots assez durs pour fustiger son ami Du Camp, lequel rêvait de la fameuse breloque…

Le même, toujours qui exerçait sa verve, sa rogne et sa vindicte envers le monde, les salons, les compromissions…

Acheta un jour un habit a deux mille francs, des gants beurre frais a cinq cent francs (quand les droits de madame Bovary furent de huit cent francs) et se précipita au salon de la princesse Mathilde… (C’est Louise Colet qui le raconte)

Le pourfendeur des honneurs fallacieux accepta ensuite de recevoir, a son tour, la légion d’honneur et en fut même très fier…

Dieu que le socle de nos héros se lézarde souvent quand on y regarde de près !

Mais que celui qui n’a jamais cédé au péché de vanité lui lance le premier lazzi…Quand a moi, je m’en garderai bien !

« Vivre avilit » a écrit Henri de Régnier…Nous essayons, peut être tous, simplement, de sauver les meubles…

Cela dit, certaines choses paraissent étonnantes lorsque on s’y arrête…Et alimentent ma réflexion de ce jour.

On le sait, Flaubert, a travers Bouvard et Pécuchet, voulut embrasser toutes les sciences et les connaissances humaines…Il disait avoir lu, avant d’écrire la première ligne, quatre cent livres (oui, quatre cent…!) traitant de toutes les disciplines dont ses deux pathétiques héros allaient avoir a  se préoccuper…Projet mirifique et fou a la mesure de l’homme qu’il était.

Sa mort prématurée à cinquante huit ans l’empêcha  de mener son œuvre au bout.

Mais…Question…Y serait il parvenu…?

Un siècle plus tard, Sartre lui tente de faire le tour de Flaubert avec son « Idiot de la famille », il y passe sept ans, écrit des milliers de pages et la cécité l’empêche de finir son travail…

Mais…Question…Y serait il parvenu…?

Au bout de ce labeur titanesque, il dira avoir a peine, lui semblait il, effleuré le personnage.

Fait-on jamais le tour des connaissances humaines ? Plus simplement peut-on faire seulement le tour d’un homme ? Et plus humblement encore arrive t’on a faire seulement le tour de soi même dans ce court laps de temps qu’est toute vie humaine, ce grand éclair entre nos deux néants ?

Il est vrai que certains ont pu penser qu’après avoir fait trois petits tours dans une pièce close, ils peuvent désormais disposer…Rimbaldiens au (très) petit pied de «  la vérité dans une âme et dans un corps »

Contentons nous d’en sourire.

Finalement faire le tour d’un homme ou celui de l’humanité revient sans doute au même, et cette démarche de quelque façon qu’on l’entreprenne parait hélas toujours vouée à l’échec…non…?

Me revient à l’esprit la formule de Térence…

« Je suis homme et rien de ce qui est humain ne peut m’être étranger »

Etranger ? Certes, non…Mais saisissable…? Notre réalité profonde, comme le sable, nous glisse entre les doigts.

Montaigne était sans doute dans le vrai lorsqu’il disait que toute étude sérieuse du monde commence par soi même et, quand, aux antipodes de tout égotisme stendhalien, il portait sur lui-même le regard acéré et sans complaisance de l’entomologiste…Macrocosme et microcosme… « Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas » (ça, c’est un autre qui nous l’a dit)

Mais au bout du compte, et ce sera ma conclusion, quand on a découvert que le monde existe et aussi que l’on existe dans ce monde, qu’on en est un composant a la fois dérisoire et essentiel…On n’a plus besoin de miracles…On est dedans !

 

 

 

 

 

 

Les paroles sont de la lumière en chemin…

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Pour Jacques Raynal.

 

Hier, en fin d’après midi, marche au départ de chez moi pour prendre les quais de la Robine en direction de l’écluse de Raonel. Avant le début du chemin de halage, traversée d’une petite résidence. Sur une de ses façades, ce poème de Max Rouquette :

 

 « Les paroles étoilent la nuit des choses.

Elles se mirent dans l’étang
[des monstres abandonnés
au fond du puits éternel des ténèbres.

Les paroles sont de la lumière en chemin
qui ne savent pas si quelqu’un les attend.

La nuit infinie »

 

Et puis ce soir, devant mon clavier à écrire ces quelques mots, ceci encore, sur mon écran, obtenu d’un simple clic :

  

 « Tant m’ont lassé les paroles de vent
le babil de corneilles sur le toit
du monde avec son bruit de ferraille
que parfois j’ai envie de ne dire
mes paroles qu’aux combes désertes,
aux paliures, à la fougère, à la bruyère,
à la roche, en son poids,
[songeuse de mille ans
qui du silence sait la force et l’épaisseur.
Certain que si elles ne m’écoutent pas
quelqu’un fait d’elles ses oreilles. »

 


Les mots ne sont jamais que des mots…

 

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Un peu de poésie ce matin: celle de Jaccottet!

 

« Qu’ils disent légèreté ou qu’ils disent douleur, les mots ne sont jamais que des mots. Faciles. »… « Néanmoins, même si les mots n’empêchent pas la mort qui me désarçonne et qui m’interdirait dès maintenant de vivre si j’acceptais sa fascination, j’ai le sentiment confus qu’il faut dépasser cette oppo­sition entre mots et choses, surmonter cette mau­vaise conscience et ce dégoût. Faute de quoi, d’ail­leurs, je lâcherais la plume une bonne fois. Si, tant bien que mal, ici, elle poursuit son travail, c’est conduite, plus que par ma main, par cette intuition d’un sens, ce très faible reste d’espoir. Par exemple, je ne puis m’empêcher d’éprouver que certains mots, dans des circonstances données, semblent plus «vrais» que d’autres, que je ne peux absolument pas en user indifféremment; je m’entête à les cher­cher, bien que je sois incapable de m’expliquer comment il se fait qu’un tel choix soit possible, et paraisse légitime. »

 

Philippe Jaccottet : «  A travers un verger »

 

Chronique du Comté de Narbonne.

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Mardi 17 juillet de l’an 2012

Cher parent !

Si j’en crois ta dernière lettre, les dieux de la météo boudent notre bon roi François et déversent des trombes d’eau sur ses cheveux teints à chacune de ses sorties ; il paraît même qu’un « homme volant » s’est écrasé à ses pieds lors de la dernière fête royale. S’il n’y prend garde, c’est le ciel qui un jour lui tombera sur la tête. Ce que craignaient le plus au monde nos ancêtres gaulois qui, demain, vont se retourner dans leurs tombes narbonnaises. Les romains vont entrer dans la ville, mon oncle ! Enfin, des quidams déguisés en légionnaires et conduit par un César qui, dans la vie civile, exerce, paraît-il, le téméraire métier de poissonnier. Ce sera un plongeon « dans l’histoire de nos racines », nous dit artistiquement la feuille qui présente cette célébration d’un temps où Narbonne fut grande. Et pourquoi pas un double salto ? Et moi qui naïvement pensais que ton ami Patrick de la Natte veillait désormais à ce qu’on ne blessât point notre langue dans les publications comtales! Des danseuses et des gladiateurs feront donc les pitres sur la place du Château, te disais-je, alors que d’envahissantes caravanes de bohémiens occupent illégalement depuis hier mails et prés de Gruissan. Le Prince, dit le petit, en avale de rage et de désespoir (oh !) son épée, et repart à l’assaut de Labatout et du Comté tout entier. A commencer par un envoi de factures de portes fracturées et de gazons endommagés par ces pacifiques pèlerins. Et voilà que la guerre des roses prend désormais des  airs de fandango où chacun tente de se refiler les sauvages campements de nos pittoresques « gens du voyage ». A ce propos, j’ai le souvenir d’un marquis rosien qui, s’en rire, lors d’une réunion alors présidée par le duc de Lemoyniais du temps de sa gloire, proposait généreusement d’accueillir ces familles nomades en des terres inondables administrées par le sieur Vladimir Oulianov Plavich. Par charité chrétienne, j’en tairai le nom, comme je m’interdis de citer tant d’autres énormités jaillies de ces bouches qui, tous les jours, font pourtant orgueilleusement profession de vertu, et de justice. J’en ai  encore de plus grossières, que j’ai soigneusement notées dans un carnet qu’à l’occasion je publierai.

A part cela, mon oncle, qui démontre, s’il le fallait, que les vraies vertus répugnent à l’ostentatoire, il fait chaud. Très chaud ! Les « touristes » se baladent en marcel et culottes courtes, le nez dans des cornets colorés de glaces italiennes. Le regard vide, ils portent leur ennui comme on subit les dimanches. Parfois, un éphémère et discret sourire éclaire le visage d’une élégante inconnue croisée au hasard d’une rue. On ne voyage jamais qu’avec soi même, mon oncle ! A bientôt de te lire.

 

Ton neveu !