La justice devrait-elle être aux ordres des journalistes? Salutaire coup de griffe de la plume d’Aliocha.
« La justice française machine à blanchir », titre François Bonnet co-fondateur de Mediapart, dans une tribune incendiaire du 28 mai 2015. L’objet de son courroux ? La relaxe prononcée par la justice au bénéfice de l’ancien ministre Eric Woerth dans l’affaire Bettencourt. On comprend la colère du directeur éditorial de Mediapart. Avec tout le mal que se donne cet organisme (peut-on encore parler de site de presse ?) pour faire sortir les affaires que des policiers corrompus et des juges à la botte voudraient enterrer. Et patatras, la justice sourde et aveugle aux idéaux du plus vertueux des chiens de garde de la démocratie que la presse ait jamais engendré, la justice donc embourbée dans ses compromissions et ses vices s’obstine à blanchir les affreux coupables que Mediapart lui apporte pourtant ficelés et déjà grillés médiatiquement. Tout à sa rancoeur, l’auteur saisit l’occasion pour dénoncer la justice manipulée dans l’affaire Kerviel (il en est sûr puisque l’avocat de la défense le dit depuis 2 ans à une de ses journalistes qui l’a maintes fois répété, c’est dire la force de la preuve), la justice à genoux dans le dossier EADS, la justice fasciste dans l’affaire de Clichy-sous-bois, la justice malade dans l’affaire Outreau, la justice folle dans Tarnac….Zola n’avait qu’une seule cause à défendre, François Bonnet en a trouvé six ! Et encore, sans chercher. C’est dire…
Ainsi donc, il faudrait observer en silence. Suivre le procès dit du « Carlton » dans lequel une poignée de notables de Lille et une star politique sont accusés de proxénétisme aggravé, et ne rien dire. Sous peine, en émettant le plus léger froncement de sourcil, d’être accusé de vouloir instaurer un ordre moral à la manière du sombre Savonarole (ci-contre). Il faudrait de surcroit – on m’y a enjoint sur Twitter – prendre la défense de« l’homme à terre », autrement dit de DSK. Relayer l’hypothèse du possible complot. S’abstenir surtout à tout prix de juger le comportement sexuel de l’intéressé et de ses si gentils petits camarades. Ceux qui parlent au choix pour évoquer les femmes, de « négresses », de « dossiers » ou de « grosses ». Parce que voyez-vous le cul aujourd’hui, c’est un peu comme le culte hier, un truc sacré, intouchable, non pas une liberté mais La liberté fondamentale, la plus noble conquête de l’ homme occidental qui a déjà tout dompté et aborde le combat suprême : embrasser sa sexualité sans plus ni peur ni honte. Contre cet objectif si fabuleux, aucun obstacle ne sera toléré. A l’exception, parce qu’elles sont trop visionnaires pour être réellement comprises, des réflexions désespérées de Houellebecq ou, plus récemment, de l’inclassable et troublant auteur de la Fleur du capital.
Le charme de ces municipales, c’est qu’on ne nous balance pas toutes les deux minutes des scoops sur les dernières affaires visant Sarkozy – si tant est qu’il y ait , un jour, une dernière … – Ça repose ! Certains pensaient que le feuilleton judiciaro-politico-médiatique le concernant – long, dur, agressif – sorti juste avant ces élections allait permettre de sauver les meubles électoraux de la maison PS , c’est rapé ! Mieux, tous les élus qui ont eu affaire à la justice, à droite, ont été réinstallés dans leurs fauteuils, dès le premier tour : les Balkany, Copé, Woerth etc… Comme si, par un paradoxal miracle, elle était devenue le meilleur agent électoral de ceux qu’elle poursuit de son glaive. De quoi laisser espérer Sarko, en embuscade, et désespérer les juges à ses trousses …
La justice a ordonné jeudi 4 juillet au Point et à Mediapart de retirer de leurs sites Internet respectifs les retranscriptions des enregistrements pirates réalisés chez Liliane Bettencourt par son majordome, estimant que leur diffusion constituait une atteinte à la vie privée de la milliardaire. La réaction de Médiapart, qui » interdit » à tout citoyen ordinaire de commenter une décision de justice, fut-il élu ou, pire, ancien président de la République, a été à la hauteur de sa réputation. Selon ses responsables, il s’agit en effet d’un « acte de censure judiciaire », d’une décision « liberticide et ubuesque » digne de la « dictature de Pinochet » ou de la « fin de l’ère Ceaucescu » ? On imagine sans peine ce qu’il serait advenu à un Guaino, par exemple, s’il s’était permis ce genre de qualificatifs … Bref, si l’on comprend bien, les juges seraient illégitimes à fixer les limites de la liberté d’expression et celles de » l’atteinte à la vie privée » . De quoi nourrir les espoirs de reconversion professionnelle de tous les flics du monde. E. Pleynel et ses amis, en réagissant de la sorte, se sont pris les plumes dans le tapis. Que diraient-ils, si, le soulevant, ils y trouvaient un micro ?…