Racisme et islamophobie par Valérie Toranian – Revue des Deux Mondes.
Ceux qui s’inquiètent en France de l’amalgame entre l’islam et les attentats de janvier 2015 – alors que ce lien est réel puisque le réel a bien eu lieu et qu’il s’agit d’actes commis, certes par des fanatiques, mais en invoquant le nom d’Allah – devraient plutôt s’alarmer de l’amalgame entre islamophobie et racisme. Ce qui est inacceptable, c’est le racisme. Ce qui est inexcusable, c’est qu’au nom de la peur qui envahit chacun de nous face à la violence on stigmatise des Français qui sont noirs ou arabes. Majoritairement musulmans sans aucun doute, mais à des degrés divers, certains par tradition familiale et culturelle, d’autres par foi véritable. Tous différents. Ce qui est inacceptable, c’est la haine contre des communautés. Mais qu’on critique l’islam, qu’on rejette l’interprétation du Coran, qu’on débatte de l’essence d’une religion, qui peut mettre en doute ce droit dans une démocratie comme la France ? On peut être républicain et islamophobe même si cela fait bondir certains. On ne peut pas être républicain et raciste. On peut être républicain et judaïcophobe. On ne peut pas être républicain et antisémite.
Après les attentats de janvier, la question de l’éducation est devenue une urgence nationale. Il faut réaffirmer que l’école est le lieu de la neutralité, où, au nom de la laïcité, chaque enfant vient en déposant son bagage culturel, linguistique, politique et religieux au vestiaire. La meilleure façon de « considérer » l’enfant porteur d’une culture, quelle qu’elle soit, lorsqu’il entre à l’école, n’est pas de nier ou de mépriser cette culture mais de l’ignorer totalement. Et de sanctionner la résistance ou l’obstruction de l’élève aux enseignements et aux valeurs républicaines si tel est le cas. Le directeur de l’école primaire de Nice où un enfant de 8 ans a exprimé sa solidarité avec les terroristes doit être soutenu dans sa volonté de réagir. Passer vingt minutes au commissariat avec son père, aura peut-être eu la vertu pour cet enfant de lui poser une limite et d’affirmer l’autorité « morale et civique » de l’institution scolaire.
La loi de 2003 contre les signes religieux ostensibles à l’école, dont chacun sait qu’elle était destinée à protéger les filles d’une soumission à l’influence grandissante de l’islam politique, voulait déjà réaffirmer cette mission de neutralité de l’école : ce n’est pas ce qui nous différencie qui doit être visible mais ce que nous partageons en commun, dans la classe, où le professeur récompense des mérites. Et nous sommes tous soumis à la même règle.
Comme le rappelle Mona Ozouf dans son passionnant recueil De révolution en République, les chemins de la France, (1) le travail des instituteurs, hussards noirs de la République, ne s’est pas fait dans la douceur et la facilité. Il leur a fallu être ferme et habile. Faire triompher les valeurs de la République une et indivisible dans une France de la fin du XIXe siècle aux identités complexes, croisées, hétérogènes. La philosophe, qui ne cesse d’interroger ce rapport entre l’universel et l’identité dans l’histoire de France depuis la Révolution, se nourrit aussi de son expérience personnelle : « Trouvé à la maison, le respect des différences m’a convaincue que la vie ne se réduit pas à des normes abstraites et que l’indifférenciation la priverait de beauté, de charme et d’intérêt. […] Trouvée à l’école, l’incitation à abstraire et généraliser pour l’humanité entière me paraît toujours un projet plus noble que le repli sur la singularité. »
En 1881, année qui rend l’instruction obligatoire, la République était encore fragile, rappelle Mona Ozouf, et « comme le répétaient les préfaces des manuels d’instruction civiques, il fallait « l’asseoir » ».
Asseoir la République, et rester debout sur nos valeurs : la mission de nos enseignants en 2015 n’a pas changé.
1. Mona Ozouf, De révolution en République, les chemins de la France, Gallimard, 2015.
Via Racisme et islamophobie par Valérie Toranian – Valérie TORANIAN. Revue des Deux Mondes
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